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La Tunisie danse sur un volcan !

La Tunisie poursuit son déclin économique depuis 2011 alors que ses références démocratiques semblent chaque jour plus fragiles. À quoi sert la démocratie, se demandent un nombre croissant de jeunes Tunisiens, si les emplois se raréfient, la corruption sévit et la politique se réduit à un spectacle de marionnettes ? Reprenant ces interrogations, le chercheur au CICOB, grand spécialiste du Maghreb et plus encore de la Tunisie, Francis Ghilès, dépeint, dans une analyse publiée par « The Arab Weekly », la Tunisie sous des traits peu reluisants, s’appuyant sur « les dernières prévisions du Fonds monétaire international pour la Tunisie [qui] ne sont pas encourageantes ». Elles prévoient que la croissance économique, à l’exception de l’année prochaine, restera inférieure à 3% jusqu’en 2025. Selon l’économiste prudent Hachemi Alaya, dans sa dernière analyse EcoWeek de l’économie du pays, « la Tunisie danse sur un volcan dont la date d’éruption est difficile à prévoir », ajoute Ghilès qui ne trouve pas surprenant que « que de nombreux jeunes Tunisiens regrettent ce qu’ils considèrent comme les jours de gloire économique du régime autoritaire de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali ».

L’enquête de cette année sur la jeunesse arabe a révélé que 27 % des 18-24 ans du monde arabe ont envisagé d’émigrer et que 15 % d’entre eux essayaient activement de le faire. Plus de la moitié des répondants tunisiens pensent que des manifestations pourraient avoir lieu au cours de l’année prochaine : 40 % épinglent la corruption (notamment parmi les députés) et 29 % l’absence de nouveaux emplois. D’ailleurs, le chômage a atteint 19,4 % au cours du deuxième trimestre de l’année. Le taux de chômage est beaucoup plus élevé chez les jeunes et dans l’arrière-pays pauvre, qui s’est révolté en 2011 et a vu son niveau de vie baisser depuis.

Dans le même temps, l’investissement en pourcentage du PIB a atteint l’année dernière un niveau historiquement bas de 16,4 % et devrait tomber à un peu plus de 10 % en 2020. Le PIB est passé sous la barre des 40 milliards de dollars en 2018, contre 46 milliards de dollars à la veille de la révolution, qui a entraîné un effondrement des investissements et des nouveaux emplois et une explosion de la dette publique – de 78 % en 2018 à 85 % cette année, selon les récentes estimations du FMI.

Une « longue et dangereuse régression » !

Cette « longue et dangereuse régression », selon Ayala, est d’autant plus inquiétante que les statistiques ne tiennent pas compte de l’ensemble des retombées économiques de la pandémie qui a touché la Tunisie jusqu’à l’été. Une récession à double creux en Europe, avec laquelle la Tunisie réalise l’essentiel de ses échanges, pourrait accentuer la crise économique. L’agence de notation Moody a récemment dégradé la note de la Tunisie de B2 stable à B2 négatif.

Le rapport annuel du FMI, récemment publié, permet une lecture sobre. « Alors que l’économie mondiale revient », écrit-il, « la remontée sera probablement longue, inégale et incertaine ». Ces mots ont été écrits avant que la deuxième vague de COVID-19 ne frappe l’Europe, ce qui laisse présager des perspectives plus pessimistes. Le FMI estime que la croissance mondiale « devrait progressivement ralentir à 3,5 % à moyen terme ». Cela n’implique que des progrès limités pour rattraper la trajectoire de l’activité économique pour 2020-2025 prévue avant le déclenchement de la pandémie pour les marchés avancés et émergents et les économies en développement ».

Le FMI prévoit que l’économie tunisienne déclinera de 7 % cette année et rebondira de 4 % l’année prochaine et d’un modeste 3 % les années suivantes. Le FMI et la Banque mondiale semblent s’être éloignés du consensus de Washington pour adopter une forme plus keynésienne de politiques économiques à la suite de la pandémie, ce qui n’est guère surprenant. Laisser tout aux marchés et régner sur l’État n’est pas une option pour le moment.

Des réformes « impossibles » !

Quelles que soient les recommandations que le FMI fera dans les prochains mois, elles n’échapperont pas au sort de celles faites précédemment et qui n’ont pas été entendues. La dette s’est envolée en raison de l’augmentation considérable du nombre de fonctionnaires et de travailleurs dans les entreprises parapubliques. La Tunisie n’est pas devenue un pays économiquement plus libre, bien au contraire, assène Francis Ghilès.

Les intérêts des entreprises privées existantes et du principal syndicat, l’UGTT, enserrent les gouvernements en étau, rendant les réformes impossibles. Les élections démocratiques n’ont pas donné lieu à l’émergence de dirigeants politiques de poids. C’est l’inverse qui est vrai. Celui qui gouverne la Tunisie n’a aucune marge de manœuvre, d’où la référence antérieure à un volcan : La rue pourrait bien être tentée de prendre les choses en main dans les mois à venir.

Les Tunisiens qualifiés, quant à eux, fuient le pays, des médecins hautement qualifiés aux plombiers. Les vieux et les moins vieux prennet la poudre d’escampette chaque fois qu’ils en ont l’occasion. Aucune politique ne pourrait facilement garantir que le Tunisien moyen jouisse en 2025 d’un niveau de vie plus élevé et de meilleures perspectives d’emploi qu’aujourd’hui. Le fait de disposer d’un niveau confortable de réserves de devises fortes est une bénédiction mineure pour le pays, tout comme le faible taux d’inflation. Mais si de plus en plus de personnes n’ont tout simplement pas les moyens de s’offrir des denrées alimentaires de base, de telles statistiques n’ont aucun sens.

La Tunisie rend illusoire l’idée que des élections libres garantissent une politique économique plus judicieuse et plus d’emplois. Au cours de la dernière décennie, le pays a été si souvent salué dans des séminaires à travers l’Occident comme « la seule démocratie du monde arabe ». Voilà pour ce qui est de la démocratie.

Il n’est pas exclu aujourd’hui qu’une aggravation de la crise économique et sociale puisse mettre fin à la pratique de la « démocratie » en Tunisie. Le mot même de « démocratie » ne peut pas décrire le mélange de kleptocratie, d’affaiblissement de ce qui était autrefois une fonction publique fière et de posture politique éhontée entre les partis qui passe pour « la seule démocratie du monde arabe », conclut Francis Ghilès.

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