Un nouveau rapport de l’Institut d’études sur la sécurité (Institute for Security Studies) ISS propose trois scénarios qui peuvent aider les autorités tunisiennes à élaborer une politique qui place le pays sur la voie d’une croissance et d’un développement inclusif. Une analyse qui montre que les défis économiques du pays sont profondément structurels et qu’ils étaient déjà bien enracinés bien avant la révolution. Le système économique fermé de la Tunisie et son contrôle par des initiés excluent une grande partie de sa population bien éduquée, dont la frustration s’est accentuée en l’absence de possibilités d’emplois rémunérés.
Certains de ces problèmes sont aggravés par la baisse du taux de croissance de la Tunisie depuis les années 2000 et par le revenu par habitant qui, bien qu’il se soit amélioré auparavant, a stagné au cours de la dernière décennie. Bien que la Tunisie partage de nombreuses caractéristiques d’un pays à revenu intermédiaire supérieur, ses revenus moyens convergent maintenant lentement avec ceux des autres pays à revenu intermédiaire inférieur.
L’impasse politique dans laquelle se trouve la Tunisie, qui s’est traduite par un Parlement fragmenté et des difficultés à former un gouvernement, compromet tout effort de réforme économique. De nombreux Tunisiens instruits veulent quitter le pays et les étrangers n’investissent pas.
Une importante masse salariale publique et d’importantes subventions pour le carburant, la nourriture et le logement continuent de grever les caisses de l’État et d’approfondir les inégalités sociales et régionales. Cela s’explique par la manière disproportionnée dont ces subventions profitent à la classe moyenne et aux couches les plus riches plutôt qu’aux pauvres.
Les rendements agricoles restent également faibles (moins de deux tonnes par hectare) bien que l’agriculture consomme 80 % des ressources naturelles en eau du pays. Cette situation est particulièrement frappante car la Tunisie connaît un stress hydrique qui devrait s’aggraver avec l’impact du changement climatique. La dépendance à l’égard des importations de denrées alimentaires n’a donc cessé d’augmenter, laissant la Tunisie vulnérable aux chocs externes tels que la fluctuation des prix internationaux et la rupture des chaînes d’approvisionnement dans un contexte de diminution des réserves de devises et de Covid-19.
Les indicateurs de développement humain généralement bons de la Tunisie – tels que ses résultats impressionnants en matière d’éducation, la fourniture adéquate d’eau et d’installations sanitaires et l’élimination de l’extrême pauvreté – n’ont pas suffi à sortir le pays de son piège des revenus moyens.
Les trois scénarios élaborés par ISS donnent tous la priorité à la réforme de la gouvernance économique et politique et aux moteurs fondamentaux d’une Tunisie plus prospère. Le premier scénario – « Viser la croissance » – permet une plus grande liberté économique et poursuit la croissance économique à tout prix.
Le scénario « Leapfrogging » (saute-mouton)
Le second, « Leapfrogging » (saute-mouton), esquisse un avenir où la Tunisie tirera profit de son capital humain et de ses progrès technologiques substantiels pour construire une économie numérique à travers les secteurs de la finance, de l’éducation, de la santé, des télécommunications et des énergies renouvelables. Le dernier scénario, Durabilité et égalité, est un avenir où la Tunisie poursuit une croissance économique et un développement humain durables sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins.
Comme pour toute décision politique, chacun de ces scénarios s’accompagne d’opportunités et de compromis. Le scénario « Going for Growth » est celui qui prévoit la plus forte augmentation de la taille absolue de l’économie. Mais c’est le scénario « Durabilité et égalité » qui est le plus efficace pour réduire la pauvreté, les inégalités, la dépendance à l’égard des importations agricoles (en pourcentage de la demande nette) et les émissions de carbone, conformément aux efforts mondiaux visant à atténuer les effets du changement climatique.
La Tunisie a besoin d’une vision claire du développement qui favorise l’inclusion, plutôt que de laisser quelques initiés se partager la plus grande part du gâteau national. Pour y parvenir, le pays doit promouvoir une plus grande liberté économique et un meilleur cadre réglementaire des affaires qui favorise la transparence et la concurrence loyale.
Le pays devrait également réformer sa politique de l’emploi afin de donner plus de chances aux jeunes et aux femmes en matière d’emploi. Cela pourrait réduire la taille de l’économie informelle et générer des recettes fiscales pour le gouvernement. La réforme du système de subventions aux programmes de protection sociale tels que les allocations familiales universelles pourrait également favoriser une plus grande efficacité dans la réduction de la pauvreté et l’utilisation des fonds publics.
La cohésion politique est nécessaire pour donner vie à ces réformes économiques. La batterie de réformes économiques et politiques est la première étape fondamentale pour élaborer une vision et une voie de développement pour la Tunisie – quelles que soient les options de scénario présentées.
La Tunisie a également besoin d’une politique de sécurité alimentaire qui ne compromette pas la productivité de son secteur agricole. Elle importe actuellement des denrées alimentaires qu’elle pourrait produire, ce qui compromet le développement de la production agricole dans ces secteurs.
En plus de se faire le champion du commerce régional dans la région de l’Afrique du Nord, le pays pourrait investir et promouvoir la production agricole dans les produits méditerranéens pour lesquels il dispose d’un avantage comparatif. Cela devrait être fait de la manière la plus durable et optimale possible étant donné que la Tunisie est déjà menacée par le stress hydrique et les impacts prévus du changement climatique.
Pour entreprendre ces réformes, il faudra une grande volonté politique, des ressources financières et une vision commune à tous les Tunisiens, conclut ISS.