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Les trois sempiternelles crises qui assomment la Tunisie

Parmi les pays arabes qui ont connu des soulèvements il y a dix ans, la Tunisie, le seul pays à s’atteler à l’instauration d’un système politique démocratique, voit  sa démocratie se lester d’un lourd tribut de compromis, de mécontentement et de stagnation économique. Un état des lieux que dresse  le rigoureux et apartisan think tank américain Wilson Center où il relève que le pays est aujourd’hui aux prises avec  trois crises concomitantes. Tout d’abord, l’économie est dans un état lamentable, comme elle l’a été ces dix dernières années, sans lumière au bout du tunnel. Deuxièmement, les relations entre les partis politiques islamistes et laïques, fondées sur une acceptation mutuelle à contrecœur dans le passé, sont de plus en plus remises en question. Troisièmement, Ennahdha, le parti islamiste qui a joué un rôle crucial dans la transition, est confronté à une véritable crise de leadership. Le président du parti, Rached Ghannouchi, dont la flexibilité idéologique et le réalisme politique ont maintes fois sauvé la transition, arrive à la fin de son deuxième mandat et les règles du parti lui-même exigent qu’il se retire. Le congrès est profondément divisé sur la question.

L’économie tunisienne est au point mort depuis le soulèvement, abîmée par la précarité  des gouvernements successifs qui les a empêchés de mettre en place des réformes cruciales. Le sentiment que le pays reste instable déprime encore davantage les investissements nationaux et étrangers. Le PIB par habitant a plongé après 2010 pour se redresser légèrement les années suivantes, mais a de nouveau chuté en raison de la pandémie COVID-19. Selon les chiffres de la Banque mondiale, l’économie tunisienne s’est contractée de 21 % au cours du second semestre 2020, le tourisme a chuté de  47 % et les principales exportations manufacturières de 27 %. Le taux de chômage atteint aujourd’hui 18 %. La pauvreté augmente, bien que l’extrême pauvreté (définie comme un revenu quotidien inférieur à 1,90 dollar par jour) reste inférieure à 1 %. La baisse liée au COVID est spectaculaire mais, on l’espère, temporaire. Toutefois, la stagnation des dix dernières années est plus inquiétante, car les conditions sous-jacentes ne s’amélioreront probablement pas. L’instabilité du gouvernement reste un problème majeur.

Depuis 2011, la Tunisie a eu 11 gouvernements, avec une durée moyenne de 10 mois, ce qui laisse peu de temps pour la consolidation du  pouvoir et pour s’attaquer aux réformes. Cette instabilité est l’un des inconvénients de la démocratie, souligne Wilson Center qui fait remarquer que, dans  ce contexte économique morose, les tensions politiques s’accentuent et le mouvement  Ennahdha en tant qu’acteur politique  est une fois de plus remis en question. Les accusations de corruption se multiplient contre Ennahdha – en réalité, la corruption est profondément ancrée dans toute la classe politique et le principal parti islamiste n’est probablement pas pire que d’autres organisations, souligne Wilson Center. Mais en dépit de son succès électoral, Ennahdha n’a rien à montrer ces dernières années pour atténuer l’impact des accusations portées à son encontre. Rached Ghannouchi, le président du parlement, n’a pas été efficace dans son rôle. Que quelqu’un d’autre aurait pu faire mieux ou non, compte tenu des divisions marquées au sein du parlement, il est le président et assume la responsabilité de tout cela.

La menace qui émane d’Ennahdha

La crise interne d’Ennahdha est la menace la plus immédiate pour la situation politique déjà instable. Le parti a réussi jusqu’à présent à présenter une façade d’unité, malgré les divisions internes entre l’aile pragmatique dirigée par Ghannouchi et les éléments plus radicaux du parti. La faille se creuse également entre la vieille garde vieillissante qui a subi l’emprisonnement ou l’exil sous l’ancien régime et les membres plus jeunes qui sont apparus dans l’environnement de l’après-2011. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent qu’une scission formelle est envisageable.

L’approche du onzième congrès d’Ennahdha a précipité la crise. Les assises vont  définir une orientation politique pour la période à venir et surtout élire un nouveau président du parti. Selon les statuts, Rached Ghannouchi, qui a été président pendant deux mandats consécutifs, n’est pas rééligible, mais il a refusé de déclarer qu’il ne se présentera pas. En septembre 2020, un groupe d’une centaine de dirigeants du mouvement lui a envoyé une lettre lui demandant de déclarer qu’il ne se représenterait pas et qu’il convoquerait la convention avant la fin de l’année. Non seulement il a refusé d’obtempérer, mais il a également accusé les signataires de comploter contre lui. Un mois plus tard, le même groupe a publié une deuxième lettre, diffusée à la radio, se plaignant de la réponse de Ghannouchi et réitérant ses exigences.

Par la suite, une réunion du 10 novembre du conseil de la Choura, la plus haute instance du parti , a été boycottée par environ un tiers de ses membres. La lutte au sein de la formation politique s’envenime. Les partisans de Ghannouchi continuent de soutenir que dans la situation difficile que connaît la Tunisie, Ennahdha a besoin d’un leader charismatique et qu’il devrait donc être réélu, quoi que stipulent les statuts. D’autres considèrent la violation de ces derniers  comme un dangereux précédent qui menace non seulement la démocratie au sein du parti, mais aussi l’ensemble du système de gouvernance. Un certain nombre de solutions de compromis ont été suggérées – par exemple, élire un nouveau président mais créer un nouveau poste de haut niveau que Ghannouchi occuperait – mais aucune n’a eu beaucoup de succès jusqu’à présent. En attendant, les chances que la convention ait lieu avant la fin de l’année s’évaporent rapidement.

La manière dont Ennahdha gère la crise interne aura un impact sur tous les autres problèmes auxquels le pays est confronté. La réélection de Ghannouchi apporterait de l’eau au moulin des partis qui assurent qu’Ennahdha n’a pas sa place dans la politique d’un pays démocratique, même si les autres partis n’ont pas non plus de démocratie interne. Les batailles politiques, tant au sein d’Ennahdha que contre les partis rivaux, créeront davantage d’instabilité, détournant encore plus le Parlement de la réforme et assombrissant les perspectives de voir les problèmes économiques commencer à être abordés sérieusement. Dix ans plus tard, la démocratie tunisienne est en crise, conclut Wilson Center.

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