La grave situation économique et financière qui sévit dans leur pays ne semble pas tourmenter les Tunisiens ni même les inquiéter outre mesure. Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international, censé se prononcer sur le prêt de 1,9 milliard de dollars, ayant fait l’objet d’un SLA (Staff level agreement), tarde à le reprogrammer après l’avoir retiré de son ordre du jour à la mi-décembre 2021.
Les réunions du printemps du FMI et de la Banque mondiale approchent à grands pas sans sembler devoir battre le rappel du côté des autorités tunisiennes, encore sous le coup des célébrations exubérantes ponctuées d’accolades sans lendemain entre les responsables tunisiennes concernées et la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva. Ceci alors que tout le monde sait, et d’abord les Tunisiens eux-mêmes, qu’en l’absence de cet accord, la voie sera grande ouverte vers le défaut de paiement, le Club de Paris, et tous les affres y associés.
En lieu et place de l’Etat tunisien, gavé de promesses, c’est l’Italie qui a pris sur elle de se mettre en branle pour plaider la cause de la Tunisie auprès du Fonds monétaire international qu’elle exhorte à débloquer le prêt de 1,9 milliard de dollar, craignant que sans cet argent, le pays ne soit déstabilisé et ne déclenche une nouvelle vague de migrants vers l’Europe, a déclaré le ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani.
Les négociations sur le renflouement de la Tunisie avec le FMI sont dans l’impasse depuis des mois, les États-Unis, entre autres, exigeant des réformes profondes de la part du président Kais Saied pour débloquer l’argent.
Les efforts pour obtenir le renflouement ont été entravés par les bouleversements politiques que connaît la Tunisie depuis juillet 2021.Le président tunisien n’a jamais soutenu publiquement un accord avec le FMI, ce qui fait craindre aux donateurs qu’il ne revienne sur d’éventuelles réformes après l’arrivée de l’argent ou qu’il ne les rende responsables des difficultés économiques qui en résulteraient, estime l’International Business Times (IBT).
Toutefois, Tajani s’est entretenu avec la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, et l’a exhortée à faire preuve de souplesse afin d’éviter un éventuel effondrement financier.
« J’ai réitéré la nécessité pour le Fonds d’intervenir rapidement en faveur de la stabilisation et de la croissance de la Tunisie en lui apportant un soutien économique et financier », a-t-il déclaré à l’agence Reuters, reprise par ITB.
Le ministre a parlé du problème avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken et a soulevé la question avec ses homologues slovène et croate vendredi, avant une prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE.
La mise en garde de Giorgia Meloni
La Première ministre Giorgia Meloni est également « au téléphone », a déclaré un fonctionnaire, avertissant que l’Italie risquait une « invasion de migrants » dans les mois à venir si la Tunisie ne recevait pas l’argent.
L’Italie a accueilli 20 046 migrants par bateau jusqu’à présent en 2023, un nombre record, mettant le pays sur la voie de battre le record historique d’arrivées établi en 2016, lorsque 181 436 personnes ont atteint la terre ferme à bord d’une flottille d’embarcations peu solides.
Selon des données non officielles des Nations Unies, 12 000 des personnes ayant atteint l’Italie cette année ont pris la mer depuis la Tunisie, contre 1 300 au cours de la même période en 2022, ce qui constitue une inversion par rapport à la situation antérieure, où la Libye était le principal point de départ des migrants.
« La migration irrégulière incontrôlée ne peut être réduite qu’en améliorant les conditions de sécurité et de stabilité économique », a déclaré Tajani, ajoutant que l’Italie cherchait à accroître les possibilités de formation pour les Tunisiens en tant qu’alternative à la migration.
Toutefois, un représentant du gouvernement à Rome a déclaré que la situation était complexe, reconnaissant que la majorité des personnes ayant quitté la Tunisie cette année étaient des Africains originaires de pays subsahariens qui avaient décidé de se rendre en Europe à la suite des mesures de répression prises dans ce pays à l’encontre des étrangers.
Un haut fonctionnaire des Nations unies a déclaré que cette situation forçait les gens à fuir le pays, même s’ils n’avaient pas l’intention de faire la dangereuse traversée vers l’Europe.
Parmi les arrivées en Italie cette année, le premier pays d’origine est la Côte d’Ivoire (3 223), suivie de la Guinée (2 906). Le fonctionnaire de l’ONU a déclaré que la plupart de ces personnes étaient parties de Tunisie. À titre de comparaison, 1 535 Tunisiens sont arrivés en Italie depuis le début de l’année.
« La stabilité et la prospérité de la Tunisie, dans le respect des libertés et des droits fondamentaux, sont cruciales pour la stabilité de l’ensemble de la région méditerranéenne », a déclaré Tajani.
Meloni a pris ses fonctions en octobre en promettant de réduire les flux migratoires illégaux, mais les chiffres n’ont fait qu’augmenter depuis.
La question est devenue beaucoup plus sensible depuis qu’au moins 86 migrants se sont noyés dans un naufrage au large du sud de l’Italie à la fin du mois dernier, ce qui a donné lieu à des accusations selon lesquelles on n’avait pas fait assez pour les sauver – une accusation que le gouvernement a démentie.