Le chef de tout l’Etat tunisien est en train de créer une nouvelle race d’entrepreneurs. Une nouvelle caste de fortunés, qui plus est par l’argent des autres. Le dernier remaniement a ainsi apporté la création du poste de secrétaire d’Etat en charge des entreprises communautaires, et les déclarations et mesures se suivent pour leur donner les moyens d’éclore et de devenir florissantes. Et rien n’est trop beau pour les communautaires ; il ne manquerait plus qu’une exemption des taxes et impôts !
– C’est quoi une Communautaire ?
Ce nouveau mode entrepreneurial en Tunisie, qui a été lancé par le décret 15 de l’année 2022, « repose sur l’initiative collective et le bénéfice social », dit le texte qui précise qu’il s’agit d’une personne morale, créée par un ensemble de personnes physiques parmi les habitants de la région, et dont la « création vise à parvenir à la justice sociale et à une répartition équitable des richesses, grâce à l’exercice collectif de l’activité économique à partir de l’espace territorial où elle est installée ».
L’entreprise communautaire, dans le capital de laquelle chaque investisseur ne peut avoir plus d’une seule action, et un seul droit de vote indépendamment du montant de sa participation au capital, est une copropriété indivise. D’un minimum de 50 actionnaires obligatoirement inscrits sur les listes électorales municipales, elle est, soit locale avec un capital minimal de 10.000 DT, soit régionale avec un capital minimal de 20 mille DT, et ses actionnaires doivent être apolitiques, et ne jamais recourir aux dons. Les bénéfices distribuables sont les restes de l’exploitation.
L’inscription au RNE est obligatoire, ainsi que le contrôle des bilans par un Commissaire au comptes qui sont redevables auprès du Parquet d’information à propos de toute irrégularité relevée dans les comptes, bien qu’ils soient aussi tenus au secret professionnel.
Chose importante, peut aussi devenir entreprise communautaire toute entreprise commerciale passée par la loi 95 qui concerne les entreprises en difficultés. Elle doit, dans ce cas, ouvrir son capital à tout autre participant, tel que décrit dans le décret pour les constituants de tout Communautaire ! Les Communautaires, sont aussi sous les tutelles directes, d’abord du gouverneur de la région, et ensuite du ministère de l’Economie et de la planification.
– Des privilèges inédits pour la nouvelle caste de fortunés
D’après le ministère de l’Emploi, elles sont 85 Communautaires à s’être enregistrées au RNE, dont 68 régionales et une seule locale.
Selon l’article 92 du décret, les Communautaires sont exemptées de tous les impôts et taxes imposés par les législations fiscales en cours, pendant 10 ans, à partir de la date de leur constitution. Or, il suffirait des 2/3 des actionnaires pour dissoudre une Communautaire, ou qu’elle perd ¾ de son capital. Et cela pourrait intervenir avant 10 ans, et les mêmes personnes pourraient participer à une nouvelle Communautaire. Et la tentation de faire comme les SIVP n’est pas à exclure, surtout que la loi n’en a pas directement parlé !
Mi-septembre 2024, le SE auprès du ministère de l’Emploi et de la formation, un communiqué de presse, spécifiquement adressé aux entreprises communautaires (شركات اهلية), régionales et locales, les exonérant de l’obligation de présenter une quelconque étude d’impact sur l’environnement, un document nécessaire pour le promoteur, quel qu’il soit, pour obtenir la déclaration d’investissement auprès de l’Apii.
Autre privilège, et non des moindres en plus d’user des terres domaniales probablement en gratuité, la prime mensuelle de 800 DT, annoncée en septembre 2024 par la SE des Communautaires Hasna Jiballah. Cette dernière soulignait dernièrement « la nécessité d’étudier les projets d’entreprises communautaires, locales et régionales, dans les secteurs technologiques prometteurs, à capacité opérationnelle et à haute valeur ajoutée », assurant que « toutes les structures de l’État sont appelées à surmonter les difficultés et obstacles auxquels sont confrontés ceux qui sont à l’origine de cette nouvelle voie et de ce programme national, et déclarant que le Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle annoncera prochainement l’ouverture des inscriptions aux Communautaires pour bénéficier d’une subvention mensuelle visant à soutenir et faire avancer davantage le processus de création des Communautaires, locales et régionales ».
Selon les informations, puisées par Africanmanager auprès de la Cellule des Communautaires, la prime mensuelle des 800 DT ne sera pas servie aux personnes actionnaires des Communautaires, mais dans les comptes courants des entreprises elles-mêmes, comme une sorte fonds de roulement.
Le dernier privilège en date est la décision de la BTS, une banque tunisienne de solidarité créée par des participations citoyennes « forcées » du temps de Ben Ali et donc entreprise faisant appel public à l’épargne dont on voit peu de bilan publiés sur le site du CMF ou celui de la BVMT, d’accorder des crédits SANS GARANTIE. Mohamed Mohamed DC à la BTS, l’a confirmé à Africanmanager, et a même précisé que ces crédits peuvent atteindre les 300 mille DT (Ar).
– Des crédits, sans garantie et sans intérêt. Mais pour tous !
Suite à la révision du Code de Commerce, au départ pour la question des chèques sans provision, en juillet dernier, obligation est désormais faite à toutes les banques tunisiennes de réserver 8 % de leurs bénéfices annuels. Le montant, jugé à 100 MDT chaque année, devra être servi, chaque année et en totalité, en crédits aux PME. Des CREDITS cependant, SANS INTERET, et SANS GARANTIE. Aux PME donc, demandez du Flouze, il vous sera donné. Ces crédits à 0% profiteront aussi aux Communautaires, puisque chaque banque devra chaque année verser les 8 % de ses bénéfices dans ce qui sera une ligne de financement des Communautaires, conformément à l’article 32 de la loi de finance 2024 qui a mis en place cette ligne de financement spécial Communautaires.
– Certains banquiers sont en prison pour manque de garanties !
Que le pouvoir en place veuille créer une nouvelle caste de riches sur le dos des autres, banques en 1er lieu, et qu’il veuille faire concurrence aux entreprises déjà en place qui paient tous les impôts et taxes possibles et imaginables, cela pourrait se comprendre, et même se justifier dans une économie socialiste. Encore faut-il que cela soit équitable.
Comment en effet expliquer que certains hauts responsables de banques soient jetés en prison, et depuis plusieurs mois sans jugement, manifestement (Car aucune information officielle n’est disponible à leur propos), pour avoir donné des crédits SANS GARANTIE ?
Comment, aussi, expliquer que certaines entreprises prennent crédits SANS INTERET, et donc moins cher que celles qui seront bientôt leurs concurrentes directes, parfois avec un TMM à deux chiffres, qui auront moins de charges et vendront donc moins cher ?
Et de se poser en fait cette question centrale de savoir qui sauvera, sous un autre régime politique, ces banquiers d’une justice qui pourrait les rattraper un jour, comme elle a rattrapé récemment d’autres ?