AccueilCe que je croisRéinventer le modèle industriel tunisien.

Réinventer le modèle industriel tunisien.

Récemment, les médias se sont fait l’écho du départ de Tunisie des sociétés de représentation de laboratoires pharmaceutiques du suisse Novartis, de l’allemand Bayer, du britannique GlaxoSmithKline et de l’américain Pfizer. Auparavant, ce fût la cessation des opérations des pétroliers Petrofac, Shell, British Gas et autres, qui retint l’attention des médias.

Les capitaux bancaires ont commencé à mettre les voiles bien avant, avec le retrait des groupes français BNP Paribas et le groupe coopératif Banque Populaire-Natixis. En 2014, ce fut le retrait du géant mondial du tourisme TUI qui fit sensation. La liste est encore longue des entreprises qui ont « brûlé » les frontières de Tunisie.

La Tunisie est en voie de désertification industrielle. Ces départs ne sont hélas, ni anecdotiques ni isolés. Ils sont symptomatiques d’un mal plus profond, et d’un fléau qui s’est exacerbé depuis la « Révolution » et ronge littéralement le tissu productif tunisien. Un fléau en voie de dévaster le tissu industriel tunisien.

Si l’on se fie aux données les plus récentes de l’Agence en charge de la promotion de l’industrie, l’APII, ce ne sont pas moins de 121 entreprises industrielles « opérationnelles » qui ont pris le large au cours des douze derniers mois dont, 47 sont en partenariat avec des entreprises étrangères et 44 sont « totalement exportatrices ». Le bilan est franchement préoccupant lorsque cette mortalité des usines est appréhendée dans la durée. Au cours des cinq dernières années, le tissu industriel tunisien a perdu 533 entreprises dont 229 sont « totalement exportatrices ». Des chiffres qui témoignent que la Tunisie est en voie de désertification industrielle.

Le pays le moins industrialisé d’Afrique du Nord. Et de fait, depuis le déclenchement de la crise économique en 2008, la part de l’industrie dans le PIB n’a pas cessé de diminuer passant de 31,4% selon les données de la Banque Mondiale à 22,9% en

2021 cependant que la Maroc, a dans l’intervalle, réussi à préserver sa position malgré l’ampleur des délocalisations vers l’Europe centrale et l’Asie : 26,8%. La trajectoire de la Tunisie est telle qu’elle est devenue aujourd’hui, le pays le moins industrialisé d’Afrique du Nord. L’ampleur des fermetures industrielles est telle que la part des exportations de produits industriels est tombée à 73,3% au terme de troisième trimestre de cette année alors qu’elle se situait à 80,1% à la même date, cinq ans auparavant.

Cacher la vérité ne la fera pas disparaître. Les statistiques de l’investissement confirment le recul de l’industrie : la Tunisie a vu son taux d’investissement dévisser sans discontinuer depuis plus d’une décennie : de 24,5% en 2007-2008 il devrait s’établir à 15,2% en 2021-2022 selon les chiffres du FMI. La régression de l’investissement industriel productif est telle, que les organismes en charge de sa promotion (APII, FIPA et la Tunisian Investment Authority) ont opté pour la suspension pure et simple de leurs statistiques mensuelles. Une poursuite de la régression qui apparaît du reste par ailleurs, au niveau des importations de biens d’investissement : les achats à l’étranger de biens d’équipement ont « augmenté » cette année -en dinars courants-, à un rythme inférieur à l’inflation : 7,5% contre 35,0% pour les importations totales. Ils ont représenté cette année et pour la première fois depuis plus de quinze ans, moins du cinquième (19,4%) des importations totales de la Tunisie contre plus de 31,5% durant l’année pré-révolution 2010.

La politique de l’autruche est une bombe à retarde- ment. Malgré l’ampleur et la profondeur du processus de désertification industrielle, tous les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays depuis au moins deux décennies, ont refusé de prendre la mesure du phénomène. Ils ont fait montre d’un je-m’en-foutisme quand ce n’est pas d’aveuglement, face aux transformations qu’imposaient les mutations profondes de l’économie mondiale environnante. En refusant le modèle de Singapour et de l’île Maurice et en confortant un modèle vieillissant, à bout de souffle, ils ont de facto, consacré le déclin industriel de la Tunisie. Décrire et expliquer l’enchaînement des mauvais choix politiques qui ont conduit au déclin périlleux de l’industrie tunisienne est un exercice qui dépasse le cadre de cette chronique. Aussi, je me focaliserais uniquement sur les points suivants.

La Tunisie a raté le train des délocalisations. Dès les années 1990, la pensée stratégique qui a dominé dans les pays avancés, a considéré que le déclin industriel de l’Europe était inévitable. Les pays industrialisés devraient se spécialiser dans les produits de haute technologie et les services à forte valeur ajoutée qu’ils vendraient aux pays à bas coûts de main d’œuvre, lesquels fourniraient les produits industriels et l’énergie dont elle avait besoin. Une stratégie de croissance adaptée à la société postindustrielle qui a profité quasi exclusivement à la Chine et aux autres pays d’Asie ; des pays qui offraient des conditions de compétitivité qui n’ont d’égal que l’immensité de leurs marchés.

Face à cette concurrence, la Tunisie offrait l’image d’un pays rongé par la corruption, l’autoritarisme et le clanisme du régime Ben Ali et, depuis 2011, celui d’un pays politiquement instable qui souffre agitation sociale, lourdeurs bureaucratiques, réglementation versatile, logistique défaillante, etc.

La Tunisie est en passe de rater le train des relocalisations. L’épidémie de la Covid a mis en lumière l’extrême concentration des industries en Chine, sonné le glas des délocalisations en Asie et donné naissance à un mouvement en faveur des relocalisations. Toutefois, compte tenu des nombreux obstacles technologiques (l’Europe ne peut concurrencer l’Asie dans les téléviseurs), et économiques (la France ne pourra jamais concurrencer l’Inde dans la fabrication du paracétamol), c’est naturellement vers les pays de proximité (Europe centrale et Afrique du Nord) que l’Europe est en train de se tourner pour relocaliser certaines industries. La Tunisie, pays d’ouverture millénaire et si proche, est un site de prédilection tout désigné ; un site qui a été même élu et invité. Plutôt que de saisir cette opportunité, notre pays a continué de creuser le trou dans lequel il s’enfonce depuis 2011. Il s’est engagé sur la voie du retour vers l’autoritarisme, la fermeture sur l’extérieur, le dirigisme économique bureaucratique et la stigmatisation de l’entreprise privée.

Réinventer le modèle industriel tunisien. Pour tout dire, alors que le modèle industriel des années soixante-dix a été remis en cause par la mondialisation et les transferts massifs des chaînes de production vers l’Asie, la politique macroéconomique de la Tunisie n’a guère évolué pour développer l’attractivité du pays pour l’investissement, tirer profit de sa proximité avec les deux géants énergétiques qui la serrent, pallier le déficit de productivité du travailleur tunisien, élever la faiblesse de ses qualifications, acclimater le marché du travail, réduire les déficiences logistiques qui entravent le commerce extérieur, etc. L’État tunisien ne s’est guère investi -et n’a pas investi- pour favoriser l’émergence d’un écosystème industriel combinant des choix sectoriels clairs (électromécanique, pharmacie et logistique en entrepôt), mobilisation des régions, ouverture sur l’extérieur, financement des PME, fiscalité favorable à l’entreprise, démantèlement des mastodontes publics devenus des bastions qui bloquent l’innovation et le développement des initiatives entrepreneuriales, etc. L’État tunisien n’a guère eu une ambition politique aux fins d’aboutir à une communauté de l’énergie avec les deux géants qui le jouxtent et un passeport (circulation sans entraves) maghrébin. Pour s’en sortir, la Tunisie doit inventer un nouveau modèle économique, aussi audacieux que celui initié par H. Bourguiba en 1956-58, ce qui ne peut se faire ni en quelques mois, ni avec K. Saïed.

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