AccueilChiffreTunis : Des raisons de ne pas être optimiste, sur la Libye,...

Tunis : Des raisons de ne pas être optimiste, sur la Libye, le Dinar, le dialogue économique et même après les élections!

La Tunisie a misé sur une sortie rapide de la crise de la dette souveraine européenne pour redonner des couleurs à ses exportations. Il n’en est rien : une menace déflationniste frappe la zone euro et la BCE demeure dans une situation embarrassante. Tout le monde s’attendait à un dénouement rapide de la crise libyenne. Il n’en est rien : la guerre des clans déchire le tissu social et gangrène la stabilité du pays, remettant aux calendes grecques les espoirs que pourrait susciter la reconstruction de la Libye.

Avec la formation d’un gouvernement de technocrates, l’espoir était presque au zénith. Un gouvernement indépendant et très éloigné des querelles politiciennes ne pourrait que remettre la Tunisie sur le chemin de la réforme. Il n’en est rien : un diagnostic qui a duré plus de trois mois pour lancer un débat national très mal conçu, encore de l’hésitation pour engager les réformes les plus urgentes, une loi des finances 2014 qui n’est pas encore discutée …

Une nette appréciation du dinar a fêté la formation du nouveau gouvernement. Aujourd’hui, la monnaie tunisienne commence à subir des pressions baissières, très embarrassantes pour la BCT surtout avec le tarissement de ses réserves de change.

Le recours à l’emprunt national était l’occasion tant attendue pour mobiliser l’épargne des bas de laine afin de boucler le budget de l’Etat sans toucher à la liquidité bancaire. Il n’en est rien : les institutions financières ont pesé de tout leur poids pour lever les fonds et boucler l’opération, dans un environnement financier marqué par l’assèchement de la liquidité.

La présente réflexion, de l’économiste du Broker Mac Sa le Professeur Moez Labidi qui se pose la question « y a-t-il de l’espoir après tant de déceptions, revient sur une série de déceptions (internes et externes) qui ont ébranlé les certitudes des analystes prédisant à la Tunisie de la révolution un niveau de croissance largement suffisant pour inverser la courbe du chômage.

– Libye : L’« Eldorado » s’enfonce dans le chaos

Avec la chute de Kadhafi, tout le monde s’attendait à un dénouement rapide de la crise libyenne. On parlait même de la naissance du nouveau Dubaï de l’Afrique du Nord. Des marchés juteux pour les hommes d’affaires tunisiens en termes d’exportations de biens et services, un flux d’investissements directs, et surtout une aubaine pour le chômage tunisien, qui pourraient dissiper la grisaille qui caractérisait l’environnement économique au lendemain du 14 janvier, bâtiment et tourisme en tête.

Trois ans après la chute du régime libyen, les institutions ne sont pas fonctionnelles. Même les services de sécurité sont incapables de maintenir l’ordre dans le pays. L’Eldorado libyen n’attire plus personne. Un pays en proie à une extrême violence. Pire encore, au terme de trois ans, la Libye s’impose comme la capitale du terrorisme religieux dans la région. Une grande déception pour les Tunisiens qui ont misé sur une reconstruction rapide pour booster leurs chiffres d’affaires. Les relations diplomatiques demeurent en dents de scie. Le banditisme dicte sa loi sur les circuits de distribution et profite des frontières encore poreuses. Bref, un climat d’instabilité politique et de violence urbaine, néfaste pour les affaires, s’installe. Et du coup, la reconstruction de la Libye est compromise.

– Taux de change : après l’optimisme démesuré, le dinar commence à perdre du terrain

L’appréciation du dinar, observée au lendemain de l’arrivée du nouveau gouvernement n’a pas cessé de s’évaporer. L’hésitation dans le traitement de certains dossiers y était pour beaucoup.

Résultat : du retard dans l’élaboration de la loi de finance complémentaire et dans la présentation de la nouvelle version du code d’investissement qui continue sa ballade entre La Kasbah et Le Bardo.

Les opérateurs ont misé, au départ, sur un gouvernement qui aura l’audace de déclencher le cycle des réformes, et la fermeté pour rétablir l’ordre afin que la machine économique puisse reprendre à son rythme habituel. De quoi alimenter les positions acheteuses sur le dinar.

Aujourd’hui, les pressions baissières sur le dinar sont de retour. Plusieurs indicateurs macro-économiques alimentent les inquiétudes des opérateurs. Le déficit courant ne cesse de se creuser : 3.8% pour les quatre premiers mois de 2014 contre 2.2% pour la même période de 2013. L’inflation est aussi de retour : après son recul de 6% à 5% entre décembre 2013 et mars 2014, elle entame un nouveau trend haussier, 5.2% en avril et 5.4% en mai. Un stock de réserves de devises tutoyant la barre de 90 jours (97 jours le 5 juin 2014), un indicateur largement suivi par les observateurs internationaux. Le géant de la notation, Moody’s, dans son dernier communiqué, envisagerait même une dégradation de la notation en cas d’une baisse significative des réserves en devises.

L’investissement direct étranger est encore plombé à cause du manque de visibilité politique générée par l’arrivée de la saison électorale. Bref, le dinar continue de subir de plein fouet la dégradation des fondamentaux et l’hésitation du gouvernement.

– Dialogue économique national : une dynamique de réforme grippée par les tergiversations politiques

Tout le monde s’accorde sur l’importance d’une démarche consensuelle pour déclencher une dynamique de réforme. Sous le soleil du Quartet, la Tunisie a évité de glisser dans les méandres de l’instabilité politique et son cortège de violence. Et la formation d’un gouvernement de technocrates a réveillé encore une fois, l’espoir de construire une Tunisie nouvelle, en rupture avec le « virus de la main tremblante » qui a frappé les différents gouvernements de la Tunisie post-14 janvier 2011.

Une grande déception! L’hésitation n’a pas quitté la Kasbah et, de ce fait, la dynamique de réforme encaisse, encore une fois, un mauvais coup.

La précipitation du gouvernement dans la préparation du dialogue national (aucune note d’orientation, domination des partis politiques, absence de certaines organisations professionnelles, confusion entre objectifs de court et de long terme …), a ouvert la porte à la symphonie populiste de certains partis pour jouer leurs partitions.

– Emprunt national : un montage mal ficelé

Peut-on parler de réussite de l’emprunt national ? Contrairement aux émissions classiques de BTA et aux émissions corporates sur le marché financier, où la réussite se mesure à la capacité de l’émetteur à lever le montant demandé, la réussite de l’emprunt national se mesure uniquement au degré d’attractivité de l’épargne échappant aux circuits financiers institutionnalisés (placements bancaires et financiers). Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui où c’est plutôt une partie de l’épargne bancaire qui a été détournée vers les titres de l’Etat. Et ceci, soit en puisant dans l’épargne des ménages, soit à travers l’implication des institutionnels et des établissements de crédit.

Le gouvernement arrivera, certainement au terme de la période de souscription (13 juin 2014), à collecter les 500 MD. Ses appels aux acteurs financiers de la place finiront par amener les institutions financières à s’impliquer davantage dans les opérations de souscription.

Lors du montage de l’opération, le Trésor n’a pas tenu compte d’un certain nombre de points :

Le mode de financement n’est pas très adéquat. La concentration des remboursements en 2016 et 2017 (emprunts qatari, américain, japonais, ..) plaident pour un remboursement in fine surtout pour l’emprunt de Type A dont la maturité est de cinq ans, et un remboursement avec quatre ans de délai de grâce pour les deux autres (de Type B et C).

L’implication des institutions financières est pénalisante à double niveaux. Elle est pénalisante pour l’investissement, dans la mesure où elle est génératrice d’effet d’éviction (crowding-out effect). Le financement des dépenses publiques évince l’investissement privé. Mais cette implication des institutions est aussi pénalisante pour le budget de l’Etat, puisque le Trésor serait amené à verser aux institutions impliquées dans l’opération, une rémunération dépassant celle des BTA, de quoi alourdir le service de la dette pour une économie déjà bien étouffée. Du coup, pourquoi tout ce tapage médiatique ? Ne serait-il pas plus rentable d’émettre plus de BTA pour mobiliser les 500 millions de dinars ? !

Enfin, l’appréciation de la prime de risque de l’émetteur souverain tunisien par les citoyens est largement supérieure à celle des agences de rating et des souscripteurs traditionnels des BTA. Cette différence d’appréciation explique le manque d’enthousiasme surtout chez les ménages, malgré un taux d’intérêt dépassant celui offert sur les BTA. Plusieurs facteurs justifient une telle réticence : pressions inflationnistes, craintes d’une affectation des fonds aux dépenses improductives, défaillances dans la stratégie de communication (référence abusive à la thèse de la « faillite de l’Etat »), …

– Perspectives politiques : une visibilité en demi-teinte

Certes, la cacophonie institutionnelle qui a plombé le climat des affaires durant les trois dernières années est bien derrière nous. Mais il est très tôt pour crier victoire, surtout lorsque les tiraillements politiques observés aujourd’hui demeurent très éloignés des priorités de la Tunisie. Le débat sur l’ordre des élections (organisation simultanée vs organisation séparée avec ses deux variantes) et les menaces de boycott brandies à gauche et à droite, nous offrent un très bon exemple.

La Tunisie n’a pas assez de marge pour redresser son économie. Les défis sont multiples et leur cumul pourrait devenir un cocktail explosif.

A court terme, le creusement des déficits jumeaux (budgétaire et courant) est devenu alarmant surtout dans une économie où le profil de la dette est déjà défavorable, et où la productivité du travail est noyée dans un océan de revendications démesurées. La Tunisie a besoin d’une réforme fiscale courageuse. Un lifting du côté des recettes de l’Etat doit précéder les efforts de maîtrise des dépenses (compensation), qui sont aussi inévitables.

A moyen terme, compte tenu du vieillissement de la population, la Tunisie devra opter pour une politique budgétaire stricte et crédible. La réforme du système éducatif est incontournable pour inverser la courbe du chômage des diplômés. C’est la rénovation du système de transport public (qualité, ponctualité, …) qui pourrait faire fondre les dépenses de compensation (volet énergétique),

Pour réformer, nous avons besoin certainement de décisions, mais surtout de vision. Evitons le bricolage et désinfectons la Kasbah du « virus de la main tremblante ». Car lorsque l’audace est défaillante, la performance économique est forcément absente.

Face à un banditisme dévastateur pour tous les secteurs (construction, circuits de distribution, transport, environnement, aménagement du territoire, …), l’Etat de droit doit être présent pour appliquer la loi avec la plus grande fermeté. Bref, osons déclencher la machine de la réforme, avant que l’ouragan des élections ne touche les côtes de la paix sociale.

- Publicité-

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Réseaux Sociaux

108,654FansJ'aime
480,852SuiveursSuivre
5,135SuiveursSuivre
624AbonnésS'abonner
- Publicité -