AccueilLa UNETunisie : Ennahdha peut-elle réussir à gouverner ?

Tunisie : Ennahdha peut-elle réussir à gouverner ?

Le parti islamiste a vaincu et remporté la majorité des sièges de la nouvelle constituante en Tunisie. Après 23 ans de clandestinité, Ennahdha hérite ainsi du pouvoir dans la Tunisie de l’après Ben Ali. Dès l’annonce des premiers résultats, Ennahdha a commencé par développer un langage conciliateur et si l’on veut être tiseur, on dira un langage «politiquement correct». Sitôt que vous demandez à l’un de ses membres, par exemple «qu’allez-vous faire» pour résoudre tel ou tel problème, il vous corrigera d’abord par un «qu’allons-nous faire» pour le résoudre. Face à un paysage partisan politique qui implose presque [le PDP de Chebbi qui se range désormais dans l’opposition, le parti d’Inoubli qui s’auto-dissout, certaines listes d’Al Aridha qui désavouent leur chef et la première démission d’Afek Tounes] par les effets inattendus des élections, Ennahdha tend visiblement aussi la main à toutes les parties prenantes de la scène politique, même à ceux qui n’ont remporté aucun siège dans  la Constituante, lors des élections du 23 octobre 2011. Il est cependant tout aussi légitime de se poser la question de savoir si le parti Ennahdha avait un autre choix que de tendre les mains. Appartenant au même mouvement islamiste d’Ennahdha, bien que s’étant présenté aux élections du 23 octobre dans une liste indépendante, Abdelfattah Mourou avait saisi le sens du véritable objectif de Néjib Chebbi lorsqu’il avait annoncé que le PDP refuse toute coalition et se place désormais dans l’opposition.

«Etre ou ne pas être»

Ennahdha avait vite compris que, seule au pouvoir, après avoir accepté et certifié que le mandat de la Constituante ne dépasse pas les 12 mois, elle sera en face de plus de 100 partis d’opposition.

Ce nouveau front, et alors qu’elle sera toute seule à se «démerder» à gouverner l’ingouvernable ou presque et à se débattre dans la multitude de problèmes, sociaux, économiques, financiers et personnels des Tunisiens qui attendent, depuis 10 mois, emploi, plus de salaires et plus de développement,  se consacrera non seulement à préparer la prochaine échéance électorale, mais aura aussi l’occasion de faire des échecs d’Ennahdha un moyen de revenir avec force dans les urnes.

Les partis politiques, perdant ou peu gagnants, ont aussi pris conscience de l’importance de ce statut  position d’opposants que leur offre leur échec face à Ennahdha et pour ou contre l’entrée en opposition. Dans certains partis, les divergences n’arrivent pas encore à dégager une position claire autour de la coalition avec le parti majoritaire. La dernière démission d’Afek Tounes et l’indécision de Mustapha Ben Jaafar à annoncer clairement son acceptation, pourraient en être la preuve.

Gouverner toute seule, dans cette conjoncture nationale difficile où les mouvements revendicatifs reprennent de plus belle, où l’économie clopine, estropiée du tourisme et des IDE, mettrait Ennahdha seule face à ses responsabilités en cas d’échec et lui porterait un coup fatal sinon douloureux, lors des prochaines élections. Prévue initialement pour le 9 novembre, la première réunion de la Constituante attend toujours l’officialisation des résultats des élections du 23 octobre, qui ne saurait intervenir avant la forclusion des délais des plaintes contre les dépassements et irrégularités commises par certaines listes. Cela, si on ne tient pas compte des discussions qui font toujours polémique autour de la vocation à imprimer  au prochain gouvernement : politique ou technocrate.

Des problèmes en montagnes russes.

Une fois le gouvernement formé, il faudra que ses composantes politiques se mettent d’accord sur le programme, économique notamment, à lui confier pour exécution. En face, ils auront (ceux qui participeront à ce gouvernement) une population aux immenses attentes, nationales, régionales, personnelles, d’emplois pour les diplômés, d’emplois pour les 700 mille chômeurs, de développement et d’équilibre  régional, de justice sociale, d’équité fiscale, de moyens financiers à trouver pour relancer l’économie, le dossier de la corruption de la justice, de la réconciliation nationale, le dossier de l’avenir des entreprises confisquées. Mais aussi le dossier du rétablissement   de l’autorité de l’Etat et de ses institutions, la restauration de la confiance chez les hommes d’affaires accusés et attaqués de toutes parts et la gestion de l’épineuse question syndicale. Autant de dossiers, tous plus urgents les uns que les autres et tout aussi délicats que les autres.
Certains ministères seront, pour les nouveaux gouvernants, plus inaccessibles que d’autres, comme l’intérieur ou les finances. Cela expliquerait que certaines sources, chez Ennahdha, laissent déjà filtrer des noms de ministres dont les actuels titulaires pourraient être maintenus. On évoque ainsi ceux de Jalloul Ayed pour les finances, Habib Essid pour l’intérieur, Mustapha Kamel Nabli pour la Banque centrale. A tout cela, il faudra ajouter les exigences et les concessions pour la distribution des fauteuils ministériels et les tractations qui s’en suivront. Mustapha Ben Jaafar menace déjà de se retirer d’un gouvernement où il ne trouvera pas «les conditions adéquates, rappelant son retrait du premier gouvernement de Mohamed Ghannouchi.

Avec tout cela, Ennahdha  se rendrait de plus en plus compte, et ce depuis le 23 octobre, selon des sources proches du parti islamiste, que son chef historique Rached Ghannouchi commence à faire un peu trop d’ombre à son candidat au poste de chef de gouvernement et penserait même à lui adjuger le rôle du «gardien du temple» de sa doctrine et de l’orthodoxie du mouvement. Le temps et les médias faisant, Hammadi Jbali réussit, en effet, petit à petit, à donner une image plus moderne, plus ouverte, plus humaine à un parti qui n’arrive pas encore à se défaire de son histoire fortement teintée d’intégrisme, de fermeture, celle d’un parti iconoclaste où les images des brûlés de Bab Souika et des bombes de Sousse et de Monastir ont toujours du mal à  s’estomper. Réussira-t-elle à surmonter tous ces défis, en 12 mois ? Population et opposants seront certainement vigilants, critiques et prêts à changer leur fusil d’épaule lors des prochaines élections. «Inchallah »

Khaled Boumiza

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