AccueilLa UNEUn décret bien torché. Presse en ligne, Facebookeurs, Instagrameurs et autres « Admins »,...

Un décret bien torché. Presse en ligne, Facebookeurs, Instagrameurs et autres « Admins », désormais menacés de prison

Il y a plus de 20 ans, un journaliste passait en justice à Tunis. Il avait alors écrit un article sur une entreprise en difficultés financières, alors dirigée par une femme. Le journaliste avait puisé ses informations auprès de la gérante elle-même, qui était alors proche des familles au pouvoir. Devant le juge d’instruction, qui l’avait clairement mentionné, elle avait admis en être la source. Plus tard, ses propres déclarations l’avaient rattrapée alors qu’elle tentait de décrocher un marché.

Aidée de la sœur d’un ministre de l’époque, elle déposa plainte sur plainte. Toutes étaient basées sur l’article 86 du code des télécommunications qui, stipulait que « Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à deux (2) ans et d’une amende de cent (100) à mille (1000) dinars, quiconque sciemment nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications ».

Le journaliste raconte. « On était en 1ère instance à l’Ariana. Les juges assis regardèrent le dossier, se consultèrent, et le président s’adresse au représentant du Parquet pour lui rappeler que c’est un journaliste. Ce dernier répondit, qu’il soit déféré (عديه) ». Le journaliste en avait alors récolté 3 mois de prison, commués  en sursis après appel.

 Le juge avait alors sciemment choisi de ne pas le déférer au nom du code de la presse, et avait sciemment choisi un texte de loi, plus large d’application, pour l’intimider et mettre à l’abri une personne criminelle, car elle était proche des cercles du pouvoir de l’époque !

–          Un article qui incrimine, par impact indirect, toute la presse

Il y a déjà, pour mieux contrôler la presse et la liberté d’opinion, le décret-loi 2011-115, en plus dudit article 86, toujours applicable. Il y a désormais, et en plus, l’article 24 du décret-loi 54/22, relatif à la « lutte contre les crimes en relation avec les systèmes d’information ». Lui aussi permettra à tous ceux qui voudraient noyer leurs chiens de les accuser de rage et ouvrira  une brèche pour toute dérive judiciaire à objet politicien.  

Toute la presse, écrite, audiovisuelle ou surtout électronique, est en lien directe avec les systèmes d’information et sur les réseaux sociaux qui utilisent ses systèmes d’information pour toucher un large public.

Traduction approximative : « Est punie de 5 années de prison et d’une amende de 5.000 DT, toute personne qui utilise sciemment les réseaux ou systèmes d’information et de communication, pour produire ou diffuser, ou éditer ou envoyer ou préparer des informations, ou desdonnées, ou des Fakenews, ou des documents contrefaits ou falsifiés, ou faussement adossées, dans le but de porter atteinte à l’ordre public, aux forces armées, ou de semer la peur parmi la population.
Est punie des mêmes peines, toute personne qui utilise sciemment les systèmes d’information (…) dans le but diffamer les autres, porter atteintes à leur réputation, ou porter matériellement ou moralement, aux autres, ou inciter à un discours de haine (…) »

L’article 24 criminalise tout ce qui est édité via un système d’information, et à plus forte raison sur les réseaux sociaux, comme Facebook, LinkedIn, Instagram et autres. Il suffirait pour cela qu’un plaignant, lambda ou officiel, estime être lésé par une information de presse, par un chroniqueur, ou par le statut ou la réaction à un statut paru sur les réseaux sociaux, pour que l’éditeur écope  de 5 années de prison et d’une amende de 50 mille DT, sous l’accusation d’atteinte aux droits d’autrui, d’atteinte à la sécurité nationale et  celle de semer la peur parmi  la population. Le  biais d’accusation, dans cet article, est tellement large, qu’il  peut désormais atteindre TOUS !

–          Toute Fakenews, n’est pas aussi Fake que cela

Rappelons-nous l’affaire du document fuité en mai 2021 et relatif à des préparatifs d’un « coup d’Etat ». Ce terme a été dénoncé par le palais de Carthage, mais plusieurs des détails de ce prétendu plan ne s’étaient-ils pas avérés en juillet de la même année ?

Souvenons-nous du document, classé « Strictement confidentiel » par le gouvernement de 2013 qui l’envoyait alors à Christine Lagarde du FMI, et qui avait fuité. Ne s’était-il pas par la suite révélé exact ?

Les lanceurs d’alertes, comme certaines émissions TV, qu’on retrouve par la suite sur les réseaux sociaux via des systèmes d’information, n’avaient-ils pas permis d’éviter la commission de plus d’un crime ou délit ? Des affaires, comme celle des déchets italiens, n’avaient-elles pas été révélées par des lanceurs d’alerte qu’on avait au début traités de Fakenews ?

Toutes pouvaient être supposées troubler l’ordre public et semer la peur dans la population, et sont désormais passibles de prison ! Devrait-on désormais faire taire tous les lanceurs d’alerte, car le chef de l’Etat, ou l’un de ses ministres ou proches se font attaquer sur les réseaux sociaux ? Et où est la liberté d’opinion dans tout cela ? Qui protègera la liberté de la presse ? Le SNJT, ou l’UGTT qui n’ont aucunement réagi à cet article ? Car cela n’arrivera pas qu’aux autres, et les murs les plus hauts commencent toujours par quelques pierres !

–          Webmasters et autres Admins, seront désormais « criminalisables »

Tous les éditeurs, tous les Webmasters, tous les « Admin » ne sont pas des fabricants de Fakenews, bien qu’il en existe bel et bien tant et tant  en Tunisie. Et il est connu qu’une Fakenews sortie en « temps T », pourrait devenir real-news au « temps T+1 ». Ce ne sont que l’heure, le jour, et la conjoncture qui changent.

Mais tous deviennent, par cet article 24, susceptibles de passer par la case prison. Il suffirait pour cela que l’information incriminée ne soit pas du goût du plaignant, surtout s’il a le bras long et matériellement outillé, et trouve oreille attentive chez un juge, même de bonne foi car ayant déjà été victime, pour que le couperet de 5 an et 50 mille DT d’amende tombe sur la tête de l’accusé. D’autant qu’il est reconnu au magistrat une latitude d’interprétation souveraine induite par un texte au spectre très large.

Comment considérer alors ces personnes, proches du pouvoir en place et qui se sont spécialisée dans la lutte contre le Fakenews en utilisant le « Deep fake » pour défendre leurs poulains ? Que faire avec les journaux qui sortiraient des informations confidentielles, qui ne sont parfois même pas démenties, qui dérangeraient les dirigeants ou dévoileraient leurs projets, mis qui deviennent par la suite réalités ?

Le ministère tunisien de l’Intérieur accusait, jeudi dernier, lors d’un point de presse, « des parties anonymes de travailler de manière extrajudiciaire à la diffusion de rumeurs malveillantes et de mensonges qui visent la stabilité et la sécurité du pays ».

La cheffe du bureau des médias du ministre de l’Intérieur, Faker Bouzghaia,  rapportée par MEMO, a, pour sa part, indiqué que « les mensonges répandus sur les réseaux sociaux l’ont été  par des partis connus des services du ministère ». L’Agence Technique des Télécommunications, y a certainement joué un rôle majeur, et pourrait toujours le faire, d’autant qu’elle agit en étroite collaboration avec la justice, et débusquer ainsi plus proprement les véritables fauteurs de troubles et autres criminels cybernétiques.

Pourquoi n’irait-on pas alors directement les arrêter, et éviter la confusion entre presse et diffuseurs de rumeurs en réécrivant cet article 24 en en excluant la presse, tous supports confondus, qui a déjà un code qui la règlemente ?  

- Publicité-

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Réseaux Sociaux

108,654FansJ'aime
480,852SuiveursSuivre
5,135SuiveursSuivre
624AbonnésS'abonner
- Publicité -