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Tunisie : Le long fleuve tranquille de la corruption

Endémique, sport national, tentaculaire, le lexique est copieux qui désigne la corruption en Tunisie. Qu’elle soit grande ou petite, publique ou privée, elle n’épargne que très peu de compartiments de l’activité financière et sociale du pays. Mais, autant que puissent être ses formes, elle a cette singularité qu’elle demeure généralement impunie, malgré les ferventes professions de foi, les discours enflammés des politiques et le maquis des lois censées la combattre. Le fléau auquel il pouvait arriver d’être contrôlé sous l’ancien régime pour être l’apanage de quelques prépondérants et certaines oligarchies, a ostensiblement explosé après la Révolution dont les gouvernements successifs, impotents et nullement animés par la moindre volonté politique, ont laissé faire, en passant par pertes un désastre de cette ampleur.

Les chiffres de la corruption sont effarants : deux milliards de dinars, selon le président de l’Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption (INLUCC), Chawki Tabib. « C’est beaucoup trop pour notre économie », a-t-il relevé. Le justicier de l’INLUCC, dont ont connaît l’ardeur à la tâche, n’est pas avare de coups de colère, d’exaspération sur tous les tons, mais semble désarmé face à une nébuleuse, une sorte de pieuvre colossale qui bénéficie d’un immense réseau de complicités à tous les étages. Il ne lui reste alors qu’à professer presque en vase clos, pour ne pas dire dans le désert, des idées-chocs, des recettes, le plus souvent chimériques, pour éradiquer ce qui est devenu un phénomène insaisissable, une vraie industrie régie par ses propres codes.

L’actuel gouvernement se démène comme il peut, parfois avec des déclarations tonitruantes, comminatoires et de peu d’effet comme celles faites par son chef, Youssef Chahed, de jeter en prison les corrompus. Mais il oublie manifestement, les pourris, surtout les « ripoux » d’entre eux, qui pullulent dans l’administration, ceux en col blanc.

Le Pôle, est-ce suffisant ?

Ne voyant rien venir et les barons toujours dans la nature, le gouvernement semble sonder par d’autres biais et raccourcis une sorte de voie passante, la création du Pôle judiciaire économique et financier dont le projet de loi organique est en discussion avec la Représentation nationale. Le ministre de la Justice pense que c’est là « un nouveau jalon dans le processus de lutte contre la corruption financière et les délits économiques et financiers et dans les efforts visant à rétablir la confiance dans la justice et le gouvernement ». Un texte qui pourrait être regardé comme l’embryon d’une justice contre la criminalité et la délinquance financière pour peu que les magistrats du Parquet comme du siège puissent disposer des moyens, forcément sophistiqués, de mettre hors d’état de nuire d’ingénieux barons, auxquels rien ne manque pour vaquer à leur sinistre occupation.

Par moyens, il faut entre des juges qui suffisent à la tâche en nombre et en savoir-faire au contraire du rachitique effectif actuellement en service au Pôle qui ne compte qu’une dizaine de magistrats qui ne savent pas, plus est, où donner de la tête face à des milliers de dossiers qui encombrent le prétoire. On leur fait généralement grief de ne pas être adéquatement versés dans l’investigation et la manifestation de la vérité s’agissant des crimes et délits, bref des faits de corruption, si inextricables et opaques. Pourtant, la Tunisie , de l’avis unanime, dispose de bons textes en matière de lutte contre la corruption, qui demandent à être complétés par d’autres qui instaurent par exemple la présomption de culpabilité qui devrait se substituer à la présomption d’innocence au sujet des détenteurs des biens mal acquis. D’ailleurs, ce régime de preuve a été grandement efficace en Italie dans la lutte contre la mafia. Il importe aussi d’enrichir l’arsenal juridique, notamment en matière de vérification des patrimoines et de lutte contre les conflits d’intérêt. Le code pénal aussi doit être remis au goût du jour en ce sens qu’il ne punit pas certaines formes de corruption dans le secteur privé. Les conflits d’intérêts, la déclaration de patrimoine, la protection juridique des donneurs d’alerte sont autant d’éléments qui ne sont pas suffisamment codifiés.

Même si chantiers juridiques et judiciaires venaient à voir le jour et à être lancés comme il se doit, la lutte contre la corruption ne serait pas menée à bon port en un tournemain, en quelques années. C’est une question de générations. Certains pays, cités comme exemples de réussite en la matière, tel que Singapour, ont mis plus quarante ans pour le faire. Vaste programme !

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