Il est bon de rappeler, alors que Youssef Chahed choisit encore les hommes de son gouvernement, que l’une des erreurs fatales du gouvernement Essid avait été son incapacité à être, et au moins à paraître, le chef de gouvernement qu’il a été fait malgré lui. N’ayant pas déjà «la tête de l’emploi», il s’était compliqué les choses par un mauvais choix de l’équipe de communication. Une communication faite par des néophytes et des personnes qui n’avaient de la communication que la connaissance de certains décideurs. Une communication qui a fini par désavantager un chef de gouvernement, déjà handicapé par la langue et les premières images qui ont été données de lui.
Une «stratégie», s’il est possible l’appeler ainsi, de communication qui avait tenu le premier personnage de l’Etat loin de la population dont il dirigeait les destinées, lui choisissait ses interlocuteurs et même parfois les questions qui devaient lui être posées. Une «stratégie» qui avait contribué à créer une véritable cassure entre gouvernés et gouvernants en Tunisie.
Une fracture, faut-il le rappeler, qui existait bien avant Essid, mais du temps du gouvernement de Mehdi Jomaa qui n’était jamais arrivé à fédérer la population autour de ses idées, de ses projets, même si, lui comme les autres, n’a jamais pu dépasser les projets trouvés dans les tiroirs et issus des gouvernements d’avant la révolution. Une rupture due à une stratégie de communication qui n’avait de but que de soutenir les projets «court-termistes» d’un chef de gouvernement qui se connaissait plus que temporaire et dont le seul objectif était de réussir des élections, sans autre but ou objectif économique, commercial ou encore moins d’équilibres financiers ou de réformes structurelle. Tout cela avait été dit, directement et de vive voix, aux deux anciens chefs de gouvernement.
Jomaa, comme Essid étaient conscients de cette grosse déficience de communication, de contact direct avec la population pour les amener à adopter leurs plans d’action. L’un et l’autre avaient continué à user des mêmes artifices traditionnels d’une communication, lapidaire, jamais transparente, à sens unique, c’est-à-dire de haut en bas par le biais de communiqués, d’apparitions télévisées sous la pression de crises de toutes sortes, du choix délibéré d’éviter les médias publics et du recours à des médias privés qui finissent par exceller à utiliser cette stratégie pour leur propre stratégie d’expansion sans rendre aucun service aux objectifs essentiels, politiques, sociaux et économiques de la communication du gouvernement.
Les deux le savaient sans jamais oser franchir le pas. A titre de comparaison, la communication du parti islamiste tunisien avait été confiée à l’agence américaine Burson-Marsteller. On pensera ce qu’on voudra d’Ennahdha, mais nul ne peut nier les changements introduits par cette nouvelle stratégie de communication sur l’image du parti islamiste tunisien, tant à l’étranger qu’en Tunisie. Essid a continué à recourir aux mêmes dilettantes et il en a payé le prix.
Passant le témoin à Youssef Chahed, il semble lui avoir transmis aussi la même volonté de faire peu de cas de l’importance de la communication, pas uniquement dans le sens PR (Press Relations), rédaction et diffusion des communiqués de presse, mais dans celui plus large de la volonté d’impulser aux gouvernés les mêmes pulsions qui pourraient animer le gouvernant pour l’amener à adopter sa démarcher, à se reconnaître dans les mêmes projets et ne pas refuser le plan d’action pour y parvenir. Cela demande un autre type de communication, d’autres moyens et d’autres hommes.
S’il est vrai que «on est toujours mieux dans ses vieux souliers», il n’est pas vrai que «c’est dans les veilles marmites qu’on fait les meilleures soupes». Alors que les islamistes changent et se donnent les grands moyens de changer ou de faire croire qu’ils le font, les gouvernements successifs depuis 2014 agissent en dilettantes avec des dilettantes et les petits moyens des dilettantes. Résultat, ce sont des gouvernements qui ne durent pas car ils ne savent pas parler au peuple et s’occupent peu d’apprendre à le faire, en puisant dans les mêmes recettes et les mêmes pépinières !