Moins de deux mois avant les municipales de 2018 en Tunisie, il nous semble utile de rappeler quelques petites vérités, qui ne plairont certainement pas, au moins à quelques partis en place.

D’abord, le fait qu’elles auront lieu dans un environnement, surtout économique, nettement plus dégradé que celui des dernières législatives et présidentielles de 2014. Un environnement où plus d’un parti et plus d’une partie demandent la tête du chef du gouvernement. Parce qu’il ne dispose pas, ou parce qu’on ne lui a pas donné du temps, Youssef Chahed n’a pas pu, ou su, réaliser les sauts qui auraient pu redonner espoir à un peuple qui attendait des miracles : un redressement de l’économie, un retour de l’investissement et une baisse visible du chômage.

Avec un PIB en croissance atone de 1,9 %, l’économie tunisienne croule sous une dette, toute aussi odieuse que celle léguée par Ben Ali et n’a pas su faire reculer un chômage à 15,5 % et n’a pu que gonfler une inflation de plus de 7 %. Une situation qui fait beaucoup d’insatisfaits de sept gouvernements successifs, supposés être de compétences et entièrement dédiés au redressement de l’économie et à l’amélioration du niveau de vie des citoyens tunisiens.

Et c’est, à notre sens, cette situation qui marquera les prochaines élections et pourrait aboutir à un vote de sanction, contre tout ou partie des pouvoirs politiques en place. La vérité qui sortira des urnes risquerait ainsi fort de décevoir certains de ces partis. L’euphorie de 2014 est tombée plus que bas et les chiffres à la sortie des urnes risqueraient fort de démentir les sondages et ceux qui se donneraient gagnants avant terme.

  • Mai 2018, un enjeu d’argent et de pouvoir

Ensuite, le fait que l’enjeu des municipales est, sans qu’on le dise, nettement plus important, pour ne pas dire plus dangereux, que celui des législatives et présidentielles réunies. Ces deux dernières n’ont en effet abouti qu’à une division «équitable» des pouvoirs entre partis et opposition, sans pour autant dégager une gouvernance forte pour l’exécutif, capable d’appliquer son propre programme ou faire passer les lois qui lui en donneraient la force.

Avec un vote sur listes, qui ne repose aucunement sur les programmes et dans un régime qui posera avec ces élections la première pierre de l’édifice de la gouvernance locale voulue par la Constitution de 2014, les municipalités deviendront inévitablement un important centre de pouvoir, politique et financier. De ce fait, celui qui gagnera ces municipales tiendra l’Etat par… le bas.

De fait, le pouvoir exécutif quittera en partie La Kasbah pour les régions. Et avec l’indépendance financière dont elles jouiront de fait, les régions feront la pluie et le beau temps pour les citoyens. Cela, d’autant plus que les régions ne seront soumises qu’au contrôle à posteriori. Les municipalités étant le lien le plus direct, sans besoin de courroies de transmissions comme dans l’ancien régime, du citoyen avec l’Etat, les partis politiques pourraient y faire, presque, tout ce qu’ils voudraient et y appliqueraient leurs programmes économiques et sociaux.

Avec le manque de ressources de l’Etat qui financeraient les besoins des municipalités et des collectivités locales, et la disparition d’une centralisation qui permettait une distribution des ressources au gré de leur disponibilité, le pays risquerait gros. Faute de ressources, les nouvelles municipalités pourraient se retourner chacune contre les ressources nationales, comme l’eau, le pétrole, les minerais ou autres, pour en exiger un prélèvement qui financerait leurs programmes. Ce genre d’action avait été déjà plus d’une fois évoqué par Moncef Marzouki et son parti politique et ferait voler en éclats l’unité nationale

  • Ennahdha mon amour

شكيب الخوانجي في لحظة صراحة يؤكّد أن النهضة " حركة ربّانية تتقرب لله عن طريق ممارسة السياسة " و يفسّر لأتباع التنظيم كيف أمر الله تعالى جبريل بقذف " حبّ النهضة " في قلوب التونسيين !!! 😀

Publiée par Mohamed Ali Louzir sur Mercredi 13 décembre 2017

L’autre vérité, certainement moins bonne à entendre, réside dans le fait que le parti islamiste tunisien n’est pas prêt de lâcher prise sur le pouvoir. Ennahdha aura beau se renier en tant que parti religieux islamiste et branche de l’organisation des Frères Musulmans, elle n’en deviendra pas pour moins un parti laïc dont l’objectif final est d’arriver au pouvoir et de s’y installer pour changer la «way of life» tunisienne en vigueur depuis des siècles. Il aura beau être absout de tous ses péchés de l’ère Ben Ali par le tribunal administratif, il n’en restera pas moins un parti qui a marqué sa marche vers le pouvoir du sang de Tunisiens.

Dans un de ses célèbres prêches de rue, le Nahdhaoui Chékib Derwiche disait que «le rapport d’Ennahdha avec la politique, est un rapport d’Ex-Voto pour se rapprocher de Dieu» et parle de son parti comme «divin». Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’Ennahdha, ne pouvant se prévaloir d’une quelconque réussite depuis 2014, use du divin pour accéder au pouvoir terrestre, un langage qui démontre que ce parti est prêt à user de tout et à abuser de tous pour arriver à ses fins grâce à ceux qui utiliseront le scrutin pour signifier leur désamour à Nidaa et comparses et ceux qui plongeront l’index dans l’encrier pour crier Ennahdha mon amour.

Les municipales de mai 2018 lui donneront alors l’outil pour reconquérir le pouvoir qu’elle avait quitté, non de gaité de cœur en 2015. Qui plus est cette reconquête du pouvoir par les Islamistes tunisien se fera de manière démocratique et sous les regards de tous les observateurs internationaux. Beaucoup espèrent qu’Ennahdha ait, encore une fois, l’intelligence de comprendre le danger, pour la société tunisienne, qu’elle la tienne d’en bas par les urnes, et l’intelligence de faire encore des concessions sur la voie de sa transformation en parti civile.

  • Nidaa, le parti-fantôme qui perd sa voie et risque ses voix

Encore une vérité, une évidence presque. En face dudit «parti divin» il y a un parti qui n’a de ce nom que le fonds de commerce et la patente laissés par Béji Caïed Essebssi en héritage pour son fils. Tout comme son adversaire et à cause aussi de ses autres adversaires, Nidaa ne peut se prévaloir d’une quelconque réussite, politique, économique, brigue aussi le même pouvoir et craint fortement de le perdre comme perdraient leur identité très grand nombre de Tunisiens, en cas de montée d’Ennahdha dans les municipales.

Le parti de «Dieu le père», le «Bajbouj» qui avait conquis les cœurs et acquis Carthage en 2014 avait eu alors recours au «vote utile». Ses fissures et ses pratiques politiciennes n’auront enfin rapporté rien d’utile à une population toujours en détresse politique et sous stress économique. Il n’en reste pas moins l’alternative la moins nuisible sur le plan sociétal et le moindre mal face à un parti qui veut changer, remodeler la société tunisienne.

Mais il n’y aura probablement pas que cela en mai 2018. Et même si on ne sait pas encore si l’électeur tunisien saura démêler le bon grain et l’ivraie avec l’incroyable quantité de listes électorales où le visage comptera plus que le programme, il y a les autres. Des listes qui pourraient faire la différence, dans un vote qui sera certainement de sanction, mais sans que la sanction ne se transforme en punition de tous les autres, toute la société, car il y va du modèle sociétal de tout un pays. Ce qui par contre est sûr, c’est qu’à part les partis qui veulent, soit reprendre le pouvoir, soit le morceler en petits ilots de pouvoir, ils sont les seuls à y être prêts. La Tunisie, telle que la voudrait le reste de la population, civile, non religieuse, soucieuse de son unité, en 3ème année primaire de Démocratie, ankylosée par un régime parlementaire qui handicape sa reprise économique, n’y est pas encore prête!

Khaled Boumiza

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