Les réussites des forces de l’ordre tunisiennes (police et Garde Nationale ou GN) en matière de lutte contre le terrorisme, sont indéniables. Ce sont d’ailleurs ces réussites dans la lutte à temps réel ou par actions anticipatives, qui ont participé à la réémergence de la Tunisie sur la carte des destinations touristiques les plus demandées pour l’été 2018. Il ne fait pas non plus, pour nous, de doute que la contribution à cette réussite du ci-devant ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem depuis qu’il était à la tête de la GN, est loin d’être négligeable. Ce n’est manifestement pas l’avis du chef du gouvernement qui a fini par sacrifier Lotfi Brahem. Certains diront qu’il aurait donné sa tête en cadeau à Ennahdha qui devient presque le seul soutien au gouvernement de Youssef Chahed.
Mise à part et en plus de la contribution des hommes de ces deux corps d’agents de sécurité, il y a l’effort financier consenti par le budget de l’Etat. Comme le montrent ces chiffres officiels, entre 2010 et 2017, le budget du seul ministère de l’intérieur (MI) a augmenté de 131 %, passant de 1,1 Milliard DT à 2,55 Milliards DT. Et si on y ajoutait le ministère de la Défense, le budget de la Tunisie en matière de sécurité totalisait 4,573 Milliards DT à la fin 017 et signait une hausse de 139 % par rapport à ce qu’il était en 2010. Ces chiffres confirment, si besoin est, que l’Etat tunisien a renforcé ses moyens matériels et humains dans sa lutte, non seulement contre le terrorisme, mais aussi contre tous les autres fléaux qui ont accompagné la révolution, comme la migration clandestine et son pendant djihadiste. Malgré la différence des objectifs, ce phénomène de migration clandestine est organisé par des circuits qui ne diffèrent pas beaucoup de ceux qui organisent la migration djihadiste. On a même vu des terroristes recherchés emprunter ces mêmes circuits pour rejoindre d’autres «territoire de Djihad» supposé, en Europe.
Maintenant, quelques remarques de grande importance en matière de sécurité, à l’occasion de la douloureuse affaire du bateau de migrants clandestins qui a chaviré entraînant la mort de dizaines de personnes au large de Kerkennah, qui appellent nécessairement quelques questions :
- D’abord, cette information tenue de la vidéo de la dernière visite du chef de gouvernement mardi dernier à Kerkennah. Ile, anciennement rebelle et maintes fois point de base de départ de bateaux pirates avec des migrants clandestins, elle ne comprend qu’un simple poste de police avec 20 agents le matin et 16 la nuit, avec seulement 7 GN et cela ne suffit pas, comme l’avait dit à Youssef Chahed le chef de poste. On apprend, dans la même vidéo, que les postes de police de Kerkennah, incendiés depuis la révolution, n’ont pas été remis en l’état. Et le ministre de la Défense qui accompagnait Youssef Chahed, de s’étonner avec un «depuis 8 ans ?!». La question est donc de savoir où est parti tout l’argent du budget du MI et à quoi a-t-il servi ? Pourquoi Chahed ne découvrait-il qu’hier ces éléments de sécurité ? Quelque chose cloche !
- Ensuite. Se rappeler de la désastreuse gestion de l’affaire Petrofac par le gouvernement de Youssef Chahed, quelques mois à peine après son entrée à La Kasbah en 2016. N’est-ce pas à l’occasion de cette affaire que des cars de police ont été jetés en mer, que des dépassements de citoyens avaient porté de graves atteintes à la sécurité de l’île ? N’est-ce pas l’actuel ministre des Affaires sociales qui avait négocié le sauf-conduit à tous ceux qui avaient porté les graves atteintes à la sécurité de la région et qui avait conduit à faire d’elle un «No-Security-Land» ? Le chef du gouvernement, ses anciens MI pensaient-il que les organisateurs de circuits de migration clandestine allaient oublier qu’il leur offrait désormais Kerkennah comme plateforme idéale de leur sale boulot ? Pourquoi n’avait-il pas fait le suivi de ce dossier ? Pourquoi ne s’était-il pas assuré, depuis 2016, que la sécurité reprenne de plain- pied sur l’île et accepté le vide sécuritaire sans brocher depuis plus de 18 mois ? Quelque chose cloche !
- Enfin, il est tout aussi utile de rappeler que l’issue de la fameuse enquête parlementaire sur les réseaux d’organisation des filières djihadistes, qui sont loin de n’avoir aucun lien avec les réseaux d’organisation des filières migratoires, devient de plus en plus incertaine. La députée qui s’en était occupée et avait défrayé la chronique avec ses déclarations accusatrices tonitruantes, est passée à autre chose et tout le dossier s’est perdu dans les couloirs de l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple). Comme entre contrebande et terrorisme, le lien est pourtant clair entre réseaux djihadistes et réseaux des filières migratoire. Chahed & Co l’ont-ils oublié ou ne le savaient-ils pas ? Pourquoi les services de renseignement n’arrivent-ils pas, comme l’a fait par exemple un journaliste de l’AFP, à identifier ces réseaux ? Les journalistes sont-ils plus efficaces que les services de renseignement ? Quelque chose cloche !
Tout cela dit, il nous semble utile d’attirer l’attention sur la récupération politique, déjà engagée, du drame de Kerkennah. Mais aussi, de la récupération sociale du même drame par certaines ONG, qui feraient mieux d’engager un profond travail de moralisation de cette pratique auprès des familles des victimes, présentes et à venir , qui sont le seul soutien financier aux migrants clandestins.