Quarante mille sites archéologiques et monuments sont répertoriés en Tunisie. Une richesse qu’il a été toujours difficile de sauvegarder et préserver contre le pillage, et plus encore depuis la révolution où il est passé à l’échelle industrielle. Qu’il se soit agi de zones dites protégées ou de sites propres ou encore de périmètres à la périphérie desquels le béton fait des ravages, les pouvoirs publics et les autorités municipales s’avouent comme vaincus face à une déferlante qui balaie tout sur son passage, dans l’impunité quasi-totale.
Le fleuron du patrimoine archéologique national, Carthage, est particulièrement visé par des riverains dont la rapacité foncière a, depuis toujours, du mal à être enrayée, soit pour cause d’insuffisance de moyens, soit par incurie, soit encore et surtout pour cause de laxisme coupable ou carrément de complicité. Sait-on, par exemple, que des centaines d’ordres de démolition de biens immeubles attendent d’être exécutés, alors qu’au fil des jours, d’autres sont érigés sans le moindre risque de sanction.
La Fondation Thomson Reuters vient de s’alarmer du sort qui est réservé à ces immenses richesses archéologiques, tantôt laissées à l’abandon, plus rarement livrées aux pilleurs. Le pillage de sites archéologiques est un problème de longue date en Tunisie, a déclaré le responsable du département des objets saisis à l’Institut national du patrimoine (INP), Yasser Jrad, cité par la Fondation, pour se lamenter ensuite que « les objets de grande valeur historique et culturelle finissent souvent sur le marché européen et dans les maisons des riches et puissants tunisiens ».
Un « terrain vierge » pour les pilleurs
Certains sont récupérés, d’autres perdus à jamais. En 2017, les autorités tunisiennes ont saisi un rare rouleau de la Torah du XVe siècle qui, selon elles, était introduit clandestinement en Europe. Plus récemment, en mars, les douanes ont saisi 600 pièces de monnaie antiques datant du IIe siècle dans une voiture de la ville côtière de Sfax. Les chiffres de l’INP, qui est chargé de protéger et d’enregistrer les objets du pays, montrent qu’il a reçu plus de 25 000 objets archéologiques récupérés depuis 2011. Ce bilan est expliqué par le fait que les autorités s’emploient de plus en plus à lutter contre le commerce illicite d’antiquités.
C’est dans la région de Kasserine, l’une des plus riches en archéologie, que le pillage est massif. Il y existe quatre sites principaux situés sur une superficie de 8 000 kilomètres carrés, et le terrain est parsemé de ruines architecturales et de pierres antiques. Selon l’INP, les sites les plus importants sont surveillés 24 heures sur 24, tandis que ceux qui le sont moins disposent de gardes de sécurité pendant la journée. Mais le grand nombre de petits sites rend impossible de les surveiller tous, reconnaît le responsable régional de l’INP.
Un expert en promotion du patrimoine national de l’Université de Tunis, a expliqué que l’absence de projets de fouilles appropriés et l’investissement culturel en général laissaient la région de Kasserine ouverte au pillage. «C’est une sorte de région vierge», a a-t-il dit, soulignant que la ville de Thala, comptait à elle seule environ 350 sites archéologiques. « L’Etat préfère que (ces sites) restent cachés car nous n’avons pas les moyens de les protéger », a-t-il déclaré, révélant que « quand un nouveau site est découvert, au lieu de le garder ou de déplacer les artefacts dans un endroit sûr, l’État le documente, ils prennent des photos, puis ils remettent la terre dessus », selon ses dires.
Des larcins, souvent !
Matthew Hobson, du projet britannique « Archéologie en danger au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », a déclaré que de nombreux facteurs doivent être pris en compte pour protéger les sites patrimoniaux contre le vol, souvent imputable à la pauvreté et à l’instabilité politique.
«Il y a des raisons économiques (de pillage)», a-t-il déclaré à la Fondation Thomson Reuters à Tunis. «Le tort ne devrait pas être imputé aux personnes qui tentent de s’en sortir au jour le jour, mais aux personnes qui fournissent ces collections.»
Contrairement à la Libye et à l’Égypte, le commerce des antiquités en Tunisie est relativement modeste et désorganisé, selon une source locale. « C’est juste de l’argent de poche, les gens vendent des choses pour moins que ce qu’elles valent », a-t-il déclaré.
LM