Il fut un temps politique en Tunisie où le parti islamiste ennahdha était l’ennemi public n°1 de presque tous les politiciens, à l’exception de la Troïka qui s’était alors alliée au parti de Rached Ghannouchi, seul parti assez discipliné et structuré pour leur offrir les sièges que le CPR de Moncef Marzouki et le Ettakatol de Mustapha Ben Jaafar briguaient sans en avoir les moyens. Pour la Troïka comme pour Nidaa Tounes du candidat Caïed Essebssi (BCE), Ennahdha était alors l’épouventail et le seul argument politique capable de faire assez peur aux Tunisiens pour les pousser au «vote utile».
Devenu chef de l’Etat, BCE fera ensuite «pacte avec le diable» à Paris et partage le pouvoir avec son ennemi d’antan. Une fois bien établi à Carthage, il pousse son fils, héritier de fait du parti fondé par son père, à abonder dans ce sens. Le parti islamiste tunisien était le partenaire incontournable, tout aussi indispensable qu’un «mal nécessaire».
- Petits rappels d’histoire
Intervint alors la nomination de Youssef Chahed au poste de chef de gouvernement. «Injustice» en termes de répartition des portefeuilles, remarquée par son parti, la guerre contre Youssef Chahed est lancée, toutes griffes cybernétiques et médiatiques dehors. Le but était d’écarter de La Kasbah celui qui y commençait à prendre au sérieux son nouveau poste de chef de gouvernement et qui avait tourné le dos à ses anciens camarades du parti Nidaa.
De manière paradoxalement surprenante et attendue, le chef de l’Etat prend le parti de son fils et redonne vie aux «Accords de Carthage», une sorte de «Choura laïque» ou de conseil d’administration pour l’entreprise Kasbah, qui permettait de tracer le programme du chef du gouvernement en lieu et place et de le recadrer si nécessaire. Le but était de contourner, par le jeu du consensus, la Constitution qui ne permettait pas de virer Youssef Chahed sans coup démocratique férir.
Entretemps, Ennahdha avait pris assez confiance en lui-même et se sentait désormais assez fort pour reprendre le chemin de croix du pouvoir qu’il avait quitté en 2014 de peur d’endosser toutes les erreurs des premières quatre années de la Troïka et de se faire brûler les ailes par un pouvoir devenu incandescent. Ennahdha avait repris du poil de la bête et BCE croyait toujours pouvoir le tenir par le «droit d’aînesse» et par le sentiment d’obligé envers le parti dont il avait contribué à remettre le pied dans l’étrier, alors que tout le monde l’accusait de tous les maux politiques du pays.
Quelle ne fut sa surprise de voir son ancien partenaire et ami de l’épisode de Paris se rebeller et même tourner casaque, lorsqu’il lui propose son accord pour le point 64 du «Document de Carthage 2». Le surprenant surpris à son tour par Ghannouchi qui s’en serait lavé les mains ; BCE se fâche, tempeste et décide d’un divorce unilatéral avec Rached Ghannouchi.
En véritables moutons de Panurge, les membres de Nidaa suivent leur chef et coupent les ponts avec le vieux patriarche islamiste qui avait, de surcroît, dû se convertir au laicisme, croyant ainsi enfiler la peau de mouton qui lui permettrait facilement de rentrer dans la bergerie.
Et du coup, Ennahdha redevient l’ennemi juré de ce qui restait de Nidaa Tounes après que Youssef Chahed l’a décimé. Lundi 5 novembre 2018, le chef du gouvernement décide enfin de remanier son gouvernement. Son ancien parti ayant juré sa perte, il l’écarte du remarniement et retourne les quelques ministres de Nidaa shortlistés pour le nouveau gouvernement. Reprend, le même jour, la campagne cybernétique contre la nouvelle composition. L’accusation principale était de comporter des ministres d’Ennahdha, comme si le gouvernement de Habib Essid, devenu conseiller politique de BCE, n’en comptait pas, tout comme le gouvernement adoubé par le «Document de Carthage » dans sa première version. L’ultime insulte contre tel ou tel ministre qu’on voulait descendre en flammes, c’est d’être Nahdhaoui, proche, apparenté ou même ayant exercé sous un ministre d’Ennahdha, même si l’accusé est d’une autre religion.
- Pourquoi insulte et pour quoi l’insulte ?
Il est vrai que la chronique de la lutte des islamistes tunisiens est fertile en arrestations et autres pratiques dont sont comptables des deux premiers régimes, celui de Bouruiba qu’Ennahdha se remet à glorifier, après avoir célébré sa fin sous Ben Ali dont il avait applaudi à deux mains l’arrivée au pouvoir le 7 novembre 1987 et sous le régime Ben Ali qui avait pourtant sauvé la tête, au propre comme au figuré, de son chef et contre lequel le MTI avait lutté à partir de la France et de l’Angleterre. Une lutte, par tous les moyens, licites et illicites, jusqu’au sang, celui de Bab Souika, de Sousse et de Monastir. Une lutte rémunérée en monnaie sonnante et trébuchante, non contre un régime, mais contre un modèle societal. Une lutte, qui fait en effet de l’appartenance au parti Ennahdha le moyen de destruction d’un « way of life» vieux de plus de 3.000 ans et la reconqiête d’un pays multiracial, multiculturel, multiconfessionnel. C’est tout cela qui fait de Nahdhaoui l’insulte suprême à tout ce qui a fait la Tunisie, d’Elyssa à Béji Caïed Essebssi.
Pour des raisons désormais politiciennes, l’inquisition politique bat son plein depuis peu en Tunisie et ses procureurs de faire fi du sens de l’Etat qui pourrait amener tel ou tel ministre à accepter tel ou tel poste. Pour ces nouveaux accusateurs, rien d’autre ne pourrait justifier ou expliquer l’acceptation d’un fauteuil ministériel sauf l’appartenance partisane. Et celle à Ennahdha ne peut qu’être perstiférante. Ces mêmes inquiditeurs refont l’histoire, comme lorsqu’ils avaient fait la «chasse aux sorcières » à tous ceux qui avaient servi le même Etat sous Ben Ali, avant de se rendre à l’évidence , celle de leurs capacité à être les hommes d’Etat qu’ils ont toujours été et de flirter de nouveau avec eux.
Parti politique par obligation pour ne pas se renier en reniant la «confrérie des Frères Musulmants et son caractère religieux, Ennahdha n’a jamais et n’oubliera jamais ses desseins ancestraux que sont la prise de contrôle de tout l’Etat et sa transformation en Etat religieux où la Chariaa fera foi et loi. Ennahdha n’oublie rien, il retarde et attend son heure. Rached Ghannouchi l’avait dit en rencontrant certains extrémistes et Abdelfatteh Mourou l’avait confirmé devant le gourou Ghounim.
Au fil des accusations, gonfle le nombre de «Nahdhaouis» dans le prochain gouvernement de Youssef Chahed. Le but est d’essayer de démontrer qu’il est lui-même devenu Nahdhaoui, qu’il ne lui manquerait que la marque de prosternation au front, et de le faire ainsi haïr par la population de ceux qui avaient eux-mêmes fait entrer le loup dans la bergerie et qui se prennent désormais pour le berger qui crie au loup. La fin de cette histoire, tout le monde la connaît pourtant, sauf les intervenants de Nidaa sur les plateaux TV.