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Projet de loi sur le financement du budget … Se mettre le doigt dans l’œil ?

Mohamed Ali Daouas

Pour des raisons sociales et électorales, et pour éviter de procéder à des réformes qui s’imposent depuis belle lurette (réduction de la charge de compensation, de la masse salariale et des déficits de certaines entreprises publiques) et dont le report de la mise en place aggrave le déficit du budget et rend son financement de plus en plus ardu, face à cette impasse, la solution finalement trouvée est la légalisation du recours direct du Trésor au financement direct de la banque centrale. 

Pour diverses raisons cette solution est dangereuse. Avec ce projet de loi, la première question à se poser est qu’adviendra-t-il du rôle du gardien du temple (c’est-à-dire la banque centrale) ? Qu’en est-t-il de son indépendance ?

La réussite économique et financière de l’ère Ben Ali, était en grande partie le résultat de l’adoption par ses différents gouvernements d’une certaine orthodoxie au niveau de la gestion des finances publiques : limitation du déficit fiscal à un maximum de 3% (hors recettes de privatisation), réduction du déficit courant et optimisation de l’endettement extérieur, indépendance de fait de la banque centrale et généralisation du financement aux conditions du marché de l’Etat, des entreprises (quel que soit le secteur d’activité et des particuliers).

Ceci a permis au pays de connaitre une croissance, réelle soutenue, et une stabilité financière sans précédent (une bonne maitrise de l’inflation, une réelle stabilité du dinar, une notation souveraine en amélioration continue et un accès de plus en plus facile aux marchés financiers (aussi bien pour l’Etat que pour certaines entreprises publiques et privées).

Paradoxalement, ce projet de loi qui est à l’encontre de l’orthodoxie, est adopté par le conseil des ministres et transmis pour vote à la chambre des députés avec le silence assourdissant des dirigeants de la banque centrale, des nombreux économistes que compte le pays et des divers experts qui pullulaient autrefois nos plateaux télé et radio sur les conséquences fâcheuses de ce projet de loi. 

Même dans les situations les plus difficiles (covid, crise financière de 2008 et 1997), aucun pays n’a eu recours à une pareille mesure. Quel serait désormais l’objet et la portée de la politique monétaire menée par la banque centrale de Tunisie. Au fait, cette dernière n’a-t-elle pas pour objet d’imposer une certaine discipline au Trésor afin de l’amener à réduire le niveau de son déficit ?  D’où, l’importance de l’indépendance de la Banque Centrale.

Avec ce projet de loi, a-t-on pensé aux conséquences sur la valeur du dinar puisque le Trésor pourrait se financer sans limite et ne serait nullement contraint de rembourser plus tard.  Ça sera le véritable recours à la planche à billet, avec ses conséquences fâcheuses immédiates sur la crédibilité de l’Etat et plus tard sur la valeur du dinar, le niveau de l’inflation, l’e volume d’épargne, d’investissement local et étranger, la stabilité du système financier ?   

Depuis 2011, le Trésor se finançait auprès de la Banque Centrale, mais de manière indirecte (via les banques de la place) mais c’était acceptable parce que la situation économique et financière du pays était difficile, voire même exceptionnelle (COVID) et le financement se faisait aux conditions du marché. La banque centrale de Tunisie, à l’instar de toutes les autres, menait sa politique monétaire conformément aux exigences de la situation financière et économique qui prévalait dans le pays.

Quel est alors le mobile de cette nouvelle loi ? Est-ce le passage par les banques de la place qui pose problème, parce qu’il permet à ces dernières de tirer un certain rendement ? Mais, une bonne partie de ce dernier revient à l’Etat sous forme d’impôt (les banques sont imposées à 43% sur leurs bénéfices) et sous forme de dividende (l’Etat est actionnaire dans plusieurs banques). Ensuite, selon les agences de notation, nos banques ne sont pas suffisamment rentables pour couvrir le risque lié à la qualité de leur portefeuille-crédits.

Or, à cause d’un investissement public qui pâtit du manque de ressources et d’un investissement privé souffrant d’un contexte national et international difficile (risque élevé), d’un manque de visibilité, d’une fiscalité de plus en plus hostile et d’un TMM fortement pénalisant, l’activité ordinaire des banques qui est très limitée (marché très restreint pour plus d’une trentaine d’institutions (banques et compagnies de leasing) et une économie à plus de 50% informelle) est en train de se rétrécir et se limiter pour l’essentiel au financement de l’exploitation pour les investissements existants.  

Au delà de ce projet de loi, la décision des organismes de sécurité sociales (CNRPS et CNSS) d’accorder divers types de crédits à leurs adhérents qui constituent la crème des clients de certaines banques, à des taux inférieurs aux conditions du marché, risque de porter un coup très dur à l’ensemble du système bancaire. Le coup de grâce se produira lorsque la banque centrale autorisera la Poste à se transformer en banque universelle.

Contrairement à ce que le commun des mortels pense, les bénéfices affichés par certaines banques ne sont pas importants (une bonne partie est même fictive (provisionnement insuffisant de leur portefeuille-crédits). Leur rentabilité est également insuffisante pour restructurer les crédits des entreprises en difficultés (depuis la crise du COVID) et pour financer de multiples projets à la fois urgents et coûteux (digitalisation de leurs services pour demeurer compétitives, lutte contre le blanchiment, passage aux normes comptables IFRS et aux normes prudentielles de BALES 3). Dans ces conditions en dehors de quelques banques qui se comptent sur les bouts des doigts, les autres souffrent le martyr pour présenter des états financiers équilibrés. Jusqu’à 2011, une banque déficitaire était un évènement très rare mais de nos jours c’est devenu chose courante. Nous n’avons jamais cessé d’inviter nos banques à s’internationaliser pour mieux accompagner nos opérateurs économiques à l’étranger mais malheureusement on observe depuis un certain temps pour les raisons évoquées précédemment (principalement réduction de l’activité et forte imposition) le retrait de banques étrangères de la place de Tunis. Après le départ des groupes Banque Populaire et BNP Paris, c’est autour de la Société Générale d’amorcer la vente de sa filiale, l’UIB.  

A mon humble avis, ce projet de loi risque de porter un coup dur voire même fatal à l’ensemble du système financier (monnaie et institutions) et par ricochet à l’ensemble de l’économie.

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