L’Europe est embourbée depuis des années dans une crise de réfugiés aux proportions historiques, et, franchement, il n’y a pas d’issue en vue. Même les efforts les mieux intentionnés pour endiguer la crise sont à la peine.
Le problème devenant totalement inextricable, un certain nombre de propositions irréalistes ont été avancées pour des solutions débordant d’imagination mais pas nécessairement pratiques. La dernière en date, sans doute la plus audacieuse, est celle de construire une île artificielle au large des côtes tunisiennes qui servirait de refuge pour les réfugiés espérant gagner l’Europe.
Cette idée, on la doit à Theo Deutinger, le patron de la société de conception et d’architecture TD, basée aux Pays-bas, un pays qui a une solide expérience en matière d’aménagement de masses terrestres artificielles. L’entreprise est connue pour ses travaux expérimentaux et théoriques axés souvent sur les questions de la mondialisation. Deutinger a baptisé son projet : «l’Europe en Afrique » (EIA), et il a déjà un site web clinquant où figure en bonne place le slogan captivant: «La première ville vraiment européenne. »
Selon le plan, l’EIA serait une cité établie dans le plateau continental tunisien, une mince bande de fond marin située entre les zones économiques exclusives de la Tunisie et de l’Italie en Méditerranée. L’Union européenne louera cette bande de terre auprès de ces deux pays aux termes d’un contrat de 99 ans, destinée à la création d’une île artificielle qui servira de nouveau pays « ayant sa propre constitution, et son propre système économique et social » sous la protection de l’Union Européenne. Le plan suggère que la ville pourrait être comme Carthage, la ville ancienne qui a été le centre de la civilisation carthaginoise et qui était située là où se trouve maintenant la Tunisie.
Joint par e-mail par le Washington Post, Deutinger explique que L’EIA serait la première ville qui fasse partie de l’Europe, mais d’aucun État-nation européen. En outre, elle serait régie par la Constitution européenne. « Ainsi, l’Europe en Afrique serait également un terrain d’essai pour l’Union européenne en difficultés, ces derniers temps», écrit Deutinger.
Deutinger espère que l’avènement de ce pays pourrait incarner ce qu’il y a de mieux en Europe et en Afrique, ajoutant que les réfugiés qu’il a aidés par des cours de langues ont bien accueilli l’idée. » Elle a été accueillie d’autant plus positivement que l’EIA sera érigée dans une zone dont le climat est similaire à celui des contrées dont la plupart des prochains habitants sont issus ».
L’EIA serait conçue pour accepter tous ceux qui voudraient y venir. Les réfugiés comme ceux qui meurent dans des naufrages en Méditerranée seraient les bienvenus, tout comme des migrants économiques. Il y aurait des bateaux réguliers en provenance d’Afrique du Nord à la disposition des réfugiés et des migrants, alors que sur l’île même, les nouveaux arrivants bénéficieraient d’opportunités d’emploi. « On pourrait imaginer que cette ville commencerait sur un mode à peu près semblable à celui d’une ville pionnière américaine», souligne-t-il, avec de grandes entreprises européennes qui y débarqueraient plus tard, histoire de ne pas troubler l’économie alors en phase de croissance. Ceux qui vivent sur l’île ne se verraient pas accorder automatiquement la citoyenneté de l’UE, mais ils pourraient l’obtenir au terme de cinq ans de séjour, un délai qui serait mis à profit pour procéder à un filtrage sécuritaire approprié et d’autres arrangements.
Est-ce réaliste ?
Tout cela semble beau. Mais le plus difficile est de savoir si le projet est réaliste. De semblables propositions avaient été avancées par le passé, comme celle, l’année dernière, du magnat de l’immobilier Jason Buzi qui a contacté Worldviews pour discuter de son idée relative à «nation pour les réfugiés», ou encore celle du milliardaire égyptien Naguib Sawiris qui a annoncé son intention d’acheter un certain nombre d’îles qui pourraient servir de terre d’asile pour les réfugiés.
Aucun des deux projets n’est encore venu à maturité. C’est que, par exemple, le processus logistique de l’achat du terrain pour la création ex nihilo d’un nouveau pays n’est pas simple, surtout si elle implique la coopération d’autres pays ou d’organisations telles que l’ONU. Deutinger espère que par la création d’une nouvelle masse terrestre en Méditerranée, il pourrait au moins être en mesure de contourner un peu ce problème.
Deutinger affirme que « l’EIA ne deviendra pas une enclave comme Ceuta et Melilla, dans la mesure où elle n’appartient à aucune nation pas plus qu’elle ne sera une colonie car elle appartient à ses habitants et non à une nation européenne. L’EIA ne sera pas un ghetto car elle ne sera pas ceinte d’une clôture ». Il n’en soutient pas moins qu’il s’agit d’un « véritable plan plutôt que d’une idée vaguement évoquée ».
« cela devrait être une utopie pour devenir une dystopie [une histoire imaginaire à la George Orwell], avait déclaré Bill Frelick, directeur des droits des réfugiés à Human Rights Watch, à propos de la « Nation pour les réfugiés » préconisée par le magnat de l’immobilier Buzi l’année dernière. D’autres experts y souscrivent en soulignant que la création d’un nouveau pays pour les réfugiés ressemblerait à une tentative de l’Europe de résoudre le problème des réfugiés chez elle plutôt que d’apporter une solution aux problèmes qui poussent les gens à devenir des réfugiés.
Pour l’heure, cela semble une entreprise hasardeuse.