AccueilLa UNETunis : Un ministre, ancien juge, veut enterrer la présomption d’innocence

Tunis : Un ministre, ancien juge, veut enterrer la présomption d’innocence

La justice c’est bien, en abuser, ça craint», pourrait-on dire en parodiant cette célèbre publicité qui affirmait que «la Sécu, c’est bien, en abuser, ça craint ! ». Francis Bacon, le philosophe et homme d’Etat anglais disait : «la vengeance est une justice sauvage». On ne fera pas de commentaire sur ce qu’ est une liberté d’opinion, au cas où la République des juges se retournerait contre cet article. On s’en tiendra donc aux faits. Les voici.

D’abord, cet article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme que personne ne peut ignorer ni récuser, surtout dans cette seconde République tunisienne qui se présente comme le fleuron dudit printemps arabe et qui a été célébrée  par un Nobel. «Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international… ». L’autre principe de droit international et fondement de toute juste justice, c’est que la charge de la preuve incombe au demandeur et non à l’accusé.

  • Une nouvelle loi pour confisquer à tout bout de champ

Ensuite, ce projet de loi, dit de la confiscation civile, que prépare avec enthousiasme et sans aucun souci de l’odeur fétide de vengeance qui s’en dégage, le ministère des Domaines de l’Etat et des affaires foncières. Un projet de loi qui tente de prolonger la vie d’une commission de la confiscation qui a atteint son âge limite sans que le gouvernement veuille la mettre à la retraite. Une commission que l’ancien juge Hatem El Euchi critiquait pourtant très fort , la trouvait  non-indépendante et qui contourne la loi. Un projet de loi aussi, celui de la confiscation civile, qui essaie de contourner le décret-loi sur la confiscation mis à mal par le tribunal administratif qui l’avait annulé dans un jugement en date du 8 juin 2015.

Interrogé à ce propos mercredi dernier à la radio nationale tunisienne, l’ancien juge et actuel ministre des Domaines de l’Etat a estimé que «la notion de confiscation existe dans tous les pays développés et tout pays qui veut construire la démocratie doit avoir une loi de confiscation continue». Le ministre-ancien juge, par inadvertance certainement, a oublié de préciser que dans ces pays, la confiscation est une sanction complémentaire d’un jugement pénal qui prouve que les biens à confisquer  ont été acquis de manière illégale, ce qui n’a pas été le cas dans aucune des affaires de confiscation en Tunisie après la révolution. Il avouera quand même qu’en 2011, la confiscation n’avait pas été juste. «Vous savez que ce décret-loi n’avait fait aucune différence entre biens mal acquis et biens sains», dit-il. Il donne ensuite la preuve de la volonté de son gouvernement de contourner les défaillances de l’ancienne loi par ce projet de loi pour une confiscation continue, en expliquant d’abord que l’ancien projet de loi «n’avait pas permis de confisquer l’argent détourné à l’étranger», avant d’indiquer  aussi que «il était donc nécessaire de faire une loi pour une confiscation qui n’ait aucun lien avec les procédures judiciaires». Autant dire ainsi que, faute de preuve des délits qui justifieraient la confiscation, l’Etat tunisien est en train de détourner toutes les lois et les conventions internationales pour pouvoir confisquer en dehors de tout cadre légal !!

Hatem El Euchi expliquera ensuite son projet de loi sur la confiscation, dite civile et permanente. «Cette loi traquera l’argent sale. Elle ne s’intéressera pas aux personnes avant janvier 2011, mais tous ceux qui disposeraient de biens matériels illégaux, maintenant ou à l’avenir. Elle cible toutes les parties, des trafiquants aux fonctionnaires qui seront soupçonnés de posséder de l’argent sale. Tous ceux-là devront apporter la preuve du contraire».

  • Toute personne  pourra voir son argent constitutionnellement gelé, sur simple soupçon

Et lorsqu’on lui rappelle le principe sacro-saint de la charge qui incombe au demandeur et que tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que le demandeur puisse apporter la preuve du contraire, le ministre El Euchi oublie qu’il avait été magistrat dans une autre vie et donne, en riant jaune, cette réponse effarante : «Oui, on va inverser les choses». Et d’ajouter,  en guise de précision et par l’exemple que «si la Cour des comptes dit qu’il y a soupçon d’argent sale qui pèse sur telle personne, l’instance constitutionnelle qui sera créée [NDLR : C’est là une nouvelle information], appelée Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption et la prévarication, qui gèlera cet argent de façon temporaire et c’est à la personne concernée de d’administrer  la preuve que son argent est propre». Les journalistes de la RTCN insisteront pour expliquer que c’est sur simple soupçon et le ministre, sûr de son bon droit et du bien-fondé légal de ses dires et même de son respect aux conventions internationales, dira que «oui, c’est ça, sur simple soupçon» !

[youtube= »https://www.youtube.com/watch?v=IbYdHba-nqg&feature=youtu.be »]

  • L’Etat tunisien de 2015 est-il un Etat de Droit ?

Dans la Tunisie de la révolution, la confiscation n’a rapporté que peu d’argent à un Etat qui court toujours derrière la chimère de l’argent détourné, dont il n’a que très peu de preuves et des coupables dont il ne peut prouver juridiquement la culpabilité.

Cette même confiscation a détruit un grand patrimoine entrepreneurial, placé  sous une gestion désastreuse. Elle a aussi mis  nombre d’hommes d’affaires et d’anciens hommes d’Etat dans le collimateur d’une justice qui n’arrive pas à trancher, les mettant ainsi, par le gel de leurs avoirs, de leurs biens et même de leurs pensions de retraite sous la menace constante d’une justice qui n’en finit plus.

Des hommes d’affaires et d’anciens responsables sont encore traînés en justice pour un oui ou pour un rien, pour des affaires où certaines parties ont été relaxées et d’autres encore poursuivies malgré le blanc-seing qui leur avait été donné par des rapports officiels et des audits réguliers. Hédi Djilani, ancien patron des patrons, criait l’autre jour, sur sa page fb, son désarroi et celui d’autres hommes d’affaires. «Pendez-les haut et court ou laissez-les en paix», disait-il à juste titre. Un ancien ministre que l’ancien président de la commission de confiscation avait complètement blanchi, voit encore ses biens confisqués. Et lorsqu’il essaie de comprendre ce qui se passe, la commission de confiscation lui répond d’aller voir ailleurs si elle y est.

L’Etat tunisien de l’après révolution est-il réellement un Etat de droit ? Cette nouvelle loi de la confiscation continue, qui pèsera comme une épée de Damoclès sur les têtes de tous les opérateurs économiques, est-elle le bon message  à envoyer aux investisseurs, locaux et étrangers que tout le monde voudrait voir investir pour résorber le chômage qui menace la stabilité de tout un pays ?

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