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Tunisie : L’enquête explosive de « Novaïa Gazeta », en pleines bisbilles avec l’UE

Une part de « l’argent sale » qui a quitté la Russie, entre 2011 et 2014, vers l’Europe et d’autres pays, à travers « l’un des schémas de blanchiment d’argent les plus importants de l’histoire », est bien arrivé en Tunisie. Il a transité par le biais de transferts bancaires, à partir de pays de l’Europe de l’Est vers des comptes de « non résidents » et de transactions effectuées au profit de deux société exportatrices tunisiennes.
D’après les documents auxquels ont eu accès le journal russe « Novaïa Gazeta » et le Projet de reportages sur le Crime Organisé et la Corruption (OCCRP), lesquels ont exposé, de façon détaillée, le fonctionnement d’une machine russe à blanchir l’argent, près de 70000 transactions bancaires, impliquant 120 comptes bancaires et sociétés offshores ont permis à près de 500 personnalités russes de sortir de Russie plus de 20 milliards de dollars (environ 50 milliards de dinars), pour les placer à l’abri dans plusieurs Etats ouest-européens et d’autres pays, dont la Tunisie.

Entre l’automne 2011 et le printemps 2014, le journal indépendant moscovite Novaia Gazeta a révélé un des plus importants trafics de blanchiment d’argent de l’histoire, baptisé « Russian Laundromat » (Laverie russe), dans lequel ont été impliquées 4 banques tunisiennes aux côtés de centaines d’autres banques et 5 140 sociétés, dont des offshores, dans 96 pays.
L’implication de ces banques tunisiennes constitue bel et bien un témoignage de la faiblesse de l’application des lois, du contrôle et des mesures de traçabilité des flux d’argent provenant de l’extérieur, vers la Tunisie. Elle alerte sur la défaillance de l’arsenal juridique mis en place en Tunisie pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Bien que cet arsenal soit renforcé après la révolution (17 décembre 2010-14 janvier 2011) et la chute de la dictature, la vigilance demeure de rigueur.
Par ailleurs, au moment où nous nous apprêtons à publier l’enquête, le 4 décembre 2017, le Conseil Ecofin, une formation du Conseil des ministres de l’Economie et des Finances de l’Union européenne (UE), classe la Tunisie sur la liste noire des paradis fiscaux.

La CTAF a fait ce qu’elle a pu

La Commission tunisienne des Analyses Financières (CTAF), relevant de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), avait déjà reconnu, dans son rapport publié en avril 2017, que le risque de blanchiment d’argent est « relativement élevé » et que la place bancaire tunisienne est attractive à ce genre d’opérations illicites.
Quatre banques tunisiennes et des transferts « douteux » d’environ 1 million de dollars
Les documents dont nous disposons, par le biais d »ARIJ » (Arab Reporters For Investigative Journalism), et leur source l’OCCRP (Organised Crime and Corruption Reporting Project), montrent que 4 banques tunisiennes, parmi les premières dans le pays, selon le classement bancaire de 2016, ont reçu, entre 2013 et 2014, des transferts « douteux » d’argent, d’un montant global estimé à 1 million de dollars ( 2,49 millions de dinars). Quatre transferts en dollars et en euro ont été effectués au profit d’une société serbe non résidente en Tunisie.

Cette enquête, qui compte parmi 6 autres investigations menées dans des pays arabes et 30 pays du monde entier, pointe la défaillance des autorités financières locales en ce qui concerne la vérification des sources de l’argent, et de la conformité des factures et des transactions relatives à ces transferts, que ce soit au niveau de la Douane ou encore au niveau des établissements financiers.
L’absence de traçabilité pourrait faire de la Tunisie une destination ouverte aux flux d’argent de sources illicites. Des entreprises tunisiennes peuvent se trouver, ainsi, même à leur insu, impliquées dans des affaires de blanchiment d’argent.
Selon le rapport de la CTAF, le montant de l’argent gelé en Tunisie au cours des cinq dernières années est estimé à 18 millions de dinars tunisiens (environ 7,37 millions de dollars US).
Les résultats de ce rapport sont le fruit de l’analyse stratégique de plus de 460 dossiers de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme soumis à la justice, de 2000 comptes bancaires et de milliers d’opérations bancaires (dépôt, retrait et transfert) d’une valeur globale avoisinant les 10 milliards de dinars.

Un circuit rodé : Moldavie-Lettonie-Tunisie

Les documents obtenus dans le cadre de cette enquête montrent qu’une banque privée tunisienne, filiale d’un grand groupe arabe présent dans 30 pays, a reçu 4 transferts d’argent d’un montant global de 441 920 dollars ( environ 1102 mille dinars), deux de ces transferts ont été effectués en 2014 (13 et 24 mars).
Un transfert d’un montant de 171 499,01 dollars ( environ 427 662 dinars) au profit de la société serbe a été effectué, en juin 2013, par la société « Westburn Entreprises Limited », à partir de la Moldavie vers son compte en Tunisie, au titre d’une transaction relative à des « équipements de bâtiments ». Cette société enregistrée en Lettonie a été dissoute en février 2016.
Deux autres transferts d’un montant global de 270 421 dollars (674 584 dinars) provenaient de la société « Alaro Business », créée en 2014, et enregistrée le 11 décembre 2013, à Glasgow, en Ecosse. Cette société a été évoquée dans un article publié sur le portail d’affaires danois.
Il y a été indiqué que la banque des pays nordiques « Nordea » a fermé la porte devant la société « Alaro Business », début 2017, après avoir demandé d’amples détails sur les sources de ses capitaux. La banque nordique a soupçonné l’implication de la société dans le blanchiment d’argent provenant d’actes criminels commis par des mafias russes.

Les autorités tunisiennes financières et bancaires, n’ont pas réagi de la même manière, et n’ont pas barré la route à la société « Alaro Business », alors qu’elles se sont engagées dans le cadre d’accords internationaux tels que la convention de Bâle 3 et des accords de coopération avec l’Union européenne, à favoriser la transparence financière. La banque tunisienne qui a reçu l’argent n’a pas vraisemblablement vérifié l’origine des fonds qui lui sont destinés.
La société « Moninvest AD » a aussi reçu un troisième transfert de 166 615,50 euros (environ 490 015 dinars) à son compte en Tunisie, en novembre 2013, au titre d’une transaction relative à des « équipements industriels ». L’argent provient d’une société chypriote, également, impliquée dans le blanchiment d’argent, « Crystalord Limited ». Il a été transféré via la banque « Trasta KomercBanka », dont le siège est en Lettonie.
Cette banque a joué un rôle crucial dans la vaste opération de blanchiment d’argent et dans le mouvement des fonds à partir de la Russie vers l’Europe et d’autres pays du monde.
Elle a été contrainte de fermer en vertu d’une décision de la Banque Centrale Européenne (BCE). Sa licence lui a été retirée en 2016, après la publication de l’enquête de l’OCCRP qui a dévoilé son rôle (de la banque) dans des opérations compliquées d’escroquerie, permettant le blanchiment de sommes colossales d’argent.

Des failles à la pelle

L’entreprise serbe « Moninvest AD » a profité du climat « révolutionnaire » et de l’existence en Tunisie, à cette époque, d’une loi interdisant la levée du secret bancaire. Les dispositions autorisant la levée de ce secret n’ont été introduites qu’une première fois en janvier 2015, à l’occasion de l’adoption de la loi de finances complémentaire 2014, mais ont soumis cette mesure à un recours à la justice. Ce n’est qu’en décembre 2016, et après avoir fait l’objet de tergiversations et de controverses, que la voie judiciaire a été enlevée dans le cadre de la loi de finances 2017.
En effet, la coalition au pouvoir en Tunisie, composée essentiellement des partis Ennahdha et Nidaa Tounes, majoritaires au Parlement, avait rejeté en 2016 les articles de la loi de finances de 2017, relatifs à la levée du secret bancaire et les ont remplacé par des clauses qui les « vident de leur sens« , selon une députée de l’opposition. Ils avaient avancé des arguments relatifs à la protection des données personnelles et de la vie privée des citoyens, argument mis en avant également par l’organisation patronale.

L’opposition et des forces de la société civile avaient accusé les deux partis « d’hostilité à la transparence financière« , de volonté de « protéger la corruption » et de permissivité en ce qui concerne l’introduction de fonds d’origine délictueuse pour le financement de l’action politique. A cet égard, l’Institut Tunisien des Conseillers Fiscaux (ITCF) avait proposé dans une note baptisée « les réformes intentionnellement négligées » dans le cadre de la loi de finances pour l’exercice 2017 la levée du secret bancaire et professionnel sans conditions et la limitation à titre d’exemple du secret médical à des cas exceptionnels, et ce pour conférer davantage d’efficacité à la lutte contre l’évasion fiscale.

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