La chronique retiendra qu’en l’espace d’à peu près deux lustres, la Tunisie s’est essayée d’abord à un ordre postrévolutionnaire, puis à un système politique aux allures démocratiques pour enfin se retrouver sous le régime qui est actuellement le sien, dont les origines remontent au 25 juillet 2021.
Une configuration protéiforme qui a valu au pays bien des déboires, principalement, économiques et sociaux dont il n’arrive pas à se relever comme en témoignent les négociations qui traînent en longueur avec le Fonds monétaire international sur un prêt de 1,9 milliard de dollars, un Etat qui n’arrive pas à joindre les deux bouts, régulièrement happé par des épisodes financiers tumultueux, et les pénuries itératives qui font monter les prix, nourrissent la spéculation et paupérisent de larges pans de la population.
Une situation dont les responsables ont un nom : la litanie de gouvernements qui se sont succédé, tous, autant qu’ils étaient, qui ont agi en sorte que le pays soit à ce point perclus de dettes que les pays de l’Union européenne s’affichent comme obligés de collecter une quête pour le « sauver de l’effondrement ».
Pourtant, et à y regarder de près, la Tunisie était peu vouée à être accablée par pareil sort. Elle a organisé plusieurs élections dont l’intégrité et la transparence ne pouvaient pas être mises en doute, ou si peu. Et « après la révolution, un nouveau consensus a émergé, dans lequel le parti islamiste et les partis laïques ont accepté de travailler ensemble pour créer de nouvelles institutions démocratiques », comme l’explique Riccardo Fabiani, du groupe de réflexion International Crisis Group à la BBC et MSN. Les partis ont mis en place une nouvelle constitution, qui confère de nouveaux pouvoirs au parlement tunisien – l’Assemblée nationale – et accorde des droits démocratiques aux citoyens.
Seulement, souligne Melek Saral, de la SOAS (Université de Londres), les hommes politiques ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur la création d’une cour constitutionnelle. « Cette cour était nécessaire pour contrôler le gouvernement et garantir les droits de l’homme », explique-t-elle, estimant que « l’absence d’accord sur la Cour constitutionnelle a été l’un des principaux échecs de la mise en place du système démocratique.
De même, les hommes politiques qui ont gouverné après 2011 n’ont pas non plus réussi à améliorer les conditions économiques et à créer des emplois, ce qui a érodé la confiance des citoyens dans leur nouvelle forme de gouvernement.
Selon un sondage du Pew Research Center, si 70 % des Tunisiens soutenaient la démocratie en 2012, ils n’étaient plus que 48 % à le faire en 2014.
« Les gens s’attendaient à ce que la démocratie entraîne automatiquement une croissance économique », explique Intissar Fakir du Middle East Institute. « Lorsque ce n’est pas le cas, ils pensent que la démocratie n’a pas payé.
L’épisode Kais Saied
Kais Saied, enseignant de droit constitutionnel de son état, a remporté la présidence haut la main en 2019. Lors de sa campagne, il a déclaré que le système démocratique ne fonctionnait pas parce que les partis politiques au Parlement avaient trop de pouvoir.
« Il s’est présenté comme l’homme capable de prendre les rênes lorsque tous les autres étaient incompétents et corrompus », explique Dr Yerkes, de la Fondation Carnegie pour la paix internationale.
En 2020, la pandémie de Covid a gravement endommagé l’économie tunisienne et submergé ses services de santé. « Elle a provoqué un quasi-effondrement des institutions de l’État, explique Fabiano, et beaucoup ont pensé qu’il fallait renforcer la Présidence pour qu’elle puisse prendre des décisions vitales.
En 2021, Saied a exercé les pouvoirs d’urgence dans le cadre de l’Etat d’exception qu’il a proclamé le 25 juillet 2021 pour limoger le chef du gouvernement, suspendre puis dissoudre le Parlement et déclarer caduque la constitution, expliquant qu’il agissait de « sauver l’État », un message qui a trouvé un écho auprès de nombreux Tunisiens. Il a ensuite adopté des lois par décret. Plusieurs politiciens de l’opposition et journalistes qui l’ont critiqué ont été arrêtés ou emprisonnés.
Ila créé une « super-présidence » et réduit les pouvoirs du parlement et du pouvoir judiciaire. « Le président Saied a l’idée que le président a un lien direct avec la base et qu’il gouverne en son nom », explique. Fabiani. « Il pense que le rôle du Parlement est de l’aider à le faire.
« L’Assemblée nationale n’est plus qu’un organe consultatif pour le président », affirme Fakir. « Ils proposent des idées de lois qu’ils pensent qu’il pourrait vouloir faire passer ».
Saied s’est également attiré des critiques internationales en exigeant des « mesures urgentes » pour expulser les migrants d’Afrique subsaharienne, affirmant qu’ils font partie d’un « complot » visant à modifier la composition démographique de la Tunisie (qui est majoritairement arabe et musulmane).
« Il pense que sa base appréciera qu’il fasse des Africains noirs un bouc émissaire », explique Fakir. « Il les accuse d’être à l’origine des difficultés que traverse le pays.
Cependant, selon Dr Yerkes, « il y a toujours des groupes de la société civile et des groupes de défense des droits de l’homme : « Il existe encore en Tunisie des groupes de la société civile et des médias qui peuvent faire contrepoids à son pouvoir, et la population continue de protester.
« Ce n’est pas la fin de l’histoire démocratique de la Tunisie.
La prochaine élection présidentielle aura lieu en 2024. Même si Saied remporte un nouveau mandat de cinq ans, il ne pourra pas exercer plus de deux mandats, rappelle-t-elle.