La BCT a finalement rendu public son rapport annuel pour l’exercice 2023. Avec, quand même, quatre mois de retard; mais qui, vérification faite, ne relèverait pas de la BCT. L’édition 2023 est signée par l’actuel Gouverneur, Fethi Zouhair Nouri !
Avant qu’il parte prendre part aux « Annual Meetings » de la Banque Mondiale et du FMI dont Kais Saïed mettait en cause le calcul de la croissance pour la Tunisie, Nouri a signé le rapport annuel d’un exercice appartenant au mandat de l’ancien gouverneur. Cela relève, certes, de la continuité de l’administration, mais cela a surtout affecté la qualité, la méthodologie et la pédagogie du préambule de ce rapport, communément appelé » Mot du Gouverneur « . Analyse :
– « Hallelujah » !
Comme à l’accoutumée, chaque rapport s’ouvre par ledit « Mot du Gouverneur ». Un « Mot », théoriquement écrit par Fethi Zouhair Nouri, qui est de plus de deux mille mots et qui ressemblait plus à un éloge qu’à un pamphlet, économique et financier, répétant le terme résilience, comme on le ferait en élément de langage. « Résilience, sans aucun doute cher ami, puisqu’on est encore debout. Mais sans les réformes idoines et les changements en profondeur, préconisés par des Experts Tunisiens depuis l’été 2022, la résilience se transformera vite en récession et les réformes seront douloureuses », dit Mustapha Boubaya, expert en passation des marchés sur des Projets financés par bailleurs de fonds internationaux, sur sa page fb.
Un texte, celui du Mot du Gouverneur, qui résume la situation économique de la Tunisie, vue sous la loupe de la BCT sous le mandat de Marouane El Abassi, avant qu’il ne soit remplacé en février 2024. Un texte enfin, qui ressemblerait plus à un des communiqués amorphes du Conseil d’Administration de la même BCT qu’à un croquis de la situation, économique et financière.
En réalité, ce Mot aurait dû nous informer sur le projet d’un nouveau Gouverneur pour l’Institut d’émission, ses prévisions pour l’exercice 2025 qui sera bien le sien, et son plan pour refaire de la BCT la gardienne du temple qu’elle fut jusqu’à juillet 2021.
Cela passerait par des mesures concrètes comme un serrage de la vis de la supervision bancaire, sanctionner en les nommant certaines banques irrespectueuses des lois comme l’avait fait le Conseil de la Concurrence, en veillant à ce que les banques ne deviennent pas qu’un simple pourvoyeur de crédit et de recettes fiscales à l’Etat, mais un réel financier de toute l’économie, publique et privée, de l’investissement et non de la politique. Ou encore en modérant les rémunérations des banquiers, par son autorité de régulateur, ou en mettant fin aux conventions signées entre banques-mères étrangères et filiales tunisiennes. Ou enfin à faire appliquer la loi en matière d’augmentation de capital pour sauver certaines banques. Et au moins jeter un regard au rapport de l’OCDE qui critiquait fortement les banques tunisiennes et essayer de réformer. Un exercice, somme toute, basique de régulateur, soit l’un des principaux rôles d’une banque centrale et oublié sous la gouvernance du duo Abassi et Gamha!
– Le « Mot » de Fethi qui devait être celui de Marouane
Comme tous les membres du gouvernement (NDLR: Nouri a été nommé ministre Gouverneur), le 1er responsable de la BCT qui perd chaque trimestre un de ses habits d’indépendance, s’est aligné sur le récit commun. En atteste, d’ailleurs, ce « Mot » qui n’aurait pas dû être celui du Gouverneur Nouri, puisque c’est comme se jeter des roses en répétant à qui veut bien le lire, que « l’économie tunisienne a continué à faire preuve de résilience en 2023 » ou en ajoutant que « notre capacité d’adaptation s’est encore manifestée ». On s’écrirait presque « Hallelujah » !
Il se laisse ensuite à dire, comme l’INS avant lui, que « la croissance économique nationale, en termes réels, a connu un ralentissement pour s’établir à 0,2% en 2023, contre 2,8% un an plus tôt », avant de lâcher enfin que « ces difficultés continuent de compromettre l’essor de l’économie tunisienne et, par-là, sa capacité à résorber l’offre sur le marché de l’emploi », reprenant pour le prouver, comme tous les communiqués du CA de la BCT, les chiffres de l’INS qui établissaient le taux de chômage à 16,4% contre 15,2% en 2022.
Et après avoir évoqué, avec la fierté que nous devinons aisément, la maîtrise du déficit courant, et la contraction du déficit commercial, grâce notamment à la diminution des importations, le Gouverneur tempère ses ardeurs, en avouant que « ce repli des importations traduit partiellement un ralentissement de l’activité économique ». Et de revenir ensuite au droit chemin pour saluer l’amélioration du solde des opérations courantes, et la consolidation de nos avoirs de réserve de 3.371 MDT, un chiffre qui avait plu au chef de tout l’Etat, sans oublier la stabilisation du « taux de change du dinar vis-à-vis des principales monnaies et à soutenir les réserves en devises, en dépit d’un accès limité aux ressources extérieures ».
– La BCT, un Général de la guerre contre l’inflation qui perd ses galons
Et c’est ainsi tout au long de son « Mot », une balance entre le bon et le moins bon, pour ne pas qu’il dise le mauvais, ce qui serait du politiquement incorrect pour le 1er responsable d’une institution qui ne serait plus tout aussi indépendante que du temps de Chedly Ayari ou Mustapha Kamel Nabli, sinon les Gouverneurs qui l’ont précédé. L’endettement a haussé, mais sa composante extérieure baisse. L’inflation qui se replie à 8,1 %, mais avec une moyenne annuelle de 9,3 %, et la BCT qui reste vigilante face l’inflation tendancielle, comme pour dire que Zorro sera là quand il le faudra. Et de ramener ensuite tout à la BCT et sa politique monétaire. « C’est de la sorte qu’elle a visé à contenir les risques inflationnistes et de soutenir une convergence plus rapide de l’inflation vers sa valeur de moyen terme, évitant ainsi un désancrage des anticipations inflationnistes ». Et c’est à nouveau le « Hallelujah » à scander en lisant le « Mot du Gouverneur » !
Nouri ne fait pas critique à la politique monétaire restrictive de son prédécesseur (qu’il se propose de reconduire) et qui avait conduit à une faible progression des crédits, qu’il explique par la faiblesse de la croissance économique, en oubliant que c’est l’investissement qui fait la croissance et que l’investissement se fait par le crédit, réduit justement par la politique restrictive à laquelle le Gouverneur rend grâce en matière de stabilité des réserves en devises. La quadrature du cercle, que le « Mot du Gouverneur » ne commente pas pour rester politiquement correct.
– Résilience, mais à quel prix !?
Seule note actuelle de ce « Rapport-Communiqué », cette affirmation du Gouverneur de la BCT, désormais grand financier du budget de l’Etat, que « pour l’année 2024, l’économie mondiale devrait se montrer résiliente et se maintenir sur le même sentier de croissance ». Sa prévision de croissance (1,6 %) s’aligne pourtant sur celle du FMI. Un optimisme de la BCT de Fethi Nouri, qui nous semble un peu trop Over pour une œuvre financière présidentielle souveraine en cours, qui fragilise toute la place financière par les BTA, les BTC, les Obligataires, l’IS qui augmente et la fiscalité qui veut prendre 52 % des bénéfices des banques,
Et si le Gouverneur se laisse à dire que « cette résilience occulte de fortes disparités », il en rejette la responsabilité sur autrui, « dans la mesure où la vigueur de l’économie américaine et de grandes économies émergentes contraste avec les perspectives modestes pour la Zone Euro, principal partenaire commercial de la Tunisie, pouvant nuire ainsi aux performances de notre économie nationale » expliquait-il.
Alternant systématiquement le chaud et le froid, pour ne pas dire le politiquement (in)correct, Nouri estime que « même si l’inflation a montré des preuves de détente, depuis l’année dernière, l’incertitude pèse encore sur l’évolution future des prix et les risques de sa persistance sont encore réels ». Dont acte !