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Cameroun : L’ONU débat des moyens de stopper les tueries dans les régions anglophones

La décision du Conseil de sécurité des Nations Unies de tenir une réunion informelle sur le Cameroun le 13 mai 2019 vient à point pour stimuler les efforts internationaux pour qu’on s’occupe de la crise des droits humains dont souffrent les régions anglophones du pays.

« Les membres du Conseil de sécurité devraient appeler le gouvernement du Cameroun et les chefs des groupes armés séparatistes à mettre fin aux abus qui sont commis contre les civils dans les régions anglophones et faire rendre des comptes aux responsables de ces abus », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Cette réunion est une occasion de rappeler aux auteurs d’abus que le monde les observe. »

Depuis fin 2016, les régions anglophones du Cameroun ont été le théâtre de violences meurtrières, qui ont causé la mort de 1 800 personnes et ont forcé un demi-million d’autres à fuir en abandonnant leurs domiciles. Parmi les catégories les plus exposées aux risques se trouvent les personnes handicapées et les personnes âgées, qui ont subi des attaques violentes, ont été abandonnées ou déplacées de force et ont rencontré des problèmes pour recevoir une assistance humanitaire.

Les forces gouvernementales ont tué de nombreux civils, ont incendié des centaines d’habitations et ont eu recours à la torture et à la détention au secret dans une impunité quasi-totale. Des séparatistes armés ont agressé et enlevé des dizaines de personnes, dont des écoliers et des enseignants, dans un contexte où se multiplient les attaques et les appels à la sécession des régions Nord-Ouest et Sud-Ouest du pays.

Depuis fin avril, Human Rights Watch a documenté de nouveaux abus, y compris des meurtres et des incendies de maisons.

Le 19 avril, une femme âgée de 72 ans a été tuée dans sa maison par une balle perdue tirée par les militaires à Mamfe, dans la région du Sud-Ouest. Son fils a affirmé à Human Rights Watch que les militaires avaient investi le quartier et avaient ouvert le feu sans discernement : « Tout le monde s’est enfui mais ma mère était trop âgée pour pouvoir courir. Alors qu’elle se trouvait près de la fenêtre, une balle a pénétré et l’a atteinte du côté droit de la poitrine. Elle est morte sur la route de l’hôpital. »

Le 23 avril, des séparatistes armés ont tué Adam Assana, un gendarme, à Muyuka, dans la région du Sud-Ouest. Son cadavre a été retrouvé le lendemain, décapité et mutilé, au bord de la route menant de Muyuka à Kumba. Un habitant du secteur a déclaré à Human Rights Watch: « Il n’était pas de service. Sa voiture a été arrêtée à un poste de contrôle des ‘Amba’ [les séparatistes]. Quand il a été identifié en tant que gendarme, il a été enlevé et tué. Les séparatistes lui avaient transpercé la bouche avec un bâton de bois. »

Le 25 avril, des violences ont éclaté à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, après que des séparatistes armés eurent déposé une tête humaine, présumée être celle d’un militaire, au rond-point de l’hôpital. Les forces de sécurité ont répliqué en ouvrant le feu le long de l’avenue Commerciale, forçant les gens à s’enfuir. Un travailleur social de Bamenda a raconté à Human Rights Watch: « Nous avons entendu des coups de feu tirés par les militaires venant de toutes les directions. Nous avons dû rester allongés sur le sol pendant des heures. » Selon des récits d’une dizaine d’habitants et des vidéos, les militaires sont entrés par effraction dans des magasins désertés.

Le 27 avril, des militaires du BIR (Bataillon d’intervention rapide) ont investi un centre médical à Wum, dans la région du Nord-Ouest, à la recherche de séparatistes blessés, et ont passé à tabac des membres du personnel de santé. Une infirmière qui a été frappée à la tête et à la machoire a déclaré: « Ne trouvant pas de garçons [de séparatistes], ils ont commencé à s’en prendre à nous. J’ai été frappée si durement que je ne pouvais plus manger ni avaler. » Le centre médical est resté fermé jusqu’au 9 mai.

Le 28 avril, des séparatistes armés ont enlevé un homme de 42 ans à Sabongari, dans la région du Nord-Ouest. Des témoins et des habitants ont affirmé à Human Rights Watch que cet homme s’était rendu au camp des séparatistes à 14 kilomètres de Sabongari, pour négocier la remise en liberté d’un chef traditionnel qui avait été enlevé. « Il est allé là-bas et c’est lui qui a été pris en otage, tandis que le chef était libéré », a affirmé l’un des habitants. L’homme a réussi à s’échapper le 8 mai.

Le 30 avril, des militaires ont tué un garçon de 16 ans dans le village de Kikaikelaki, dans la région du Nord-Ouest. Trois témoins ont affirmé que les forces de sécurité étaient entrées dans le village à bord de véhicules militaires, dont au moins trois engins blindés, et avaient commencé à tirer sans discernement, mettant la population en fuite.

Les trois témoins et deux membres de la famille du garçon ont affirmé à Human Rights Watch que les militaires lui avaient tiré dans une jambe alors qu’il essayait de s’enfuir, puis l’avaient exécuté sur un rond-point situé à proximité. « Ils lui ont d’abord tiré dans une jambe, puis l’ont transporté vers leur véhicule », a déclaré un habitant. « Ils l’ont déposé au rond-point de Tsenla et l’ont tué d’une balle dans la tête. Nous l’avons enterré le même jour à l’église presbytérienne. »

Les forces de sécurité ont également incendié et pillé 11 habitations à Kikaikelaki. Un homme dont la maison a été incendiée a déclaré à Human Rights Watch: « Quand les militaires sont arrivés, je me suis caché pour me mettre en sécurité. Je les ai vus voler des bidons de produits inflammables dans un magasin et mettre le feu à tout le quartier. J’ai perdu tout ce que je possédais. »

Les récentes violences reflètent une hausse des attaques perpétrées contre les civils depuis le début de 2019. De nouvelles violations des droits humains sont à craindre si le gouvernement ne contient pas ses forces et si les chefs des groupes séparatistes armés ne donnent pas clairement à leurs combattants l’instruction de cesser les abus, a affirmé Human Rights Watch.

La réunion informelle du Conseil de sécurité survient après des mois de condamnation internationale des violences commises dans les régions anglophones, notamment par la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet.

À la suite de cette réunion, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait inscrire la situation au Cameroun parmi les sujets à son ordre du jour officiel régulier et insister auprès des autorités pour qu’elles ouvrent des enquêtes sur les membres des forces de sécurité qui sont réputés avoir commis des meurtres et des destructions de biens, et poursuivre en justice les individus responsables. Il devrait également faire savoir publiquement aux groupes armés séparatistes que leurs chefs seront tenus responsables des graves crimes commis par leurs combattants.

Le Conseil devrait envisager d’infliger des sanctions ciblées à certains personnages de haut rang des deux côtés qui portent une responsabilité pour les graves abus commis.

Le gouvernement du Cameroun a refusé l’autorisation d’entrer dans le pays à une chercheuse de Human Rights Watch le 12 avril, deux jours après que Human Rights Watch ait publié un bref rapport sur une attaque meurtrière menée par des militaires, des gendarmes et des membres du BIR contre un village de la région du Nord-Ouest. Michelle Bachelet s’est rendue en visite au Cameroun la semaine dernière et a signalé le manque d’accès qui handicape les activistes des droits humains internationaux et nationaux et les agences humanitaires.

« La décision du Cameroun de bloquer l’entrée d’une chercheuse spécialiste des droits humains et des observateurs démontre qu’il est déterminé à dissimuler sa brutalité », a affirmé Lewis Mudge. « Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait encourager ce pays à autoriser les organisations internationales de défense des droits humains à entrer sur son territoire et coopérer avec elles. »

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