Il ne fait presqu’aucun doute que l’une des principales caractéristiques de l’année 2018 aura été la canicule fiscale qui l’avait caractérisée. Elle avait brûlé et brûle toujours tous les prix sur son passage et n’épargne rien ni personne, et tout le monde est mécontent de ce trend haussier qui bouffe le pouvoir d’achat du citoyen et ronge les marges des entreprises. Cela, surtout que la fiscalité ne sert plus depuis quelques années, qu’à payer les salaires et colmater les brèches faites dans les bilans de tout l’Etat. Le Fisc perd en effet, depuis quelques années, tout impact sur la qualité de la vie, sur le pouvoir d’achat, sur l’infrastructure et sur le coût des facteurs de production des industriels et de presque tous les opérateurs économiques en Tunisie. Et certains ont déjà annoncé la dissidence fiscale, alors que d’autres puissants métiers, comme les avocats et les médecins surtout, ont déjà mis la désobéissance fiscale en pratique. Cela sans parler du secteur informel qui livre ainsi entre les mains du Fisc le seul secteur formel.

Pour Walid Belhaj Amor, opérateur dans le secteur des services, «le problème est assez simple. Un certain nombre de secteurs souffrent de pressions, réglementaires du code des changes et fiscales. La question est de savoir si on veut en faire demain des migrants économiques. Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’aller créer une filiale à l’île Maurice, y loger tous nos contrats à l’export et faire du siège tunisien un simple centre de coût, là où on produit et on ne ramène que des salaires». Et l’homme d’affaires de s’emporter en disant que «à un certain moment, face à la mauvaise gestion, le patriotisme économique a des limites».

Africanmanager a porté les doléances de ces promoteurs, mécontents et qui fulminent, contre la fiscalité tunisienne, à Fayçal Derbel, le conseiller du chef du gouvernement pour le dossier de la réforme fiscale. Et lorsque nous lui demandons s’il a entendu ces réactions et s’il a pris l’ampleur du mécontentement des opérateurs économiques, Derbel répond que «les gens ne sont ni contents, ni mécontents, mais ne sont pas tout à fait satisfaits des résultats auxquels on est arrivé et s’attendaient à ce que la réforme apporte une baisse de la pression fiscale et une simplification extrêmement importante et très large des procédures. C’est ce qu’a promis le chef du gouvernement, et c’est ce qui est en train d’être fait».

Pour l’ancien illustre Expert-comptable et membre influent du Conseil supérieur de la fiscalité, «On ne peut pas dire que la réforme est inachevée, parce que la réforme ce n’est pas un événement ponctuel, mais un processus. C’est toute une évolution dans le temps à partir d’un constat. Et si les participants [aux JES ou Journées de l’Entreprise de Sousse] ne sont pas totalement satisfaits du résultat, c’est tout simplement parce qu’il y a eu effectivement une augmentation de la pression fiscale, et une certaine complication de procédures. Mais il y avait des choix à faire. On ne peut pas laisser augmenter indéfiniment le déficit budgétaire qui était à un peu plus de 7% en 2016. Il faut faire baisser le déficit budgétaire à des niveaux raisonnables». Et le Conseiller du chef du gouvernement d’expliquer que «il faut maîtriser l’endettement et tout cela nécessite des ressources fiscales propres. Ces ressources fiscales ont donné lieu à une position supplémentaire et à des contributions conjoncturelles. Maintenant, on a stabilisé le déficit budgétaire. Nous allons donc revenir à des niveaux d’imposition raisonnables». Il affirme même que «on a déjà commencé à pratiquer cette politique à partir de 2019, puisqu’il n’y a eu aucune augmentation des impôts. Je répète que c’est La seule loi de finances qui n’a pas prévu des augmentations d’impôts et taxes».

  • Et pourtant ce qu’on pourrait appeler la Canicule fiscale de 2018 persiste !

Ce n’est pas une canicule fiscale, c’est juste une augmentation, importante mais conjoncturelle, de la pression fiscale pour faire face à l’augmentation du déficit budgétaire.

  • Pourquoi voudriez-vous, comme l’a fait un homme d’affaires présent au JES, payer plus de fiscalité, alors que ces mêmes contribuables n’ont rien encore vu changer dans tout ce pourquoi on s’acquitte de cette fiscalité ?

C’est pour nous protéger contre le terrorisme. C’est parce que le budget du ministère de l’Intérieur et celui de la Défense ont été multipliés par cinq.

  • Et parce que la masse salariale explose à l’infini aussi, vous diront les contribuables !

La masse salariale a explosé, parce qu’il y a eu des recrutements, parce que vous avez des dizaines de milliers d’employés de chantiers… C’est de l’héritage. Qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse ?

  • Actuellement la fiscalité est entrain de punir les gens pour corriger les erreurs d’anciens responsables ?

C’est possible. Mais l’essentiel c’est qu’aujourd’hui nous sommes devant une situation qui doit être corrigée et nous sommes entrain de corriger cette situation.

  • Et que fait le gouvernement du principe de l’équité fiscale ?

L’équité fiscale c’est chacun en fonction de ses capacités contributives. Ces capacités tiennent compte aussi de la contribution de l’entreprise à l’effort de développement, à l’exportation, à l’emploi. On n’est pas obligé de taxer tout le monde au même taux. Les activités de rente doivent être plus imposées que les entreprises industrielles qui courent quand même un risque plus important, alors que quelqu’un qui a une carte et qui est entrain de commercialiser des biens, des équipements ou des véhicules n’a pas le même risque que l’industriel. Donc, on ne peut pas taxer tout le monde de la même manière.

  • Mais pourquoi privilégier l’industrie, qui reste tout de même une niche dans tout le tissu d’entreprises ?

Non. On encourage l’industrie, parce que nous avons besoin de l’industrie, car elle est en train de contribuer à la valeur ajoutée, de recruter et d’exporter. Et de toutes les manières au niveau des secteurs qui ont été identifiés, ce n’est pas immuable. C’est-à-dire qu’on peut toujours modifier, ajouter d’autres secteurs et probablement on va ajouter.

  • Les patrons et leur UTICA dont les industriels ne sont pas d’accord !

Justement, c’est en cours d’étude. On pourrait, l’année prochaine, ajouter d’autres secteurs d’activités, comme on peut élargir à toutes les industries manufacturières. Moi personnellement, je suis plutôt favorable à l’élargissement de ce taux de 13% aux services qui sont potentiellement exportateurs et à toutes les industries manufacturières.

  • On évoquait plus haut la «canicule fiscale» de 2018. Est-ce qu’il va y avoir accalmie dans cette fiscalité ?

Oui, et c’est pour la première fois en 2019 depuis 2009, la loi de finances de 2009 et même avant ; il n’y pas eu de loi de finances qui n’a pas institué de nouveaux impôts et taxes.

  • Vous parliez, dans votre intervention aux JES, de bouclier fiscal. C’est quoi au juste ?

Oui on est en train de réfléchir sur l’opportunité ou la possibilité d’instituer le bouclier fiscal. C’est-à-dire un plafond de pression fiscale que le contribuable ne peut pas dépasser.

  • Cette contribution fiscale couvrirait tout ?

Oui, sauf l’impôt indirect. On ne peut pas compter l’impôt indirect. Dans le monde entier le bouclier fiscal ne couvre pas l’impôt direct. Le bouclier fiscal c’est un plafond d’imposition à ne pas dépasser. Le bouclier fiscal ne parle que de l’impôt personnel. Or, l’imposition indirecte est un impôt impersonnel. Le bouclier fiscal est un montant, en pourcentage par rapport aux revenus d’impôt qu’on ne peut pas dépasser. Cela veut dire entre impôt direct, impôt sur le revenu, impôt sur la fortune, enregistrement si vous avez acheté un bien, on ne peut pas dépasser par exemple 30, 35 ou 40% de revenu global. Tu as ce qu’on appelle la libération fiscale, c’est la date à partir de laquelle on commence à travailler pour soi, c’est-à-dire ne plus payer d’impôt. Pour être simple et clair, si par exemple je paye 50% de mon revenu sous forme d’impôt, la libération fiscale c’est au premier juillet. C’est-à-dire que tu travailles du premier janvier jusqu’à 30 juin pour l’Etat. Au-delà, tu travailles pour ton propre compte. On mène actuellement la réflexion à ce propos et on va faire des propositions.

Khaled Boumiza

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