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Tunisie « Les récentes attaques terroristes risquent d’enterrer définitivement les possibilités de redresser les fondamentaux de l’économie nationale », estime Mourad Hattab

Le spécialiste en risques financiers, Mourad Hattab, estime que la Tunisie est sous l’effet d’une guerre terroriste qui va engendrer un surcroît d’écueils politiques , mais aussi l’émergence de risques d’affaiblissement des structures de l’Etat outre  les conséquences attendues au niveau des classements de la Tunisie en matière de notation souveraine.

Pour lui, la solution est d’ordre sécuritaire, mais aussi économique menée par un staff gouvernemental chargé de mettre en place une action diplomatique de grande envergure, une collaboration multidimensionnelle notamment au niveau de la lutte contre le terrorisme à ramifications internationales et la mobilisation de fonds à travers la dynamisation de nos relations avec nos partenaires conventionnels. Interview :

Les unités sécuritaires et militaires ont certes réalisé des réussites lors des récentes attaques qui ont eu lieu à Ben Guerdane, mais qu’en est-il de leurs répercussions économiques surtout que l’opération militaire et sécuritaire se poursuit à ce jour?

Les attaques terroristes infligent toujours de grandes souffrances et des dommages matériels. Au-delà de la perte des vies humaines et de la destruction des infrastructures, elles repoussent les capitaux étrangers, provoquent un climat d’incertitude et entraînent des distorsions dans l’allocation des ressources internes ainsi que des coûts indirects provenant des mesures de sécurité à mettre en place.

La dernière vague terroriste subie à Ben Guerdane réduira certes l’afflux de capitaux étrangers, sur une certaine période, en provoquant une baisse de la fréquentation touristique et du volume des investissements directs étrangers dont le flux est actuellement en régression  de 42% par rapport à l’année précédente.

L’insécurité modifiera aussi les habitudes des particuliers en matière de consommation, d’économies et d’investissement, ce qui entraînera fort probablement une distorsion des allocations des ressources.

Enfin, le renforcement des mesures de sécurité engendrera des coûts indirects. Or, celles-ci, économiquement improductives, mobiliseront des ressources déjà rares et renchérissent les transactions, ce qui pèse parfois très lourd sur les échanges extérieurs.

Les prolongements du terrorisme sur les marchés des capitaux sont souvent une combinaison de ces divers effets.

Le terrorisme qui frappe depuis une certaine période en Tunisie occasionnera aussi des préjudices non négligeables au niveau du commerce international, surtout en raison du renforcement des mesures de sécurité nécessaires. Une analyse des flux commerciaux sur plus de 100 pays dans les années 1998–2007 a démontré qu’en cas de doublement du nombre d’attaques terroristes, le volume des échanges entre deux pays baisse de 15 à 25%. D’où un fort recul des gains de prospérité. Ceci est évidemment attendu pour ce qui est des transactions entre la Tunisie et La Libye.

Tous les intervenants ont mis l’accent sur la nécessite d’activer le fonds de lutte contre le terrorisme, s’agit-il de la bonne solution pour relever le défi?

Le ministre  des Finances, Slim Chaker, a signé fin novembre 2015 un accord portant sur la création d’un fonds spécial du Trésor de lutte contre le terrorisme qui est à gérer par la présidence du gouvernement.

Le gouvernement se charge, dans une première étape, d’injecter cinq millions de dinars dans ce fonds, censé aider l’Etat à combattre le terrorisme et à verser des indemnisations au profit des familles des martyrs des institutions sécuritaire et militaire. Cette dotation est jugée très faible compte tenu de l’ampleur du défi et des menaces terroristes qui guettent le pays.

Dans un communiqué paru le vendredi 11 mars 2016, La Poste Tunisienne, a annoncé l’ouverture d’un compte destiné aux Tunisiens résidant au pays et à l’étranger pour la collecte des fonds pour la lutte antiterroriste tout en précisant que le compte en question a été ouvert au nom de «Fonds lutte contre le terrorisme» et vise à permettre aux Tunisiens à contribuer à l’effort national dans ce domaine.

Toutefois, il ne faut pas s’attendre à la collecte de sommes assez conséquentes pour contribuer à travers les ressources mobilisées au profit dudit compte à combattre de façon significative le fléau du terrorisme qui ravage le pays.

L’opération revêt plutôt un caractère symbolique pour fédérer les Tunisiens autour de plusieurs causes nobles à l’instar du soutien de l’institution sécuritaire et militaire et l’aide des victimes.

Rappelons que la lutte contre le terrorisme surtout à moyen ou à long terme coûte extrêmement cher et, à titre indicatif, les allocations budgétaires, à ce titre, s’élèvent pour l’exercice 2016 à 4000 Millions de Dinars avec une évolution annuelle de plus 25% depuis 2014.

Les récentes attaques viennent à un moment critique où  plusieurs secteurs économiques connaissent des grands problèmes sans oublier la situation sociale assez délicate, comment vous voyez la prochaine étape au regard notamment de la crise libyenne ?

La Tunisie vît depuis quelques mois au rythme d’une crise sectorielle qui a impacté plusieurs filières économiques. On peut citer, à ce niveau, la chute enregistrée au niveau de l’activité de la filière laitière, la régression du potentiel de la filière avicole, la morosité connue par d’autres filières liées au secteur touristique gravement sinistré, agricole et manufacturier notamment au niveau des industries du cuir et chaussures et du textile et habillement au point qu’on évoque un phénomène de stagflation qui se caractérise par l’observation d’une déflation importante combinée avec la régression du taux de la croissance du produit intérieur brut.

Parallèlement à ce qui a été cité, le mois de janvier écoulé a été marqué par une grave crise sociale qui a provoqué une grande panique chez les décideurs et qui ont présenté, à cet effet, des solutions irréalistes et irréalisables. Les mouvements de manifestations peuvent surgir à tout moment.

Dans ce contexte, on évoque le spectre du risque systémique. Celui-ci est un risque qui, par son ampleur, suite à une série de crises sectorielles récurrentes et sévères peut faire gripper l’ensemble d’un système financier ou économique, et provoquer des pertes conséquentes aux agents qui composent ce dernier. L’assèchement des liquidités sur un marché, la propagation et l’amplification du risque, la difficile quantification des pertes maximales potentielles, le manque de confiance entre les agents économiques ou les faillites sont des signes caractéristiques d’une crise systémique.

L’intérêt se focalise actuellement sur la lutte contre le terrorisme alors que plusieurs experts ont mis en garde contre la prolifération du terrorisme économique. Que pensez-vous?

Dans une large mesure, on se concentre, à l’état actuel des choses, sur la menace terroriste mais ce qui est inquiétant réside dans le fait qu’on n’arrive pas à gérer d’une manière adéquate les ramifications et les risques liés à cette menace.

Aucun effort d’une manière générale ne se fait pour quantifier l’ampleur de la menace afin de la gérer et de couvrir les risques qui y sont liés notamment sur le plan économique.

Peu d’études en Tunisie et dans le monde arabe se sont intéressées au phénomène du terrorisme économique. La situation actuelle dans notre pays marquée par une montée des actes de terreur nécessite de revenir sur l’étude de ce fléau. Le Centre de politique de sécurité de Genève a défini en 2005 le terrorisme économique comme des actes organisés et ciblés qui seraient menés par des entités locales ou transnationales pour la déstabilisation économique et financière d’un État ou d’un groupe d’États pour des motifs idéologiques ou religieux.

Le terrorisme économique tire, parfaitement, parti des conséquences économiques de son action en faisant apparaître le pays où il agit comme faible, incapable de contrer son action, donc peu fiable pour les intérêts économiques d’investisseurs étrangers, et dangereux pour ses visiteurs. Il peut aussi s’attaquer à de grands intérêts tels que les infrastructures vitales. Les mouvements terroristes jouent aussi, en matière économique, spécialement, sur l’effet médiatique pour amplifier l’impact psychologique de leur action.

Pensez-vous que le gouvernement actuel avec la politique menée est capable de gagner le challenge et réaliser les objectifs de la révolution?

Actuellement, on peut considérer que notre pays vit sur le fond d’une guerre terroriste qui va engendrer davantage le blocage politique, et un sentiment de peur auprès des investisseurs et de larges franges de la population, ce qui pourrait provoquer l’émergence de risques d’affaiblissement des structures de L’Etat et d’instabilité institutionnelle mise à part les conséquences attendues au niveau des classements de la Tunisie en matière de notation souveraine par les maisons de rating et de la détérioration de nos relations avec nos partenaires traditionnels et les institutions financières internationales qui observent la situation avec beaucoup d’inquiétude.

Les récentes vagues terroristes risquent d’enterrer définitivement les possibilités de redresser les fondamentaux de l’économie tunisienne et le dinar tunisien et de trouver des solutions aux chocs sociaux qui secouent le pays dans son ensemble.

La solution doit revêtir primordialement, en  l’état actuel des choses, un aspect sécuritaire fort, mais elle doit être aussi fondamentalement économique menée par un staff gouvernemental, œuvrant réellement de manière efficiente autour d’un noyau dur de vrais compétences de notoriété, et qui aura pour missions: une action diplomatique de grande envergure, une collaboration multidimensionnelle notamment au niveau de la lutte contre le terrorisme à ramifications internationales et la mobilisation de fonds à travers la dynamisation de nos relations avec nos partenaires conventionnels, les instances de coopération bilatérales et les grandes instances financières internationales pour s’acquitter de la facture de la vague du terrorisme économique qui a frappé, lourdement, le pays et qui avoisine au moins à court terme sur le plan des coûts directs les trois Milliards de dollars US par an, tout en proposant le maximum de garantie de stabilité.

Vouloir prolonger à l’infini un mode de gouvernance qui montre énormément de limites suite à l’incompétence, à l’autisme et à la marginalisation des grandes capacités de management et de direction, c’est engendrer d’une manière ou d’une autre l’affaiblissement des structures l’Etat et probablement de la Nation.

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