A la fin de l’année en cours, Youssef Chahed aura passé 16 mois (27 août 2016-31 décembre 2017) à la tête du 5ème gouvernement de la Tunisie de l’après Ben Ali et du 2ème gouvernement de la seconde République. Avec cette durée, il aura fait mieux que les deux chefs de gouvernement de la 1ère Troïka (Hammadi Jbali avec 14 mois et Ali Larayedh avec 10 mois) et 2 mois moins que son prédécesseur à La Kasbah, Habib Essid.
Tout comme ce dernier, les appels du pied commencent à se faire sentir pour qu’il laisse le fauteuil. Beaucoup d’encre a coulé sur ses relations avec son parti, Nida Tounes, et le fondateur de ce parti, le chef de l’Etat, Béji Caïed Essebssi. Chahed est tellement tancé à ce propos qu’il se croit obligé à chaque sortie médiatique de répéter qu’il ne sera pas candidat à l’héritage de BCE. Ce qu’il ne fait pas alors qu’il devrait et la manière dont il fait ce qu’il fait alors qu’il ne devrait pas sont pourtant ceux de quelqu’un qui se ménage.
Toujours est-il que Youssef Chahed tient encore en place, malgré les pressions. Tous s’accordent cependant à dire que l’année 2018 qui s’approche à pas hésitants pourrait lui être fatale. 2018 sera en effet une année charnière dans la stabilité politique dont a besoin la Tunisie. Pleine de «mauvaises surprises», économiques et fiscales surtout, elle débutera avec un mois de janvier connu à travers l’histoire contemporaine tunisienne comme le mois de tous les dangers pour tout pouvoir politique en place. C’est en plus, dès le début de ce fameux mois de janvier, que les consommateurs tunisiens devraient ressentir les premiers impacts de la loi de finances 2018, notamment ceux de la TVA, sur leurs portefeuilles et leur pouvoir d’achat. Et c’est à la fin de ce même fameux de janvier que les salariés, du public et du privé, devraient ressentir les effets pécuniaires des différentes mesures de la loi de finances 2018, pour faire face aux difficultés dont souffrent les caisses sociales notamment, avec la nouvelle taxe de la CSS (Contribution sociale solidaire) de 1% de tous les revenus.
- Les 3 Top du chef du GUN
Le chef du GUN (Gouvernement d’union nationale) n’a pourtant pas trop démérité. A son actif, on pourrait au moins lui trouver trois réalisations. D’abord, la reprise de la croissance à 2%. Une croissance, qui plus est, de meilleure qualité, même si elle reste peu créatrice d’emplois. Le taux de chômage n’est pas encore descendu sous la barre des 15 %. Un chômage qui reste le talon d’Achille de l’Etat de la 2ème république et une épine dans le pied de tous gouvernements de cette nouvelle République.
Dans ce qu’on pourrait aussi appeler «les 3 top» du GUN, on pourrait aussi compter les deux revues du FMI, en mai et octobre 2017, qui devraient permettre d’assurer le financement du budget, alors que personne n’y croyait. Et enfin l’adoption du CSS pour la réforme de la retraite, qui plus est, une reforme faite avec l’accord du syndicat ouvrier. Même si les effets de cette réforme sur le pouvoir d’achat des citoyens tunisiens ne se feront sentir qu’à partir de janvier 2018. Une réforme qui pourrait aussi ne pas être comprise que dans «Black-Side» et faire oublier ses effets sur les caisses de retraite et sur la CNAM (Caisse d’assurance maladie).
- Les 3 flops de Youssef Chahed
Au Box-office des échecs du gouvernement Youssef Chahed semblent cependant peser plus lourd dans la balance. Il y a bien sûr la black-liste des paradis fiscaux. Une erreur, de jugement et de timing et même de langue (la réponse aurait en effet été écrite en langue arabe et adressée en tant que telle à l’UE), de l’administration financière tunisienne dans sa réponse aux demandes, d’éclaircissements et d’engagements, de l’Union Européenne, qui en dit assez long sur la gestion des crises par ce gouvernement. Une commission parlementaire avait été constituée pour déterminer les responsabilités dans cette affaire. Vainement. On avait aussi beaucoup parlé du «point focal», comme du responsable direct de cette erreur. Aucune sanction n’a pour autant été prise
La gestion de la crise de Kamour. Ce qu’a écrit le Ciped de l’ancien Gouverneur de la BCT Taoufik Baccar à ce propos est affligeant de vérité. «L’Accord d’El Kamour, conclu entre le gouvernement et des ressortissants tunisiens, personnes physiques, s’explique mais ne se justifie pas. Outre qu’il crée le précédent et rend légitime la répétition, ses conséquences sur les fondements de l’organisation politique choisie par la Tunisie, sont d’une ampleur insoupçonnable, comme au voisinage, sur l’autorité juridique et morale de l’Etat et sa capacité à pouvoir gérer à l’avenir, les affaires publiques. Ses signataires ne sont, ni compétents (le gouvernement), ni habilités (les citoyens) à cet effet. Outre que «la cause» de ce contrat (cessation de faits délictueux) est illicite, ce qui le rend au plan du Droit, nul et de nul effet». Mais il y avait déjà l’exemple de l’accord de Kerkennah !
Le glissement du dinar. Le dinar tunisien n’arrête pas de s’effriter face aux devises européenne et américaine. Depuis la fin de 2016 et jusqu’au 15 décembre 2017, le dinar a perdu 17,3% et 6,1% de sa valeur vis-à-vis de l’euro et du dollar américain, respectivement, a constaté la BCT dans sa dernière note sur les évolutions économiques et financières. Le Dinar valait, en août 2016 qui est la date de nomination de Youssef Chahed à la tête du GUN, l’équivalent de 2,4755 Euros. A fin décembre 2017, il est à 2,9552 euros. Une dégringolade qui n’est pas sans effets sur l’inflation dont une partie est importée.

Inflation, exportation, gros salaires et petite production et autres points perdus !
On passera sur les avoirs nets en devises, qui étaient de 111 jours en décembre 2016 et qui ne sont plus que de 90 jours à fin 2017. On passera aussi les prix que les ministres successifs du commerce du gouvernement Chahed n’arrivent toujours pas à domestiquer avec les 6,3 % d’inflation de novembre 2017. On passera encore sur la hausse des importations qu’il n’arrive toujours pas à juguler (45,3 Milliards DT contre 38 Milliards DT en novembre 2016), les exportations qu’il n’arrive pas encore à suffisamment booster, la hausse de la masse salariale (12,1 Milliards DT sur les 17,6 Milliards de ressources propres du budget), qu’il n’arrive toujours pas à arrêter et la production industrielle, qu’il n’arrive pas à remonter au-dessus du 0,2% pour toute l’année en septembre dernier. On ne commentera pas non plus les 3 points perdus sur l’indice de la compétitivité globale et les 11 points perdus sur l’indice de la facilité de faire des affaires, entre 2016 et 2017.
Un an et 4 mois après son entrée à La Kasbah, c’est ainsi que s’établit par le chiffre le bilan de Youssef Chahed. Tout va bien Madame la Marquise !