C’est un petit séisme politico-financier qu’a connu hier la Tunisie à l’annonce de son nom sur la liste européenne des paradis fiscaux. Premier partenaire économique et commercial de la Tunisie, l’Union Européenne (UE) couche son compagnon qu’il vouait à des relations plus profondes sur la liste des paradis fiscaux.

La crainte était que l’Europe suspende toutes ses aides à une Tunisie qui est désormais sous perfusion financière internationale, que le FMI, dont une équipe est dans les murs pour la révision, ne débloque plus la 3ème tranche du crédit et qu’enfin les IDE (Investissements directs étranger) ne tarissent de peur d’être montrés du doigt et même d’être sanctionnés.

La première réaction (maladroite par ailleurs, comme l’est toute la politique de communication du gouvernement de Youssef Chahed) de la Tunisie était d’invoquer la théorie d’un complot de certains pays européens qu’elle ne nomme bien sûr pas, et d’en faire une question de souveraineté nationale. La réalité des choses, on l’entendra le lendemain (mercredi 6 décembre 2017) sur les ondes de la Radio nationale, de la bouche même de l’ambassadeur de l’UE, Patrice Bergamini.

  • Pris en faute grave, le GUN réagit mal

Perçue par la Tunisie comme un coup de poignard dans le dos, une mesure injuste et disproportionnée, pénalisante sur le volume, la qualité des IDE ainsi que pour le système bancaire tunisien qui aura désormais du mal à garder ses correspondants à l’étranger, et enfin loin d’être à la mesure du statut privilégié de la Tunisie avec l’Europe, le placement de la Tunisie sur la liste des 17 était pourtant attendue en termes de calendrier. «Elle est sur la table depuis septembre 2016. En janvier 2017, une liste de 92 pays, la moitié de la planète, a été identifiée comme devant s’engager sur la lutte en matière d’évasion et non-équité fiscale et de lutte contre le financement du terrorisme. 20 pays ont répondu clairement et immédiatement. 47 pays se sont engagés ensuite sur un calendrier, à partir du mois de juin, à donner soit des réponses précises soit s’engager sur un calendrier de clarification et de réformes, avant le 17 novembre de cette année», a précisé Patrice Bergamini sur les ondes de la Radio nationale tunisienne. On comprenait alors que les autorités tunisiennes étaient au courant de ces délais. Elles se devaient, avant le 17 novembre 2017, de donner des explications aux ministres des Finances européens, sur des questions relatives à la situation des entreprises offshores et celle des prestataires des services financiers. D’autres, comme la Turquie, la Serbie et le Maroc, ont donné ces explications dans les délais et ont été sortis de la liste des 92 pays short-listés pour la 1ère version de la liste des paradis fiscaux.

Ne prenant certainement pas la menace européenne au sérieux, comptant peut-être aussi un peu trop sur la sympathie de son partenaire ou ayant d’autres chats à fouetter à l’ARP avec les lois de finances et le budget, la Tunisie ne l’a pas fait à temps et a vite fait de recevoir la monnaie de sa pièce.

Diplomatiquement correct, Patrice Bergamini se limitera, sur les ondes de la radio publique, à se demander «est-ce que si on avait pu travailler plus rapidement et en meilleure coordination, on aurait pu empêcher d’être sur la liste des 17 derniers pays qui n’ont pas donné d’explication dans les délais ? C’est regrettable, mais c’est un fait». L’Ambassadeur européen, lui-même surpris et très touché semble-t-il par la décision des ministres européens des Finances, tient à relativiser et rester optimiste, et peut-être que le ministère tunisien des Finances rattrapera le coup, d’ici le 23 janvier 2018, comme l’a laissé entendre Bergamini. Toujours est-il bon de tirer les conclusions de ce coup de semonce européen et de cette gifle au GUN (Gouvernement d’union nationale) de Youssef Chahed et à toute son administration. Etre à la tête d’un gouvernement n’est-ce pas aussi en porter toute la responsabilité ? Ce n’est pas de l’autoflagellation que de l’avouer.

  • Gouverner c’est prévoir, savoir s’entourer et déléguer

On ne sait pas si le GUN a été distrait jusqu’à oublier de répondre aux questions de son partenaire, s’il a aussi oublié qu’après 7 ans de sympathie et l’empathie à l’égard du dernier exemple en démocratie dans le monde arabe, ses partenaires passeront immanquablement au questionnement ou que le meilleur des bienfaiteurs finira par demander des comptes. Ce qui est sûr, c’est que Youssef Chahed n’a pas su gouverner, car «gouverner, c’est prévoir» [cf. : Emile de Girardin]. Le chef du gouvernement a oublié de prévoir un responsable gouvernemental des relations et négociations avec l’Europe. Ce n’est en effet qu’une année après le départ de Ridha Ben Mosbah que Hichem Ben Ahmed a été chargé du dossier pour en faire le suivi, comme on surveillerait le lait sur le feu. Il fallait pourtant prévoir que l’UE ne donnera pas indéfiniment ses aides sans poser ses conditions et engager des actions de lobbying et même envoyer une délégation officielle à Bruxelles. Cela n’a pas été fait. Il fallait prévoir, les membres du Conseil des analyses économiques existant, que l’Europe s’inquiètera des délocalisations et de l’évasion fiscale chez elle et qu’elle demandera des comptes à ses partenaires dans sa lutte contre l’évasion fiscale et notamment celle des entreprises off-shore et des filiales des multinationales implantées en Tunisie. Cela n’a pas été fait.

Il fallait aussi prévoir que la guerre contre la corruption n’éludera pas indéfiniment la guerre contre l’évasion fiscale et qu’à force d’incitation fiscales pour seul modèle d’incitation à l’investissement on finira par être accusé de dumping fiscal. Prévoir c’est dans ce cas préparer ses réponses, affuter ses arguments et savoir convaincre de la justesse de la démarche dans un pays en transition de tous genres – politique, sociale, économique et même culturelle. Cela n’a pas été prévu. Il faudrait donc à Youssef Chahed savoir mieux s’entourer et déléguer aux bonnes compétences qui, comme lui, aimeraient «se lever pour la Tunisie».

  • La Tunisie s’est faite ramasser par l’UE, mais il lui faudra se ressaisir et vite

La dernière gifle européenne viendra ainsi rappeler à Youssef Chahed l’urgence de la guerre contre l’évasion fiscale qu’il semble jusqu’ici reléguer au second plan de ses batailles pour sauver le pays dont il a accepté la charge. Peut-être qu’elle lui rappellera aussi d’autres prévisions à faire, comme celle des suites, urgentes, de l’affaire de la BFT et la prochaine sanction financière du Cirdi.

Mais aussi de mettre en place, dès maintenant, des équipes de suivi de la présence tunisienne dans différents rapports internationaux, comme celui de «Doing Business» où elle a perdu 11 places en une seule année, celle justement de son gouvernement, et penser à faire du lobbying pour faire remonter la Tunisie dans ce genre de livres de chevet de tout investisseur averti.

La bonne nouvelle est que la liste des paradis fiscaux sur laquelle a été, peut-être à juste titre, couchée la Tunisie peut être corrigée à tout moment. Une prochaine réunion des ministres européens des finances est prévue pour le 23 janvier 2018 et un plan de sortie de crise est déjà prêt pour cela chez Patrice Bergamini, que Youssef Chahed reçoit ce jeudi.

Il est donc urgent, pour le GUN et son chef, de mieux hiérarchiser ses priorités, de mieux faire travailler ses équipes et de ne pas dormir sur les lauriers des bains de foule et des sondages d’opinion et de s’occuper ou faire s’occuper de tout ce qui bouge, en cette période d’incertitudes, nationales et internationales.

Khaled Boumiza

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