On aurait pu paraphraser la fameuse phrase d’Ali Larayedh, lorsqu’il disait attendre les terroristes à l’avant et qu’ils avaient surgi par l’arrière, pour décrire ce qui s’est passé ce matin à l’ARP, mais cela aurait pu être mal interprété.
C’est devant 154 députés que le chef du gouvernement tunisien passait, ce vendredi 23 mars 2018, son 3ème Oral à l’ARP. Une audience que Youssef Chahed commence par un discours offensif. D’un pas sautillant et rapide, il escalade le podium, signe d’une nouvelle attitude, énergique, mais aussi sereine, qui se confirmera par la suite.
- La surprenante attitude, défensive par l’attaque
Un discours qu’il commence par un verset de Coran, par lequel il voulait certainement répondre à ceux, comme l’UGTT et une partie de l’opposition, qui affirment son échec. «Lorsque Dieu vous accorde la réussite, vous ne serez jamais vaincu», disait-il avec fierté.
Et de suite, il évoque sans le dire le sujet qui fâche, celui des demandes de son départ, en le mettant dans un cadre politique, par un lien direct avec les prochaines élections municipale du 6 mai 2018. Et il commence son discours par une question : «Qui ne veut pas que les municipales n’aient pas lieu et qui fait qu’elles ne le soient pas» interpelait-il ainsi indirectement les députés représentant les partis politiques. Et de répondre, assuré mais sans détails comme toujours, que «Et moi, j’ai une partie de la réponse», mais en précisant que «certaines parties tablent sur l’échec du gouvernement, pour annuler les élections municipales», car elles sont sûres qu’elles n’en tireront pas les bénéfices attendus, pour dire qu’elles n’y réussiront pas.
En procédant ainsi, Youssef Chahed adoptait une défense offensive devant ceux qu’ils savaient venir pour le descendre, lui et son bilan, en flammes, et mettant les députés, et par là toute la place politique, devant le choix entre l’instabilité politique que génèrera son départ, rien que par le fait du temps que devront durer les discussions et les négociations pour le choix d’un remplaçant, et la stabilité qui permettra un déroulement normal des prochaines municipales.
Plus tard dans le discours, le chef du gouvernement tunisien lance une pique aux politiciens de l’ARP qui équivaut autopromotion de sa personne. «La différence entre un homme politique et un homme d’Etat, c’est que le premier se soucie des élections et le second se soucie des générations futures», leur lance-t-il avec un sourire qui provoque un petit tumulte dans la salle. Content de son effet, il appuie sa citation par un «N’est-ce pas» !
A ceux qui critiquent son bilan, Youssef Chahed commence par rappeler la conjoncture sécuritaire où il avait pris le pouvoir, citant les différentes opérations terroristes, comme pour en signaler l’absence au cours de son ministère pour mettre en exergue la plus belle réussite sur le plan de la sécurité et pour interpeller, toujours plus offensif, les députés sur le paradoxe qui est le leur. «D’un côté vous louez les réussites dans la lutte contre le terrorisme, et de l’autre vous parlez de notre échec. Au GUN, nous sommes fiers de notre réussite», les tance-t-il, presque avec défiance, dans le silence de l’hémicycle.
- «Je n’accepterais pas d’être un faux témoin»
Après quoi, Chahed se lance dans un rappel des différentes mesures, prises par son gouvernement, pour redresser la situation économique, dans les domaines de l’exportation, de l’agriculture, de l’investissement, de l’artisanat, la simplification des procédures administratives, etc., et dont il dira qu’elles «commencent à donner leurs fruits », prenant à témoins «la hausse du PIB, la baisse du chômage, la croissance de l’export, les 8 millions de touristes attendus en 2018 avec un taux de Booking de 100 %». Et de finir par un «la machine redémarre et recommence à tourner», comme pour demander aux députés «où est donc le problème ?».
Pour Chahed, le problème reste dans l’état des finances publiques où la difficulté est structurelle. Et la réponse à ce problème, ce sont les réformes structurelles, comme celle des caisses sociales, des entreprises publiques et des dépenses. Il annonce, à l’occasion, avoir déjà déposé un projet de loi pour la réforme de la CNRPS et un projet de décret pour la CNSS.
Toujours sur sa lancée offensive, il tance encore l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple), en leur rappelant que «au diagnostic, tout le monde est d’accord. Et lorsqu’on voudrait passer à l’action, c’est un allez voir les autres». Et de leur rappeler que «c’est désormais l’impasse et le coût de la non réforme sera plus important que celui de la réforme et il est urgent de prendre une décision, car l’avenir de la Tunisie est plus important que les calculs politiques».
Youssef Chahed ira même plus loin, en poussant un petit coup de gueule qui voudrait dire, presqu’une menace qui ne dit pas son nom : «Je n’accepterais pas d’être un faux témoin [Ndlr : Témoin est la traduction littéral de son nom].
Il termine son discours par répondre, notamment à l’UGGT, qui l’accuse d’emprunter la voie d’un libéralisme sauvage lorsqu’il s’agit des entreprises publiques et leur improbable privatisation, en martelant : «je ne suis pas un libéral». Et pendant plusieurs minutes, il égrènera les mesures et décisions à caractère social, dans ce qu’il dit être «la philosophie et la vision» de son gouvernement. On n’oubliera pas de signaler que Youssef Chahed a évoqué la crise entre le syndicat de l’enseignement et son ministre de l’Education nationale, et de le soutenir en assurant : «nous avons demandé au ministre de prendre les mesures nécessaires», en parlant de la décision de Hatem Ben Salem de retenir les salaires en réponse à la rétention des notes trimestrielles par les enseignants.