Les 33èmes JES (Journées de l’entreprise de Sousse) ont cette année choisi de parler de réformes capables de faire la rupture, signe que les hommes d’affaire deviennent de plus en plus las des mesures et mesurettes qui sèment plus de zizanie qu’ils ne résolvent de problèmes.

Invité à cette messe annuelle du Gotha économique tunisien, le Gouverneur de la BCT Marouane El Abassi n’a pas été en reste, à quelques nuances près. L’intervention était d’autant plus délicate puisque succédant à l’ouverture, politique, du Chef du Gouvernement !

Mais, à l’occasion, Marouane El Abassi s’est rappelé à ses heures (et réflexes) de professeur pour passer ses messages et ce, dans une salle pas forcément acquise ! Mais, à la fin, la leçon de prospective a eu l’avantage de capter l’attention du public, allant même jusqu’à huer le modérateur qui a interrompu la présentation sous prétexte de temps écoulé ! Place alors à une leçon de prospective !

Pour lui, «Les ruptures sont les changements qui marquent un tournant ou une variation significative dans la trajectoire d’une variable. Elles sont les déviations qui annoncent un changement de trajectoire, une discontinuité qui va se prolonger de manière significative. Pour cette raison, en prospective, l’on prête attention aux signaux faibles ou germes du changement qui pourraient se confirmer dans le futur». Aidé d’une trentaine de Slides, il a ainsi préféré parler de la manière dont il compte transformer l’essai. Marouane Abassi y a joué, en plus, toute la partition en Solo, exposant ce que les opérateurs reprochent à la réglementation tunisienne en matière de change, ce que la BCT reproche de son côté aux opérateurs et ce que l’Institut d’émission est capable de leur fournir comme solutions.

  • Complaintes d’opérateurs, jamais satisfaits

Les exportateurs-investisseurs se plaignent en effet de la rigidité des conditions d’investissement à l’étranger, de l’insuffisance des AVA (allocations voyages d’affaires) destinées aux exportateurs du savoir-faire, de l’interdiction d’ouverture de compte à l’étranger par les entreprises titulaires de marchés et de l’exigence d’une autorisation préalable de l’émission de garanties internationales pour groupements.

Pour ces opérateurs, selon l’aveu du premier responsable de la BCT, les conditions réglementaires régissant les flux des IDE à l’entrée et à la sortie sont insuffisantes. Ils se plaignent aussi de l’absence de textes régissant les paiements électroniques internationaux, de l’obligation d’enregistrement des marchés à l’étranger qu’ils trouves couteuse, de l’absence de comptes en devises pour le personnel tunisien en missions à l’étranger, alors que la soumission à des AOI pour des projets en Tunisie avec financement extérieur doit se faire en devises. Cela les oblige à recourir au transfert sur autorisation d’acomptes pour couvrir des dépenses de marchés à l’étranger ou à l’utilisation du compte marché à l’étranger en monnaie locale pour plusieurs marchés.

  • Ce que la BCT reproche aux opérateurs

De plus en plus de pratiques de Free-Riders (passagers clandestins) en infraction à la réglementation des changes. Des infractions, comme le défaut de rapatriement des revenus des exportations de biens et services, l’absence de visibilité de la BCT sur les investissements à l’étranger, en ce sens qu’elle n’arrive pas à savoir ce que le promoteur a réellement fait des devises sorties au titre d’investissement.

Il est aussi arrivé que ces devises soient utilisées par les opérateurs, pour compenser des dettes par des créances nées sur l’étranger et non pour investir. La BCT a aussi pu remarquer des dépassements des plafonds transférables des frais de séjour pour voyages d’affaires, un détournement des procédures de règlement par certains importateurs de biens, ainsi qu’une prise d’engagements en devises entre résidents en transgression de l’article 21 du code des changes. Mais aussi des défaillances en matière du Reporting des opérations de change déléguées, le recours à la BCT pour des opérations exonérées de l’autorisation préalable et en général une inefficacité des dispositifs de contrôle de conformité des Intermédiaires Agrées.

  • Prérequis à la poursuite du processus de libéralisation externe

A toutes ces doléances et devant toutes ces défaillances, le gouverneur Abassi affirme haut et fort que «la BCT est convaincue de la refonte mais elle ne peut pas la conduire toute seule eu égard à ses prérogatives». Et lorsqu’on lui rappelle qu’il y a seulement quelques années, la Tunisie était plutôt dans une démarche de libéralisation du Change, il répond «interruption de la séquence de libéralisation graduelle suite à des chocs exogènes, comme la révolution, les prix internationaux, ou l’environnement géopolitique». Il rappelle aux hommes d’affaires que la situation macro-économique reste difficile malgré l’émergence de signes de reprise, sans oublier l’obligation, désormais faite à tout le système financier tunisien, de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme incombant aux banques.

Marouane Abassi n’était pourtant pas venu les mains vides, devant un parterre d’hommes d’affaires venus parler de réformes de rupture. Il affirme ainsi avoir mis en place un Comité Consultatif sur la Règlementation des Changes, où toutes les parties prenantes ont été associées à la réflexion. Mais aussi la désignation d’un interlocuteur, ou point de contact, pour renseigner les opérateurs sur l’état d’avancement du traitement de leurs requêtes, la mise en place d’opérateurs de change agréés et le raccourcissement des délais de traitement des demandes d’autorisation (5 à 7 jours). Le tout, en attente d’autres mesures d’assouplissement qui sont en cours, car relevant des prérogatives de la BCT, pour répondre aux préoccupations des opérateurs. On y retrouvera une digitalisation de la fiche d’investissement constituant la condition essentielle pour le bénéfice de la garantie de transfert par l’investisseur étranger, une clarification, par une circulaire dédiée, des conditions de réalisation de l’investissement et de transfert du produit de sa cession et de sa liquidation et l’institution, en faveur des startups, d’un compte spécial crédité et débité en devises sans restrictions dans le cadre de leurs activités.

Mais aussi le relèvement de 10 à 100 mille DT du plafond transférable par carte technologique internationale, le relèvement de 30 à 90 jours du délai de règlement des exportations payables au comptant et le règlement d’avance avec plafond des importations de biens liés à la production.

Le Gouverneur a aussi annoncé la réactivation du mécanisme de couverture des risques de change et promis que des mesures urgentes seront prises incessamment par le Ministère des Finances pour assurer l’équilibre du Fonds de Péréquation de Change, notamment à travers le relèvement de la prime payée par les banques et la révision à la hausse des commissions sur découvert bancaire.

Khaled Boumiza

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