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La demande en Tunisie a perdu son rôle économique

En économie, comme tout le monde le sait, l’accroissement de la demande des biens de consommation et d’équipement à travers l’amélioration des revenus et salaires est censé stimuler la croissance et la production des richesses. En Tunisie, cette règle n’a pas cours, ou plutôt n’a plus cours.

Selon les chiffres publiés dernièrement par le gouvernement, la masse salariale dans la fonction publique et le secteur public a atteint 22 milliards dinar en 2022, contre 6,7 milliards en 2010.

Les salaires et les revenus des agents publics ont été ainsi multipliés par trois, sans compter ceux des employés du secteur privé qui ont connu également des relèvements substantiels.

Cependant, comme tout le monde le sait également, l’économie tunisienne a dégringolé de façon dramatique entre 2010 et 2023, devenant, en ce moment, incapable de pourvoir aux besoins élémentaires de la population. Les pénuries des denrées de base, sucre, café, farine, et huile, outre le carburant, sont devenus le lot quotidien des Tunisiens et la préoccupation majeure des nouvelles autorités issues du processus du 25 juillet 2021.

Pour beaucoup de commentateurs, le fait de déroger à la règle économique mentionnée illustre un défaut majeur de fonctionnement de l’économie tunisienne comparable à une nécrose ou l’arrêt de fonctionnement d’un organe vital du corps.

Le célèbre économiste du 20ème siècle Keynes (John Maynard) dont les idées, après une relative éclipse, ont connu dernièrement un regain d’intérêt suite à  la crise financière internationale de 2008, soutenait, en effet, que seule une relance de la demande soutenue par une politique volontariste des pouvoirs publics permet de sortir d’une situation de récession économique.

Aiguillés par des rapports étrangers, plusieurs  experts et spécialistes  tunisiens ont cru voir ce mal de l’économie tunisienne « dans sa transformation en une économie de rente ».

Les analyses dans ce sens se sont multipliées depuis 2020 et jusqu’à nos jours.

En 2021, le journal La Presse titrait à la une : « Economie de rente, le grand mal de la Tunisie », parallèlement à la création d’une association de lutte contre l’économie de rente, Alert, dont le président en 2021, Louay Chebbi, a averti que « L’Etat ne possède pas, aujourd’hui, la capacité de financer l’économie, tandis que la crise de la sécurité alimentaire est provoquée par des familles bien déterminées ».

« Idem pour le secteur des semences, des pharmacies, de l’huile d’olive, des dattes, des volailles… une seule personne monopolise, à elle seule, 70 % du marché des œufs, et l’autre domine, à lui seul, 70 % de la production et la distribution du lait, a-t-il déclaré à une radio locale, avant de poursuivre : « en Tunisie, il existe une pharmacie pour 5 mille citoyens…et dans les régions intérieures, une pharmacie pour 60 mille citoyens…pour la simple raison  que dans les régions intérieures, ils n’ont pas de pouvoir d’achat élevé, et les pharmaciens considèrent anormal et illogique qu’une pharmacie à Tunis fait beaucoup plus de bénéfices, qu’une pharmacie à l’intérieur du pays ».

Privilèges légaux

Justement, comme tout le monde le sait encore, l’économie de rente repose sur la création, la protection et l’exploitation des privilèges, des faveurs et des opportunités d’affaires en faveur de groupes et de familles en particulier, très restreints, et ce à l’abri de la concurrence et dans la légalité totale, à travers des politiques publiques propres à canaliser ces privilèges vers les groupes en question, comme l’attribution des autorisations et des licences d’exploitation ou encore les licences d’import, et d’export, outre les exonérations fiscales, et l’instrumentalisation des législations économiques de façon générale.

Cependant, ces privilèges peuvent aussi prendre la forme de l’abstention d’intervention de l’Etat et des pouvoirs publics, en laissant se former des cartels par exemple, ou en tolérant les abus d’une entreprise en position dominante. Et c’est ce trait qui a marqué la gestion des affaires publiques durant la décennie écoulée dite « décennie noire » par la nouvelle élite politique.

Ainsi, la rente ou les privilèges ont ceci de pernicieux est qu’ils sont légaux, contrairement à la corruption qui est un délit.

D’ailleurs, au-delà de tous ces activistes au niveau de l’intelligentsia, des médias et de la société civile en Tunisie, les nouvelles autorités, sans le dire expressément,  ont tendance à adhérer, du moins en partie, à cette manière d’expliquer les maux de l’économie tunisienne, en se référant à quelques-unes de leurs décisions et déclarations.

Le 8 avril 2022, un décret présidentiel a supprimé 25 autorisations administratives dont la vente de tabac, la production d’auto-électricité, les bureaux de change.

Beaucoup de citoyens de la capitale Tunis, notamment, ont sans doute remarqué que de nombreux bureaux de change « privés » et en tant que tel ont été ouverts ces derniers temps.

Comme l’écrivait l’économiste marocain Lahsen Achy, dans une économie dominée par la rente (les privilèges), les acteurs deviennent pervertis. Ils dépensent leur temps et argent à la recherche et l’appropriation de la rente. Les investisseurs se détournent des activités soumises à la concurrence qui exigent des efforts d’innovation et de productivité au profit d’activités qui permettent d’accéder à une opportunité de rente. Ils sont souvent prêts à transgresser les règles formelles ou à recourir à la corruption pour créer, maintenir ou bénéficier d’une rente ».

Sans compter que de tels régimes corrompent irrémédiablement les démocraties qu’elles soient anciennes ou  naissantes.

Autres avis

Toutefois, ces thèses concernant la perversion de l’économie tunisienne en une économie de rente, de privilèges et de profit au moindre effort, sont contestées par bon nombre d’hommes d’affaires tunisiens, en particulier.

Ainsi, dans un article publié en avril 2022, l’industriel et membre du comité directeur de l’Institut arabe des chefs d’entreprises, Nafâa Ennaifer,  a accusé les auteurs des publications défendant ces thèses de gens aigris et malintentionnés.

Il a notamment écrit : On parle de rente lorsque des opérateurs sont privilégiés et protégés de la concurrence de nouveaux venus sur le marché, par des lois restrictives ou des contraintes taillées sur mesure !

« Au lieu de faire « l’inventaire » des activités des groupes familiaux, il serait mieux de citer des exemples concrets de domaines ou de secteurs ou d’activités pour lesquels ces familles ont de fait l’exclusivité et en limitent l’accès aux concurrents.

On pourra alors s’y attaquer efficacement.

« En effet, qu’est ce qui empêche l’Etat de légiférer pour déverrouiller lesdites activités ? Depuis le temps qu’on en parle ???

« Ils parlent de Groupes, comme Elloumi par exemple, dont la quasi-totalité de l’activité est orientée vers l’exportation ou implantée à l’étranger.

« Est-ce cela la rente?

« Le groupe Bouchammaoui pourrait demain fermer toutes ses sociétés en Tunisie et se suffire de ses activités pétrolières à l’étranger qui lui drainent l’essentiel de ses résultats et sources de financement de ses investissements en Tunisie !!! On aurait peut-être préféré que ce Groupe réinvestisse son cash dans d’autres pays, y créer des emplois et y payer des impôts !

Quel est le tort du Groupe Délice opérant dans un secteur agroalimentaire stratégique, concurrentiel de surcroît, et auquel il a apporté une dynamique et un développement incroyables ?

« Son tort est d’avoir réussi à tisser un partenariat avec un leader mondial (Danone), d’être devenu leader, d’avoir fortement contribué à structurer la filière laitière et aidé les éleveurs à être rentables, d’avoir investi massivement dans une région comme Sidi Bouzid, au lieu justement d’investir dans une rente immobilière ?

« De quel privilège ce groupe a bénéficié ?

« Quel est le tort du Groupe légendaire de feu A.Ben Ayed ? D’avoir créé  ex nihilo  et par le labeur et la rigueur, un Groupe industriel performant, diversifié et de renommée internationale ? D’avoir créé une dynamique incroyable dans une multitude d’activités toutes concurrentielles également ? D’avoir été pionnier et d’être devenu leader intégré dans l’aviculture ».

S.B.H

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