L’expert en économie mais aussi homme d’affaires, Radhi Meddeb, livre quelques ébauches de solutions à de gros problèmes qui plombent l’économie tunisienne, surtout, depuis 2011. Dans une interview à l’agence TAP, il constate, dès l’abord, que l’amélioration de la situation du dinar et la relance du tourisme, enregistrées en 2019, demeurent fragiles ». En 2019, le dinar s’est réévalué de plus de 10% par rapport au dollar et à l’euro. Mais, cette réévaluation souhaitable, correspond à un appauvrissement de la Tunisie et du tunisien.
En théorie économique, « le comportement de deux monnaies, l’une vis-à-vis de l’autre est lié au différentiel d’inflation entre deux parties. Or, l’inflation est de 6,8 %, en Tunisie et de 1% en zone euro (2019). C’est pour cela que je dis que la réévaluation du dinar par rapport au dollar et à l’euro, est ponctuelle et fragile », explique-t-il .
Pour que la réévaluation actuelle soit effective, durable et stable, il faut travailler sur les fondamentaux de l’économie tunisienne, en l’occurrence maîtriser l’inflation et le déséquilibre des comptes extérieurs du pays. Pour un rétablissement effectif et durable du dinar, par rapport aux monnaies étrangères, « il faut exporter plus et importer moins, produire plus et consommer moins ».
Tourisme : additionner » la chèvre et le chou »
S’agissant de la reprise du tourisme, l’expert critique la méthode utilisée dans la production de statistiques qui ne permettent d’évaluer le comportement du secteur, qu’en termes d’entrées. Or, additionner l’entrée d’une personne qui vient dépenser un million de dollar, en Tunisie, en 15 jours, et d’une autre qui a payé son séjour au départ de son pays d’origine, à moins de 300 euros (environ 1000 dinars ), tout compris, revient à additionner » la chèvre et le chou ».
« Ce qui importe plus que les entrées, c’est leur qualité et les revenus du pays en devises. Alors qu’aujourd’hui, les recettes du tourisme en devises, sont toujours, inférieures à celles enregistrées en 2010 ».
Pour lui, le retour des touristes, demeure insuffisant en l’absence de solutions aux maux structurels du tourisme tunisien, relatifs à la gouvernance et au positionnement du secteur et du produit touristique, dans le monde.
« Nous nous contentons de plus en plus, d’un tourisme bas de gamme, à faible valeur ajoutée, qui ne valorise pas nos capacités nationales. Nous n’avons rien résolu des problèmes du secteur, à savoir, l’endettement et des dizaines et même des centaines d’unités hôtelières fermées et qui se dégradent de jour en jour, y compris dans le centre ville de Sousse et au bord des meilleures plages de la Tunisie, à Gammarth, à Hammamet et ailleurs. Il faut trouver des solutions de rupture, avoir de l’ambition et du courage », affirme-t-il.
Pour Meddeb, le pays « aborde en 2020, une nouvelle phase de son histoire qui risque d’être plus compliquée sur les plans économique et social ».
« Elle est déjà plus difficile, sur le plan politique, dans la mesure où, le pays a élu fin 2019, un nouveau président, une nouvelle ARP, sans dégager pour autant, une majorité quelconque, et partant sans permettre à l’exécutif de disposer d’une majorité pour mettre en œuvre un projet de réforme, alors que la plupart des indicateurs macroéconomiques et socio-économiques sont au rouge. Il rappelle que la Tunisie est appelée à rembourser en 2020, au titre de service de la dette, un montant supérieur à ce qu’elle empruntera au cours de la même année ».
Dans l’indifférence générale !
Il évoque le déficit du commerce extérieur, l’inflation, le chômage qui s’est installé au-delà de 15% de la population active, sans que cela ne semble émouvoir qui que ce soit, outre la progression de l’économie parallèle et de la contrebande, ainsi que le déficit des entreprises publiques et des caisses sociales. « La Tunisie est de plus en plus citée, dans les rapports internationaux, pour les niveaux élevés de la corruption et les mauvaises pratiques, ce qui veut dire que les signaux négatifs se multiplient ».
Il va falloir que le pays se remette au travail et qu’on accepte probablement, des mesures qui risquent d’être douloureuses pour des pans entiers de la société.
Interrogé sur les moyens de réduire la masse salariale (plus de 14 % du PIB) et les risques que cela représente pour la stabilité du pays, l’expert affirme que « nous avons suffisamment d’ingrédients pour créer un mécontentement populaire violent et qui peut se traduire par des mouvements sociaux majeurs ».
« Toutes les régions intérieures du pays, ne survivent aujourd’hui, que grâce à la contrebande. Si la situation en Libye venait par malheur, à déboucher sur une insécurité plus grave causant une baisse de la contrebande entre la Tunisie et ce pays, les gens qui vivent de cette activité risquent d’exiger des solutions effectives à leur situation, lesquelles ne sont pas disponibles aujourd’hui ».
Il rappelle que le gonflement de la masse salariale résultant d’un recrutement massif, des augmentations et des indemnisations qui ont eu lieu en 2011, 2012 et 2013, sans rapport avec la capacité du pays, qui vont se faire ressentir pendant 30 ans.
Il préconise comme solution, la décentralisation » portée par une forte volonté politique » et qui permet de redéployer les effectifs dans les régions, faisant remarquer que » beaucoup de gens accueilleraient favorablement, leurs mutations et la possibilité de retourner dans leurs régions d’origine ». Il recommande également, l’amélioration de la productivité et du rendement de l’administration.
Rationaliser la consommation et l’importation
« La Tunisie est appelée à renouer avec la production, nous sommes devenus depuis 10 ans sinon plus, un pays qui consomme beaucoup, qui ne produit pas assez, importe beaucoup et exporte peu », a fait remarquer Radhi Meddeb, mettant l’accent sur la nécessité de « corriger les anomalies aux niveaux de ces quatre dimensions: production, consommation, exportation et importation ».
Interrogé sur la nécessité de changer de modèle de développement, terme galvaudé par les politiques depuis la révolution, Meddeb, note la place de moins en moins importante des idéologies dans le monde, au profit d’une tendance à favoriser l’efficacité et la performance, affirmant qu’il ne s’agit pas de mettre en place un modèle de développement en rupture avec l’ancien », mais plutôt de comprendre les insuffisances et les dysfonctionnements du modèle actuel, en vue d’identifier les modifications et les réformes nécessaires pour aller vers plus d’efficience « toujours dans la solidarité et l’inclusion ».
Pour lui, » lorsqu’on dit que l’ancien modèle à atteint ses limites, c’est parce qu’il n’a pas réussi à intégrer tous les Tunisiens et de leur donner la chance de contribuer et de jouer le rôle de citoyen responsable. L’ancien modèle n’est pas à jeter tel le bébé avec l’eau de bain, au contraire il y a beaucoup de choses à retrouver dans l’ancien modèle et à améliorer pour plus de performance ».
A cet égard, le pays est appelé à produire plus notamment, dans les secteurs dans lesquels, il possède des avantages compétitifs, estime-t-il, faisant remarquer que l’Etat doit en concertation avec les professions, identifier les conditions d’une plus grande compétitivité, aussi dans les secteurs anciens (textile ..) que dans les nouveaux tels que l’éducation, la santé, les services à haute valeur ajoutée, l’infrastructure et la gestion des services publics urbains.
Maîtrise de l’importation
Au niveau de la consommation, l’expert recommande de rationaliser la consommation et d’aller vers un modèle de consommation plus respectueux de l’environnement, notant que 25000 hectares de terres agricoles, sont détruits annuellement, en Tunisie, sous le double effet de l’érosion et de l’urbanisation, ce qui revient à perdre sur une génération (30 ans) l’équivalent de la surface du Cap bon en terre arables. « Nous devons également rationaliser notre gestion de la terre, de l’eau.
En 1960, chaque tunisien bénéficiait de 1025 m3 de l’eau potable, aujourd’hui, malgré tous les investissements qui ont été faits dans ce domaine (construction de barrage, lacs, conduites d’eau),rappelle-t-il, soulignant qu’il n’est plus accepté que l’agriculture qui ne contribue qu’à hauteur de 12% du PIB, consomme plus de 80% des ressources en eau,
S’agissant de l’export, Meddeb, qui a siégé dans des conseils d’administration de plusieurs entreprises tunisiennes, estime qu’il faut favoriser l’export qui valorise la matière première tunisienne et la valeur ajoutée nationale tout en rationalisant les importations.
« Ce sont ces modifications à apporter au modèle de développement tunisien. Il faut que nous soyons plus prêts d’une gestion raisonnable et raisonnée de nos ressources naturelles. Nous ne pouvons plus continuer comme avant, changer le modèle économique, c’est plus de rationalité, plus de solidarité, plus de durabilité, plus d’efficacité et, plus d’inclusion » conclut-il, soulignant que l’économie sociale et solidaire peut jouer un rôle important dans ce domaine.
TAP