A quelques semaines d’intervalle, deux coups d’Etat secouent le Niger et le Gabon portant à six le nombre des pays africains passés sous le joug militaire depuis 2020 et accentuant les craintes internationales d’un effet domino qui atteindrait d’autres pays du Continent. Cependant, des différences existent entre les deux situations liées principalement aux enjeux géostratégiques, aux acteurs impliqués, aux spécificités de chaque régime politique et à l’ampleur de l’impact que pourraient induire ces crises.
Pour la Tunisie, l’incidence de ces deux crises ne saurait être directe puisqu’il ne s’agit pas de pays voisins limitrophes ou de partenaires économiques importants, souligne une note de l’IACE . Il n’en demeure pas moins que c’est surtout l’enlisement au Niger qui pourrait engendrer un sérieux risque sécuritaire et migratoire pour la Tunisie d’où l’attention attachée au cas nigérien.
Situation au Niger
En dépit de la ferme position de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest «CEDEAO» pour restaurer l’ordre constitutionnel au Niger et rétablir le Président Bazoum au pouvoir, le leader du putsch, le général Tchiani, maintient sa posture imperturbable nonobstant les sanctions imposées depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023.
Conforté par le soutien de ses voisins maliens et burkinabés mais également par l’absence d’un consensus africain sur l’inéluctabilité d’une frappe militaire au Niger, le général Tchiani continue d’assurer par la voix de son premier ministre que le pays surmontera les sanctions jugées «inhumaines» imposées par la CEDEAO.
Du côté de cette dernière bien que la solution diplomatique soit privilégiée, le Nigeria, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Bénin ont fait part de leur disposition à envoyer des troupes au Niger. Ces quatre pays sont soutenus dans leur démarche par la France, qui déploie sur le sol nigérien un contingent de 1500 hommes dans le cadre de la guerre contre les djihadistes dans le Sahel.
L’Union Africaine, fidèle à ses traditions, tente d’éviter un affrontement militaire qui pourrait enflammer une partie du continent déjà en proie à un grand déficit de sécurité et de stabilité. Malgré son soutien affiché aux positions de la CEDEAO, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine, qui a décidé la suspension du Niger des institutions de l’Union, refuse de recourir à une solution militaire préconisée par ce bloc régional.
Position de la Tunisie
Prompte à réagir, la Diplomatie tunisienne a publié, le 26 juillet, soit moins de 24 heures après le coup d’Etat au Niger, un communiqué dans lequel elle déclare que « la Tunisie suit avec inquiétude les développements dangereux sur la scène nigérienne, en exprimant son soutien au pouvoir légitime de Mohamed Bazoum et appelant à la restauration immédiate de l’ordre constitutionnel.
En fait, les réactions fermes de la Tunisie face aux coups d’État militaires en Afrique ont souvent été nuancées par un appel au dialogue et à la retenue, lancé à toutes les parties impliquées dans les conflits. Cependant, dans le cas du Niger, le ton ferme s’est manifesté tout au long du communiqué en appelant à « la libération immédiate du président de la République, Mohamed Bazoum, et de tous les détenus sans condition, à prioriser l’État de droit, et le retour à la stabilité et à la sécurité ».
Ceci s’explique tant par son implication dans l’agenda de paix et de sécurité continental à travers son mandat actuel au Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine que par une évaluation des risques réels que pourrait engendrer l’instabilité au Niger.
Risques liés à l’instabilité au Niger
Les pays limitrophes de la zone sahélo-sahélienne, dont la Tunisie, sont directement ou indirectement concernés par les développements sécuritaires dans cette zone. En particulier, toute instabilité au Niger risque non seulement d’amplifier la menace terroriste déjà présente sur deux fronts dans le pays (au nord avec l’État islamique au grand Sahara et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans ainsi qu’au sud, avec l’État islamique en Afrique de l’Ouest et Boko Haram) mais surtout d’étendre son théâtre sur l’ensemble sahélien et bien au-delà.
L’incertitude sécuritaire liée à la réduction de la présence des forces internationales au Sahel, d’une manière générale, laisse craindre un regain d’activisme des groupes armés essaimés au Niger et dans tout l’arc sahélien mais aussi une recrudescence des activités des réseaux criminels transnationaux sous toutes leurs formes. A cet enjeu sécuritaire vient s’ajouter un enjeu migratoire qui revêt de plus en plus d’acuité, aujourd’hui. Le Niger, de par sa position au centre du Sahel, représente l’un des principaux axes de transit de la route migratoire depuis l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale qui traverse le Niger en direction de l’Afrique du Nord en l’occurrence la Libye et la Tunisie vers la Méditerranée. Le pays émerge, également, au cours des dernières années comme un pays d’installation et de rapatriement de migrants. A titre illustratif, depuis le coup d’état plus de 7000 migrants sont bloqués au Niger dans l’incapacité d’être rapatriés dans leurs pays d’origine, selon l’OIM.
Bien que la Tunisie ne partage pas de frontières directes avec le Niger, cette nouvelle donne risque d’exacerber la pression migratoire et l’afflux de ressortissants subsahariens vers le pays, qui constitue aujourd’hui la voie d’accès la plus courte vers la Méditerranée et l’Europe. La Tunisie, qui peine encore à maîtriser les flux de milliers de migrants sur son territoire, pourrait faire face à une nouvelle pression migratoire à ses frontières.