AccueilLa UNETransport : Diagnostic d’une Pro et propositions d’une femme de terrain

Transport : Diagnostic d’une Pro et propositions d’une femme de terrain

Le titre de cette contribution est de nous-mêmes. Les mots et les idées sont de Sarra Rjeb. Actuellement secrétaire d’Etat chargée du Transport, elle connait toutes les arcanes du secteur, du terrestre au ferroviaire, en passant par l’aérien. Elle écrit :

Le transport joue un rôle socio-économique fondamental en rapport avec la mobilité des personnes et des marchandises et également en rapport avec les pressions environnementales qu’il exerce. Par conséquent il est appelé à évoluer dans une logique de durabilité.

Qu’est-ce qu’un système de transport durable ?

Comme tout système de production, il devrait être à la fois économiquement soutenable, socialement équitable et respectable de l’environnement.

La durabilité de la mobilité est-elle compromise ? 

Constat : La croissance économique et sociale rapide et l’amélioration du niveau de vie ont entraîné une forte extension urbaine et une augmentation importante de la mobilité et du parc de véhicules en circulation.

Malgré le développement soutenu qu’a connu le secteur des­ transports, il a été constaté plusieurs faiblesses et insuffisances du système en place en matière d’organisation, de financement, de qualité de service.

La situation des transports urbains en Tunisie se caractérise par les tendances suivantes :

Une tendance lourde de développement de la voiture particulière et de son utilisation en particulier en milieu urbain.

A titre d’illustration, dans le Grand Tunis, la part des transports collectifs dans les déplacements est passée de 70 % en 1977 à moins de 25 % actuellement.

Cela a pour conséquence immédiate la congestion des villes, d’où un besoin de plus en plus important d’investissement dans les infrastructures routières qui sont très coûteuses pour le budget de l’Etat.

A ces coûts s’ajoutent une dégradation de la qualité de vie dans les villes, une surconsommation d’énergie, une pollution de l’air, un stress permanent des conducteurs automobiles avec toutes les conséquences sur la sécurité routière.

Enfin l’envahissement de l’espace urbain par les voitures particulières et la congestion des routes font supporter à la collectivité nationale des coûts socio-économiques et environnementaux très importants. Ces coûts sont estimés à 600 MD par an pour le Grand Tunis.

En matière de consommation d’énergie, un voyageur se déplaçant par métro consomme 10 fois moins d’énergie qu’un voyageur se déplaçant par voiture particulière et ce, sur la même distance. Le rapport est également de 1 à 10 en matière de pollution.

Sur un autre plan, l’espace public disponible en milieu urbain est occupé à plus de 90 % par les voitures particulières et les poids lourds, laissant une faible part aux piétons, vélos et transport en commun. Au sein des villes où l’espace public est rare, il est possible de faire circuler 4.5 fois plus de personnes en bus par rapport à la voiture particulière, 7 fois plus de personnes en vélo et 10 fois plus de piétons. En matière d’occupation de l’espace, il faut se rappeler ceci : un métro = 3 bus = 180 voitures.

L’insécurité routière est également une autre conséquence de la congestion des villes, en effet 66% des accidents enregistrés en 2017 ont eu lieu dans les agglomérations urbaines, soit 4580 accidents sur un total de 6972. Le nombre de tués et de blessés enregistrés est respectivement de 485, soit 36% et 5927, soit 57 % du nombre total de tués et de blessés sur l’ensemble des routes tunisiennes.

Le niveau de service du transport public collectif est peu performant : fréquences faibles, surcharge aux heures de pointe, dégradation progressive de la vitesse commerciale des bus, absence de coordination suffisante entre les divers modes de transport.

Cette mauvaise qualité de service perçue par les usagers du transport collectif est du à un certain nombre de facteurs dont notamment un déficit d’offre de transport, un vieillissement du parc en exploitation, une absence de priorité de passage des moyens de transport collectif y compris pour le métro et absence de sites propres bus.

A titre d’illustration, l’âge moyen du parc bus de la STT dépasse les 10 ans, celui des rames de métro dépasse les 20 ans et celui des rames TGM a atteint les 40 ans. Les conséquences immédiates sont des taux de disponibilité du matériel faible et des pannes fréquentes, d’où déficit d’offres et surcharge aux heures de pointe avec des densités au m² pouvant atteindre 10 voyageurs.

L’offre de transport collectif ne se mesure pas uniquement par le nombre de véhicules mis en exploitation mais également par le nombre de rotations que ces véhicules peuvent effectuer. Vu l’absence de site propre bus, l’absence de priorité de passage et l’état de congestion des villes, pendant les heures de pointe, le niveau de rotation est très faible pendant les heures de pointe et la vitesse commerciale est très dégradée, elle peut même descendre jusqu’à 6 km/h (vitesse proche de la marche à pied ou du vélo) rallongeant ainsi les temps de parcours et rendant les voyages de plus en plus pénibles.

D’un autre côté, l’étalement de la pointe, surtout celle du matin, pourrait améliorer la fluidité du trafic. En 2008, une expérience pilote a été mené dans le Grand Tunis dont les résultats ont été très positifs sur le système de transport. Cette expérience a consisté à décaler l’horaire du début de la séance matinale d’une demi-heure (horaire d’entrée à 9 h au lieu de 8 h 30). Cet étalement de l’heure de pointe, bien que minime, a permis de réaliser une augmentation de l’offre de la STT d’environ 5%, soit l’équivalent d’une injection de 50 autobus correspondant à une dépense d’investissement évitée de l’ordre de 25 millions de dinars (prix de 2017).

Insuffisances au niveau du financement : Tarification mal adaptée­ aux réseaux, insuffisance des compensations et limitation des­ contributions de l’Etat au financement des investissements.

Actuellement, le transport collectif public de personnes est financé pour une grande part par l’usager, avec les recettes des différents titres de transport et par l’Etat sous forme de compensation du manque-à-gagner du transport scolaire et de subvention d’équipement.

Ce système de financement a montré ses limites. En effet, et au vu des résultats financiers des sociétés de transport, les ressources disponibles pour le financement du transport collectif public de personnes sont insuffisantes. (Une grande partie des charges n’est pas couverte).

D’un autre côté, le manque-à-gagner des transporteurs résultant de la gratuité du transport ou de l’application de tarifs réduits imposés par l’Etat n’est pas compensé dans sa totalité.

La défaillance du système de financement a entrainé une dégradation de l’offre de transport collectif, de la qualité de service et de là son attractivité en comparaison avec la voiture particulière.

La mise en place d’un nouveau système de financement des transports s’impose et ce, à l’instar de beaucoup de pays disposant d’un système de transport performant.

Il est donc primordial de mobiliser et de diversifier les sources de financement par :

La mise en application du droit sur le transport collectif public prévu par la loi n° 2004-33 portant organisation des transports terrestres.

La garantie d’une compensation intégrale du manque à gagner des transporteurs du au transport gratuit, ou aux tarifs réduits.

La recherche de nouveaux mécanismes permettant de réaliser l’équilibre financier des entreprises et d’éviter, en conséquence, le recours à l’assainissement périodique.

Insuffisances au niveau de l’organisation du secteur : Limitation ­du rôle des collectivités publiques locales dans ce domaine, ­insuffisances du cadre juridique régissant l’organisation des­ transports terrestres, etc.

Malgré la promulgation en 2004 de la loi portant organisation des transports terrestres qui consacre la décentralisation de l’organisation des transports urbains et régionaux par la création dans chaque gouvernorat d’une autorité organisatrice des transports terrestres, malgré la création en 2008 de 24 directions régionales des transports dont le rôle et les attributions restent très limités, malgré la promulgation en 2014 de la Constitution qui consacre la décentralisation et malgré la publication en 2018 du Code des collectivités locales, l’organisation des transports urbains demeure centralisé et sous la responsabilité exclusive du ministère du Transport.

La quasi-totalité des déplacements en milieu urbain sont quotidiens et les motifs sont domicile-travail et domicile-école, donc c’est en rapport étroit avec la qualité de vie des citoyens. Par conséquent, le transport urbain constitue une activité de proximité par excellence et devrait être décentralisé et faire partie des attributions des collectivités locales.

En résumé, le transport urbain se caractérise par les tendances suivantes:

Une tendance lourde de développement de la voiture particulière.

Un niveau de service du transport public collectif peu performant

Une insuffisance au niveau du financement

Une insuffisance au niveau de l’organisation

Ces tendances occasionnent des déséconomies qui compromettent la durabilité de la mobilité des personnes et des biens.

Quelle politique adopter ?

Face à ces tendances compromettantes pour la durabilité de la mobilité, il y a lieu d’adopter une politique volontariste ayant pour objectif de renverser ou du moins freiner ces tendances et ainsi garantir une mobilité durable.

Cette politique doit reposer sur les principes généraux suivants :

Décentraliser l’organisation des transports urbains et régionaux en créant au niveau local une autorité organisatrice unique ;

Promouvoir une intégration des réseaux de transport collectif dans les grandes agglomérations urbaines ;

Améliorer l’attractivité des services de transport collectif pour inciter le citoyen à les utiliser ;

Assurer une harmonisation des politiques d’aménagement du territoire et des transports ;

Rechercher de nouvelles sources ou de nouvelles conditions de financement ;

Maîtriser les coûts des transports publics et améliorer la productivité du personnel et du matériel ;

Rationaliser l’utilisation de la voiture particulière notamment dans les centres villes.

Pour la mise en œuvre de cette politique des actions doivent être réalisées et d’autres programmées et elles se résument comme suit :

Développement et modernisation du système de transport collectif et en particulier du transport ferroviaire par :

Le rajeunissement et le renforcement du parc de transport collectif de personnes

L’achèvement de la mise en place d’un réseau intégré de transport collectif du Grand Tunis qui comprend une extension du réseau de métro léger de Tunis, la réalisation d’un réseau ferroviaire rapide de 5 lignes, la mise en place d’un réseau armature bus en site propre, la construction de pôles d’échanges à l’hyper centre et la périphérie et la construction de parkings réservés aux voitures particulières permettant le rabattement vers le réseau de transport collectif.

La décentralisation de l’organisation doit être concrétisée par la création dans chaque Gouvernorat d’une autorité régionale organisatrice des transports terrestres qui sera, dans la limite de ses compétences, responsable de l’organisation des transports urbains et régionaux et de la coordination entre les différents intervenants dans ce domaine. Les directions régionales relevant du Ministère du Transport pourraient constituer les structures techniques d’appui de ces autorités organisatrices

Pour les agglomérations urbaines qui couvrent le territoire de deux ou plusieurs Gouvernorats et afin de garantir la complémentarité et la continuité des services de transport entre les zones de leur compétence, les Autorités régionales organisatrices pourraient être créées au niveau des districts prévus par le Code des collectivités locales récemment promulgué.

Elaborer ou actualiser les plans de circulation dans les grandes villes et ce, afin d’améliorer la fluidité de la circulation et par conséquent la diminution de la consommation d’énergie et de la pollution.

Ces plans de circulation devraient réserver une priorité au transport collectif et prévoir la réduction de l’accès de la voiture particulière au centre-ville.

Financement du transport collectif public :

En vertu de la loi de 2004 portant organisation des transports terrestres, l’Etat prend en charge le financement des investissements d’infrastructure et d’étude dans le domaine du transport collectif public urbain et régional.

Par ailleurs, le principe retenu dans cette loi consiste à financer les services de transport collectif public par :

Les recettes directes provenant de la vente des titres de transport aux usagers ;

La compensation du manque-à-gagner résultant du transport gratuit ou à tarifs réduits imposé par l’Etat ou par les autorités régionales organisatrice des transports terrestres ;

La contribution des bénéficiaires indirects de ces services par l’institution d’un droit sur le transport collectif public auquel seraient soumis ces bénéficiaires.

Les deux projets de décret, pris en application de cette loi, fixant pour le premier projet la méthode de calcul du manque-à-gagner résultant du transport gratuit ou à tarifs réduits, et pour le second les bénéficiaires indirects des services de transport collectif public ainsi que l’assiette et les procédures de recouvrement du droit sur le transport collectif public auquel ils sont soumis, devraient être promulgués.

Conclusion

La mobilité est un droit constitutionnel pour tout citoyen et elle doit s’inscrire dans la durabilité afin de la préserver pour les générations futures, il est par conséquent urgent d’adopter une politique volontariste dans le domaine des transports car la durabilité de la mobilité est menacée.

Sarra Rjeb

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