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Tunisie : Les 7 contre-vérités du discours de Moncef Marzouki. Que cache-t-il au peuple ?

Après l’avoir retardé puis démenti, le Président tunisien, désigné et provisoire, a enfin parlé, vendredi 6 juillet. Un discours, enregistré et monté, sur un fond de toile trois drapeaux (celui de la Tunisie, celui de la Ligue des Etats arabes et celui de l’Union Africaine). Un décor dont le message reste un mystère et un discours dont  très peu de personnes ont pu comprendre les raisons et la finalité. Un discours, cependant, plus orienté vers ses partenaires politiques que vers le peuple. Les messages et les demandes, indirectes, que contiendrait ce discours, semblent, en effet, orientés vers Ennahdha et son gouvernement. Pour le commun des Tunisiens, Marzouki n’a rien expliqué des vraies raisons de son différend avec le chef du Gouvernement. Au contraire, estimons-nous, il les a parfois menés en bateau et induits en erreur.
Pendant 13 minutes et 26 secondes, le Préssident tunisien, désigné et provisoire, assène des contre-vérités [pour éviter, comme le font les avocats devant les juges, de dire mensonge], parfois criardes.

Une 1ère contre-vérité économique :

Faisant, dès le début de son discours, le bilan de six mois de sa présidence, Marzouki commence par une contre-vérité. «La situation économique est revenue à ce qu’elle était avant la Révolution». On ne sait cependant pas comment le chef de l’Etat tunisien, désigné et provisoire, a pu tirer cette conclusion. Le dernier Conseil d’Administration de la BCT [Le CA de la BCT ne compte pas que Mustapha Kamel Nabli, mais 8 professionnels et économistes chevronnés, dont 4 représentants de l’Administration], a pourtant bien mis en évidence des signes, plutôt négatifs. Dans son communiqué du mois de mai, le CA de la BCT a pointé «la poursuite de la baisse de la production et des exportations du secteur industriel, au cours des derniers mois, surtout pour les industries manufacturières orientées vers l’exportation et ce, sous l’effet de la récession économique dans la Zone Euro». Le même communiqué a souligné la «poursuite de l’augmentation des importations à un rythme plus élevé que celui des exportations a contribué à l’élargissement du déficit courant qui a atteint 4% du PIB au terme des cinq premiers mois de l’année en cours contre 3% au terme de la même période de 2011, exerçant ainsi des pressions sur les avoirs nets en devises».
Avant la Révolution, ces avoirs dépassaient les 13 milliards DT et ils ne sont plus que 10. Les exportations étaient en hausse de 13,9 et les importations de 5,1%, après la Révolution les exportations ont augmenté de 4,1 % et les importations de 14,5 %. Avant la Révolution, l’inflation était de 4,8 %, en mai dernier, elle était de 5,5 %. Avant la Révolution, l’indice de la production industrielle était de +8,4 %, en avril dernier, il n’était plus que de 3,2%. Le président, désigné et provisoire, Moncef Marzouki ne le sait peut-être pas, mais avant la révolution, la Tunisie comptait 700 mille chômeurs, elle en compte maintenant un million. Il ne veut certainement pas le croire, mais avant la Révolution, les oliveraies et les champs de blé n’étaient pas désertés par la main-d’œuvre. Aujourd’hui et selon les propres déclarations du ministre de l’agriculture, à 30 DT le jour, les agricultueurs ne trouvent pas de main d’œuvre. Avant cette Révolution, la Tunisie était courue par les IDE. Elle ne l’est plus et il faudrait presque les duper pour qu’ils acceptent d’investir dans un pays où le chômeur est roi et où l’homme d’affaires est inculpé jusqu’à ce qu’il apporte lui-même la preuve du contraire. Le président, désigné et provisoire, Moncef Marzouki, ne le sait peut-être pas non plus, mais avant la Révolution les banques tunisiennes avaient un surplus de liquidité. Après la Révolution, au moins 650 MDT ont été retirés des banques, et la BCT est mensuellement obligée d’injecter de l’argent pour que l’économie tunisienne, claudicante, continue de  tourner. L’économie tunisienne est donc encore loin de revenir à l’état où elle était avant la Révolution et l’affirmation du Président marzouki ressemble plus à une contre-vérité qu’à une vérité.

Une 2ème contre-vérité, politico-politicienne.

La deuxième contre-vérité concerne l’essence même de la dispute Marzouki-Jbali et l’état de la troïka gouvernante. «Nous avons pu dépasser nombre de dangers et cela s’est passé dans le cadre d’une unité au sein de la troïka, qui a pu travailler dans une atmosphère d’entente de cohésion et devenue un exemple  qui force le respect arabe et international», disait Marzouki à son peuple. Cette affirmation, faite solonnellement, prend cependant vite l’espect d’une théorie invérifiable, dès que Marzouki aborde le sujet de sa dispute avec Hammadi Jbali, c’est-à-dire l’affaire Baghdadi Mahmoudi. S’il y est, en effet, revenu, c’est que le différend n’est pas encore terminé. Bien au contraire, il persiste. Deux choses en donnent la preuve. D’abord le fait que Marzouki insiste pour redonner les mêmes explications à sa colère et son différend avec Jbali, pourtant déjà amplement refutées par Jbali devant l’ANC. Ensuite, le fait qu’il n’ait pas annoncé le retrait de sa «plainte» contre Jbali auprès de l’ANC (Assemblée Nationale Constituante). L’affaire est ainsi  loin, très loin, d’être une simple affaire de remise d’un criminel de droit commun aux autorités de son pays, mais bel et bien une affaire de politique interne et une dispute de prérogatives entre un Chef de gouvernement qui a tout et un chef d’Etat qui n’a rien.
Faussement, Moncef Marzouki placera, dans son discours, le débat sur le plan du respect des principes et des conventions internationales. Si tel était réellement le cas, pourquoi cette même Tunisie de Marzouki et d’Ennahdha n’applique-t-elle pas le principe, internationalement reconnu, du droit des uns qui doit être défendu lorsque la liberté des autres le défonse. Cela est notamment valable pour le droit au travail face au droit à la grève et aux sit-ins devenus un droit de fait, le droit à la propriété face à la confiscation qui ne s’adosse à aucun jugement, le droit à la libre circulation face aux interdictions de voyage ou les droits civiques et politiques face au projet d’exclusion que son propre parti veut instaurer et qu’il défend toujours dans ce discours du 6 juin en agitant  l’épouvantail des «restes de l’ancien régime » ? Pourquoi non plus ne pas respecter le droit à l’information face à une liberté de presse de plus en plus restreinte, comme le confirme le dernier  rapport de RSF (Reporter Sans Frontières), par l’Etat Nahdhaoui que Marzouki cautionne, le droit au respect de l’intégrité physique et morale que les forces de l’ordre de l’Etat qu’il préside, ne font toujours pas respecter ou encore le droit à une justice libre et indépendant face aux débordements de ce qui est appelé la justice transitionnelle ?
Les exemples sont, en effet, légion en matière de principes universels et de conventions internationales qui ne sont toujours pas respectées et que Marzouki aurait pu et dû défendre dans ce discours, s’il était bien vrai que son différend d’homme de droits de l’homme avec Jbali porte  réellement sur le respect des principes fondamentaux et l’application des conventions internationales qui ne sont invoquées qu’à l’occasion du cas Baghdadi Mahmoudi.
Entre CPR et Ennahdha, au contraire de tout ce qu’il a dit à ce propos, cette dispute sur le partage des pouvoirs, n’est pas nouvelle. Bien avant lui, Mohamed Abbou, du même CPR que Marzouki, s’y était confronté et avait menacé de démissionner, dès les premières semaines du gouvernement Jbali. Abbou a fini par jeter l’éponge. Marzouki est plus tenace. Ayant accepté l’indigence de ses prérogatives de Président, depuis sa désignation par l’ANC sur la base d’un accord secret avec Ennahdha, Marzouki n’arrive vraisemblablement pas à accepter que toutes ses gesticulations de président ne lui apportent rien en décisions applicables et qui pourraient lui servir de faire-valoir pour les prochaines élections. Désormais à l’intérieur de la grotte du pouvoir, le président provisoire découvre l’étendue de la voracité d’Ennahdha s’agissant de pouvoir. Marzouki n’en prend cependant pleinement conscience que lorsque cela touche à ses propres pouvoirs. Il n’arrive cependant pas à perdre espoir et démissionner comme son poulain Abbou, en disant qu’il restera dans son poste en tant que garant de l’équilibre des pouvoirs. Quant au  reste des Tunisiens qu’Ennahdha contraint et rogne, iIls peuvent toujours attendre derrière les grilles du Palais de Carthage !

La 3ème est tout aussi politicienne.

«Le sentiment dominant [chez les représentants de partis qu’il a reçus] est qu’on s’est  engagé dans une voie qui nous mènerait, à Dieu ne plaise, vers plus de décisions personnelles. Le mot qui fait florès, est la peur. Cela est compréhensible et légitime, et la prudence est un devoir pour tout le monde. La tendance à l’hégémonie et à l’exclusion est innée en nous tous. De là, il y a nécessité à mettre en place les structures et les traditions qui nous préservent contre nous-mêmes et nous protégent les uns contre les autres (…) ». Les mots sont, bien sûr, de Moncef Marzouki, dans l’un des rares moments de lucidité politique, lors de  son discours du 6 juillet.
Le président, désigné et provisoire, n’invente rien en la matière. Toute la classe politique tunisienne  disait cela, depuis la première réunion de l’ANC. Les faits, gestes et déclarations des ministres et responsables d’Ennahdha, le confirment jour après jour. La Tunisie est entre les seules mains d’un parti qui piétine ou ignore, dans le meilleur des cas, tous ceux qui ne sont pas de son avis. Toute la Tunisie, hormis, bien sûr, les 1,5 millions de ses électeurs, a désormais peur d’Ennahdha et des Salafistes, ses «enfants» comme les appellent Rached Ghannouchi et Hammadi Jbali.
La contre-vérité, c’est lorsque Marzouki affirme, dans son discours, en solo mais par le truchement  du reste de l’opposition qu’il a reçue à Carthage, que «il n’y a pas d’autre alternative à la troïka que les aventures politiques dont personne ne sait où elles conduiraient le pays». Avec la troïka, la Tunisie est, en fait, déjà dans une aventure politique dont personne, même pas Marzouki lui-même qui l’écrivait noir sur blan sur le site d’Al Jazeera, ne connaît l’avenir et les perspectives.

Marzouki ne dit pas tout à propos de M.K. Nabli.

Evoquant, enfin, le second et principal objet de discordre entre lui et Jbali, Moncef Marzouki essaie de minimiser l’objet de sa demande de renvoyer le gouverneur de la BCT. Il tente même, par les contre-vérités qu’il égrène à ce propos, de cadrer autrement une décision, prise à titre personnel et en dehors des cercles financiers qui la dénonçaient tous, pour essayer de la vider de sa substance politicienne et la mettre dans le cadre du sacro-saint intérêt du peuple.
«La décision républicaine que nous avions proposée à l’ANC, après accord avec le chef du gouvernement, ne doit pas être comprise comme étant une interférence de l’autorité politique dans l’autorité financière, ni comme un différend personnel, mais comme émanant de la nécessité, pour l’ANC, de progresser concrètement dans l’action de réformer les secteurs, financier et bancaire, de façon à permettre à la BCT de jouer son rôle de garant des équilibres globaux à la lumière des intérêts du peuple». Ainsi parlait le politicien Marzouki qui n’a jamais été aussi loin de l’économie et des finances.
Dite ainsi, l’explication de son désir de renvoyer un homme, internationalement connu et reconnu et quelqu’un qui a préféré le salaire d’un Gouverneur à celui d’un haut fonctionnaire de la Banque Mondiale pour répondre à l’appel du devoir national, comporte aussi au moins deux autres contre-vérités. D’abord, le fait d’affirmer que l’accord du gouvernement lui est acquis, alors que ce dernier ne cesse de répéter que cela fait encore l’objet de discussions. Evoquant, ensuite, «la nécessité, pour l’ANC, de réformer les secteurs financier et bancaire, de façon à permettre à la BCT de jouer son rôle de garant des équilibres globaux à la lumière des intérêts du peuple », Marzouki essaie de cacher la réalité. Le président voudrait en fait utiliser l’ANC pour mettre la BCT aux ordres de la politique du Gouvernement [Marzouki utilisera, dans son discours, le terme plus politicien, de service du peuple. Ce peuple étant dirigé par le gouvernement, cela reviendrait à la même chose !]. Cela ne pourrait pas s’appeler autre chose que la fin de l’indépendance de la BCT, acquise de droit auprès de l’ANC contre l’avis du président de la République et du Gouvernement.
Dans cette affaire, Marzouki omettra sciemment de dire au Peuple auquel il s’adressait, ce 6 juillet, les vraies et profondes raisons de son désir sans frein de renvoyer Mustapha Kamel Nabli. Toute demande de renvoi du Gouverneur de la BCT devrait pourtant, selon la loi, être dûment motivée. Nul autre  que Marzouki pour l’instant ne les connaît, même pas son conseiller juridique.
Marzouki évoque les intérêts d’un peuple qui n’a pourtant aucun intérêt à être noyé dans les dettes consuméristes dont lui et le gouvernement voudraient faire le prochain levier de croissance, fictive, de l’avis même du chef du Gouvernement, dans l’une de ses interventions devant l’ANC !
Khaled Boumiza

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