Demain, en Tunisie, des mastodontes de l’industrie culturelle dans la lignée des ténors internationaux comme Disney, Vivendi… ? C’est le souhait émis par l’auteur de l’Etude « Etat des lieux et potentiel des industries culturelles et créatives en Tunisie« , un travail qui s’est étalé sur 4 mois et qui a été commandé par la BIAT (Banque Internationale Arabe de Tunisie). On peut nourrir l’espoir que cette initiative portée par le leader des banques de la place fasse naître des vocations parmi les grands groupes privés du pays, pour donner à l’industrie de la culture le rayonnement qu’elle mérite. Car le potentiel est là, les talents sont là, les artistes sont là, il y a un bouillonnement culturel indéniable, la Tunisie est assise sur un riche patrimoine architectural et archéologique, elle a des traditions plusieurs fois millénaires. Reste à embrayer en mettant en place un partenariat public-privé à la hauteur des défis et des enjeux du monde de la culture. C’est, principalement, le message qui a été lancé jeudi 07 juin 2018 dans la soirée à l’Institut Français de Tunisie, lors de la présentation de l’étude, en présence du ministre tunisien de la Culture, Mohamed Zine Abidine, de l’Ambassadeur de France, Olivier Poivre d’Arvor, des anciens ministres Noomane Fehri (aux TIC), Nejla Moalla Harrouch (Commerce) et Mourad Sakli (Culture)…

L’état des lieux

La culture est sans aucun doute ce qui définit le mieux le citoyen, car liée à son ascendance, à son éducation, à son héritage… Bref, à son identité. C’est aussi ce qui nous rassemble tous, ce qui fait le ciment de la société. Mais c’est devenu aussi, au fil du temps, un poste de dépense, même s’il est loin de pouvoir rivaliser avec les autres. La culture pèse à peine 1% dans les dépenses des ménages tunisiens, dit l’étude, très loin des sommes absorbées par l’alimentaire ; il y a donc de la marge, pour les citoyens car ces dépenses élèvent l’esprit mais aussi pour les investisseurs privés. Il faudra avant régler le problème de la faible exposition culturelle dans le pays. Les offres ne sont pas assez abondantes, il n’y a pas assez de lieux de culture, pas assez de biens culturels, pas assez de salles de cinéma, de salles de concert, etc. La marge de progression pour les promoteurs est donc phénoménale, et ce d’autant plus que l’engouement populaire est là. Par exemple les 9 chaines de télévision les plus regardées en ce moment sont locales, une tendance qui s’est complètement inversée, indique l’enquête. Elle a également fait un focus sur la musique, en donnant l’exemple du phénomène Balti, dont les exploits sur Youtube, en Tunisie, dépassent ceux du célèbre rappeur américain Jay-Z aux USA. La demande est là, le marché est là, reste l’investissement.

Pour aller plus loin dans la réflexion

Le triste sort fait au livre a aussi été abordé. C’est un fait, confirmé par cette étude : les Tunisiens ne lisent pas assez. Le livre était un objet dangereux sous Ben Ali, il l’est toujours, a dit l’auteur de ce rapport. En fait le livre n’est pas resté à proprement parler un objet dangereux depuis la Révolution, c’est un objet un peu trop cher au regard de la crise économique actuelle, un objet presque de luxe pour la plupart des citoyens. La culture, en général, c’est ce qui vient quand on a réglé tous les problèmes élémentaires liés à la subsistance, à la survie tout court. On ne peut pas plaquer le modèle de l’Occident, qui a trouvé des solutions à la plupart de ses problèmes, sur le modèle tunisien et déduire que par ici on ne lit pas assez, on ne va pas assez au théâtre, on ne va pas assez au cinéma… En Tunisie les enjeux, pour le moment, sont ailleurs, et le citoyen lambda est contraint de consommer le bien culturel à sa portée : les festivals d’été, les spectacles de quartier, les processions des mariages ou des circoncisions, etc. L’Ambassadeur de France a d’ailleurs souligné cette effervescence culturelle locale, a magnifié le travail des artistes tunisiens, la liberté d’expression et de création, et les merveilles qu’elle produit.

Enjeux économiques mais aussi géostratégiques !

L’étude a passé à la loupe l’industrie culturelle turque, très florissante, pour offrir aux Tunisiens un modèle. Chiffres à l’appui, le rapport a mis en relief le formidable essor de la production audiovisuelle turque dans le monde arabe, où elle a évincé toutes les autres oeuvres étrangères. Mais ce n’est pas tout, ce phénomène, car c’en est vraiment un, commence à impacter, positivement, le tourisme turc, et donc l’économie nationale. En effet l’étude a établi que dans les pays arabes où les séries turques font un tabac, les citoyens perpétuent la magie en allant visiter la Turquie, où ils dépensent aussi, et pas peu ! Manifestement piqué au vif par cette « invasion turque », Olivier Poivre d’Arvor a déclaré que cette affaire ne doit pas nous « empêcher de dormir« . Ce qu’il n’a pas dit, c’est que la résistance s’organise du côté de la France pour ne pas perdre pied sur l’influence culturelle. Pour la France, notamment depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, il est maintenant question de corriger les effets des années de léthargie qui ont vu la Turquie, la Chine et même l’Inde lui disputer le pré-carré africain, une affaire économique mais aussi culturelle. C’est ce qui explique le méga projet culturelo-touristique la « Saison Bleue« , le paquet de projets d’universités franco-tunisiennes dont Dauphine est une parfaite illustration, elle qui va d’ailleurs créer l’an prochain un master de management culturel.

Souleymane Loum

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