18 mois après son investiture, le GUN (Gouvernement d’Union Nationale) de Youssef Chahed semble donner des signes de fissures, parfois assourdissantes de silence. On croyait ces dernières propres à Nidaa Tounes, elles viendraient désormais toucher la propre équipe du chef du gouvernement.

Il y a d’abord, la fissure originelle, entre hommes de Youssef Chahed et ceux de Béji Caïed Essebssi. Quelques ministres de l’actuel gouvernement étaient issus du sérail de Carthage, comme celui des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui, celui de l’Intérieur Lotfi Brahem et celui de la Défense Abdelkerim Zbidi et celui des Finances, tous franchisés Caïed Essebssi, dont on dit qu’il les aurait imposés à Youssef Chahed.

  • Des ministres qui mettent leurs secrétaires d’Etat au frigo

Il y a ensuite, les petites querelles, mais qui durent entre certains ministres et leurs secrétaires d’Etat. Le cas le plus flagrant, nous semble-t-il, est celui du ministre du Transport Radhouane Ayara et sa secrétaire d’Etat Sarra Rjeb. Au cours du dernier CMR du jeudi 1er mars 2018 qui a été pourtant consacré aux grands projets du secteur du transport et de la logistique, tous les ministres concernés étaient présents, sauf la secrétaire d’Etat dont le propre ministre a pourtant bien raboté le domaine d’intervention au transport terrestre, qui a brillé par son absence.

Le différend entre Ayara et Rjeb aurait éclaté dès les premiers jours de leurs investitures respectives. Issu de Nida comme Ayara, l’ancien ministre du Transport, Anis Ghédira, qui était en bisbille avec l’ancienne PDG de Tunisair, aurait remonté son successeur contre sa nouvelle secrétaire d’Etat. Cette dernière a d’ailleurs été, selon nos informations, presque toujours écartée des activités du ministère, travaillerait en autarcie et a assuré le suivi de plusieurs des grands projets de transport, objet du CMR.

Les différends empoisonnent, par ailleurs, les rapports d’autres ministres de Youssef Chahed avec leurs secrétaires d’Etat. Ce serait, selon nos informations, le cas entre le ministre nahdhaoui de la Santé, Imed Hammami, et sa secrétaire d’Etat Sonia Ben Cheikh qui avait failli être promue ministre lorsqu’elle avait assuré l’intérim de feu Slim Chaker, avant de se voir remettre dans le placard et le placard dans un frigo, par le remplaçant de Chaker. Ce serait aussi le cas entre le ministre de l’Agriculture Samir Taïeb et son secrétaire d’Etat chargé des ressources hydrauliques Abdallah Rabhi qui s’en serait déjà plaint à certains de ses collègues. Face à tous ces différends, qui handicapent le travail de ses ministères, le chef du gouvernement fait la sourde oreille et refuse de trancher, comme en définissant par arrêté le domaine d’intervention de chacun.

  • De Bouargoub au samedi dernier

Le cas le plus flagrant en matière de différends, reste cependant celui des relations tendues entre le chef du gouvernement Youssef Chahed et son ministre de l’Intérieur (MI) Lotfi Brahem. On croyait à un certain moment qu’ils étaient «dans le bol du miel» comme disait un dicton local, pour signifier qu’il s’entendait comme deux larrons en foire. La paire Chahed-Brahem avait alors défrayé la chronique des coulisses du pouvoir, en organisant, ensemble et en catimini, une opération antiterroriste, à partir de la caserne de la Garde nationale à Bouargoub, sans que le ministre de l’Intérieur d’alors, Hédi Majdoub, ne soit mis au parfum. Ce jour-là, Mejdoub a fulminé.

Début novembre 2017, un forcené s’en prend à deux policiers, dont le Commandant Barrouta qui décèdera plus tard. Un communiqué devait être rendu public par le MI. Les services du chef du gouvernement demandent qu’il leur soit d’abord soumis. Le chargé de com du MI, temporise et pose la question à son patron Lotfi Brahem. Ce dernier lui ordonne de n’obéir qu’à ses ordres et le communiqué fut publié, sans être visé par la Primature.

Samedi 3 mars 2018, les réseaux sociaux s’enflamment d’information faisant état de nouvelles nominations au département, que le MI n’aurait pas acceptées bien qu’elles aient été préalablement fuitées dans la presse et même refusé de signer les télégrammes devant en informer les personnes intéressées. L’incident sera officiellement clos vers 22 heures la cette soirée de samedi.

  • Brahem le «Lonesome Cowboy», fâché avec son patron ?

Ces deux incidents, révélateurs d’une tension entre le chef du gouvernement et son ministre de l’intérieur, et n’étant d’ailleurs pas les seuls, sont un secret de polichinelle et nous ne sommes pas les premiers à en parler. Le Red-Chef d’une radio privée en a fait un long édito, sous le titre du «mur de glace, entre l’avenue Bourguiba (siège du MI) et la Kasbah (siège de la Primature). Ce qui y a été rapporté à propos de la liste de nominations au sein du MI, encore bloquée à La Kasbah, est une information qui circule depuis quelques mois. Des nominations, telles que celle d’un directeur général de la sûreté dans une des gouvernorats du Sud qui reste vacant depuis plus d’une année, ou les nominations dans le corps des Délégués régionaux. Des projets, comme celui de la restructuration du MI, annoncé en mars 2017 par le chef de l’Etat, restent aussi dans le placard, des suites de cette, pour le moins mésentente sinon plus, entre Chahed et Brahem.

Il est vrai que ce dernier est généralement connu pour être un «lonesome cowboy», bosseur qui abattait un énorme travail depuis qu’il était à la tête de la Garde Nationale, s’illustrant toujours dans la lutte antiterroriste, mais solitaire. Sa dernière visite, à la tête d’une forte délégation de hauts cadres sécuritaires à l’Arabie Saoudite, a aussi fait couler beaucoup de salive et peu d’encre.

Il est vrai aussi que le chef du gouvernement Youssef Chahed n’était pas non plus, en bonnes relations avec le prédécesseur de Brahem, Hédi Mejdoub qu’il finira par remplacer. Peut-être se sentirait-il exclu de la gestion d’un ministère dont dépend tout le travail de son gouvernement et auquel il voudrait donner son propre ton et y laisser sa propre empreinte ! Peut-être aussi, Youssef Chahed avait-il trop lu les campagnes de soutien à Brahem qui ne sont toutes pas faites que par compassion !

Tout cela n’est en tout cas pas de nature, faut-il le rappeler, à renforcer la cohésion au sein d’un GUN appelé sur plusieurs chantiers à la fois. Un manque de cohésion qui se répercute aussi sur le développement économique, dont le lien est étroit avec la sécurité. C’est pour cela que nous en parlons aussi. La crise a été désamorcée. Mais à quel prix et jusqu’à quand ?

Khaled Boumiza

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