AccueilLa UNEMémorandum Tunisie-UE : Le dit et les non-dits

Mémorandum Tunisie-UE : Le dit et les non-dits

L’Union européenne et la Tunisie ont  donc signé, dimanche,  un protocole d’accord pour un « partenariat stratégique global » , à la satisfaction déclarée et dans l’intérêt bien compris de toutes les parties,  pourrait-on dire. Et d’abord de la  Première ministre italienne, Giorgia Meloni, qui a fait pression et pris la tête des efforts européens à cette fin. D’ailleurs, elle  a qualifié l’accord d' »étape importante pour traiter la crise migratoire de manière intégrée » et de « nouveau modèle » pour établir des relations avec les pays d’Afrique du Nord. Au demeurant, son gouvernement s’apprête à présenter en octobre le « plan Mattei », qui servira de cadre à ce type de coopération en matière d’énergie et d’investissements.

Mais à bien y regarder, et par-delà les déclarations, par endroits jubilatoires, de signataires, il y a rigoureusement lieu de noter que le  texte n’est pas contraignant et ne crée pas d’obligations en soi. Il présente toutefois une série de plans d’action qui seront progressivement étoffés, transformés en instruments juridiques et approuvés par les États membres avant d’être mis en œuvre. Les  plans sont divisés en cinq piliers thématiques : la stabilité macroéconomique, l’économie et le commerce, la transition verte, les contacts interpersonnels et les migrations. Et chaque catégorie comprend différents projets d’investissement et de coopération, dont beaucoup impliqueront le déboursement direct de fonds du budget commun de l’UE.

Ensuite, le mémorandum reste vague sur les chiffres financiers, qui pourraient changer en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain, bien que certains chiffres préliminaires  aient  été déjà  avancés, comme l’observent des experts cités par euronews. Ils ne s’exceptent pas de considérer la Tunisie comme étant « au bord de la faillite en raison des ravages causés par la pandémie de COVID-19, de la hausse de l’inflation, de la flambée mondiale des prix des produits de base, du chômage élevé et de l’exode des investissements étrangers provoqué par le recul continu de la démocratie ».

Bruxelles craint que « l’économie en chute libre ne s’effondre bientôt et n’exacerbe encore l’instabilité interne de la Tunisie, poussant les gens à quitter le pays et à se diriger vers les frontières extérieures de l’Union européenne ».

L’enveloppe de 150 millions d’euros vise à éviter ce scénario catastrophe et à garantir que le gouvernement tunisien dispose de suffisamment de liquidités pour assurer la fourniture des services de base et jeter les bases des réformes économiques, es-il expliqué .

C’est pourquoi la migration est un pilier clé du mémorandum, avec une allocation initiale de 105 millions d’euros pour lutter contre les opérations de contrebande, renforcer la gestion des frontières et accélérer le retour des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée.

L’argent sera fourni aux autorités tunisiennes sous forme de bateaux de recherche et de sauvetage, de jeeps, de radars, de drones et d’autres types d’équipements de patrouille, ainsi qu’aux organisations internationales qui travaillent sur le terrain, telles que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Pas de chèque en blanc !

Mais , précise la même source, le versement des fonds ne sera pas lié à un objectif chiffré de réadmissions annuelles ou de réduction des arrivées, et il ne comportera pas de dispositions relatives aux droits de l’homme en plus des clauses traditionnelles que l’UE associe à ses programmes d’aide à l’étranger, malgré les preuves de plus en plus nombreuses de refoulements et de traitements violents à l’encontre des immigrés de race noire.

« Nous ne donnons pas d’argent aux autorités pour qu’elles fassent ce qu’elles veulent », a déclaré un haut fonctionnaire de l’UE, qui a parlé sous le couvert de l’anonymat pour défendre les aspects les plus sensibles du mémorandum. « Il ne s’agit pas du tout d’un chèque en blanc.

Cité par la même source, le haut fonctionnaire a insisté sur le fait que la Tunisie ne serait tenue d’accepter que le retour de ses propres ressortissants, et non celui des milliers de demandeurs d’asile qui traversent le pays pour tenter d’atteindre l’Union européenne, ce qui sera fait sur une base volontaire avec le soutien de l’OIM et du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. De même, il ne sera pas demandé à la Tunisie d’accueillir sur son territoire d’autres nationalités qui se sont vu refuser la possibilité de chercher refuge dans l’Union.

« La Tunisie n’est pas censée être un point de rassemblement pour les migrants irréguliers », a déclaré le fonctionnaire, rappelant une déclaration similaire faite précédemment par le gouvernement tunisien.

De  l’argent encore en perspective ?

En complément des 700 millions d’euros déjà alloués, Bruxelles est prête à mettre sur la table une enveloppe substantielle d’assistance macro-financière pour renforcer l’économie fragile de la Tunisie et éviter que la situation ne devienne incontrôlable.

Ursula von der Leyen a déclaré le mois dernier que l’Union européenne était prête à fournir « jusqu’à 900 millions d’euros » à cet égard, mais lorsqu’elle s’est exprimée dimanche, elle a évité de donner des chiffres précis.

« Nous restons prêts à soutenir la Tunisie en mobilisant une aide macrofinancière dès que les conditions nécessaires seront remplies », a-t-elle indiqué,  très certainement en référence aux pourparlers en cours entre la Tunisie et le FMI concernant un accord de prêt de 48 mois d’une valeur de 1,9 milliard de dollars, soit 1,69 milliard d’euros. L’accord, tel qu’il a été proposé par le FMI en octobre, introduit d’importantes réformes, notamment en ce qui concerne les PME, la fiscalité, les subventions publiques, la transparence, la gouvernance et le changement climatique, en échange de l’argent.

Le risque d’une spirale de militarisation des flux migratoires

Lorena Stella Martini, assistante nationale au bureau de Rome du Conseil européen des relations étrangères, souligne que « ce qui est préoccupant, c’est que l’architecture mise en place , dont les résultats seront engrangés  à moyen terme, est associée à une tentative beaucoup plus directe et à court terme d’arrêter les flux migratoires de la Tunisie vers l’Europe (à savoir l’Italie) le long de la route de la Méditerranée centrale ».

La question la plus épineuse, ajoute-t-elle citée par le site Decode39,  tient au fait  que le protocole d’accord stipule que la Tunisie ne s’occupera que de la police de ses propres frontières, tandis que toutes les parties « s’engagent à coopérer pour soutenir le retour dans leur pays des migrants en situation irrégulière se trouvant en Tunisie ». Compte tenu des expériences précédentes de l’Europe avec ce modèle de coopération et des antécédents de la Tunisie en matière de migration, « la compatibilité entre un tel cadre et le respect des droits et de la dignité des migrants – encore une fois, comme indiqué dans le protocole d’accord – reste très incertaine ».

« De plus, la Tunisie se dirige actuellement vers un défaut de paiement […] Comment pourrions-nous penser qu’un pays dans des conditions politiques et économiques aussi désastreuses pourrait s’acquitter de manière efficace et transparente de ce dossier délicat », s’est interrogée l’experte.

« En définitive, malgré la volonté d’esquisser un partenariat multidimensionnel, le ‘pilier’ migration de ce protocole d’accord risque de faire retomber l’ensemble dans une spirale de sécurisation et de militarisation des flux migratoires », conclut-elle, rappelant que le président Saied a démontré à maintes reprises son manque de fiabilité.

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