Les saisies conservatoires (mesure préventive temporaire qui protège le droit de la dissipation et de la possibilité que le créancier ne puisse pas recouvrer sa dette, en vue de l’exercice du motif d’exécution) sur des entreprises de l’Etat, ne sont pas une nouveauté. Des entreprises publiques en ont déjà fait, et pas que peu, sur d’autres entreprises publiques.
– Des exemples d’une pratique courante …
Juste pour l’exemple, l’opérateur franco-turc TAV avait, en février 2021, fait saisie conservatoire sur les comptes de Tunisair, qui avait alors été levée quelques jours après. « Je souhaiterais tout d’abord remercier toutes les personnes qui nous ont soutenus, au cours des derniers jours, dans cette tempête d’accusations endurée par mes collègues et moi-même, par nos familles et amis respectifs, suite aux saisies initiées par TAV Tunisie à l’encontre de Tunisair, Tunisair Handling et Tunisie Catering, en l’absence de possibilité de dialogue avec le Groupe Tunisair, pour trouver un terrain d’entente, en ces temps ô combien difficiles pour tous, pour recouvrer ne serait-ce qu’une partie de nos créances, dues depuis des années et obtenir l’échelonnement du reste, selon les capacités de Tunisair. Était-ce trop demander ?!!! », disait alors l’ancienne DG de TAV
Se faisant généralement sur jugement de justice, cette pratique de recouvrement de dettes en deviendrait presque chose banale lorsqu’on se rappelle qu’en 2019, un particulier, impatient d’empocher ses dividendes d’une entreprise cotée en bourse, avait fait saisie sur les comptes d’un grand groupe coté en bourse.
Une compagnie pétrolière étrangère avait aussi obtenu une « saisie conservatoire » pour environ 6,5 millions de dollars US déposés sur un compte bancaire au nom de la compagnie pétrolière nationale tunisienne. En 2021 aussi, la CNSS aurait fait saisie conservatoire sur les comptes d’une filiale de Tunisair en matière de Catering. Des banques privées tunisiennes en ont aussi subi de la part de personnes privées tunisiennes. En 2019, une banque publique en aurait subi de la par d’une entreprise financière privée sur les actions qu’elle avait dans le capital de l’ancienne banque publique BFT.
– … Une pratique à mieux encadrer, pour le bien de l’Etat et sa réputation !
Façon de dire que ce n’est pas une première, et que c’est même devenu, depuis ladite révolution, chose courante dans la vie de toute entreprise. Or certains auxiliaires de justice ont fait de l’application des saisies conservatoires une spécialité et un gagne-pain, organisant même des guets devant les sièges de certaines institutions financières pour prendre en filature les véhicules à prendre en saisie conservatoire avec l’aide de la police. Une méthode qui frise l’acharnement démesuré contre des institutions qui défendent aussi leur intérêt et celui de l’actionnaire public qu’est l’Etat.
Et on ne sait par quel hasard la dernière affaire de saisie conservatoire contre la plus grosse des banques publiques a pu remonter et être projetée en tête de l’actualité, bien qu’elle date de plusieurs mois et qu’une décision d’arrêt d’exécution de la saisie a été prononcée récemment par la justice en faveur de la banque publique en question. La banque publique en question a, rappelons-le, consigné les montants objet du litige en attendant la fin du litige sur l’interprétation des intérêts.
Il y a cependant à s’interroger sur le modus operandi de cette pratique de recouvrement, devenu un show bien organisé, lorsqu’elle s’applique à une banque publique. Le but devient alors plus un modus visant à nuire à la réputation de l’entreprise publique, et partant (on est en droit aussi de le supposer), celle de l’Etat propriétaire.
C’est manifestement le but de tout le show organisé en public, de la scène de la saisie de la voiture du 1er responsable de la banque, ou encore de la vente aux enchères publiques, paraît-il, d’un véhicule sous matricule du ministère des Finances, reconnaissable à sa plaque rouge. Qui plus est, saisi avec le concours d’un autre ministère, celui de l’intérieur.
C’est ainsi qu’il nous semble urgent, dans de pareils cas de saisie conservatoire, de mieux encadrer cette pratique de recouvrement, pour qu’elle reste juste un moyen de recouvrement légal et non un moyen de toucher à la réputation financière. Surtout, lorsqu’il s’agit d’une entreprise publique, où une meilleure coopération entre ministères pourrait aider à mieux appliquer la loi, en mettant en place aussi des structures de dialogue et de négociation, avant et après le couperet de la justice.