AccueilLa UNEFakhfakh & Saïed, le jeu de la roulette russe

Fakhfakh & Saïed, le jeu de la roulette russe

Souriant et manifestement heureux de fouler l’objet de sa convoitise, l’ancien candidat au poste de président de la République, Elyes Fakhfakh, recevait hier soir sa lettre de mission des mains du chef de l’Etat, un Kais Saïed, solennel, impassible, presqu’empathique et plutôt compatissant, et qui savait certainement mieux que lui l’objectif de ce choix, et en connaissait aussi les véritables raisons.

Un choix, pour lequel il sera certainement critiqué, car la personnalité du nouveau chef de gouvernement missionné est encore loin de faire l’unanimité. Cela, d’autant plus que le nom de Fakhfakh n’aurait été proposé que par Tahya Tounes de Youssef Chahed qu’on soupçonne de vouloir contrer Fadhel Abdelkefi, et par Ettayar qui aurait juste estimé qu’il ne verrait pas d’inconvénient si Fakhfakh venait à être désigné par le chef de l’Etat.

Plus nombreuses étaient, en effet, les propositions écrites de candidats qui lui ont été faites en faveur de Hakim Ben Hammouda et de Fadhel Abdelkefi. Deux noms, dont la redondance sur les différentes listes avaient fait croire à une short-list. Il paraîtrait même, à en croire Abdellatif Mekki d’Ennahdha, que Saïed aurait subi des pressions pour changer un choix qui aurait été au début celui de Mongi Marzouk, surtout que ce dernier aurait aidé Saïed lors des présidentielles de 2019 en lui fournissant des notes et des éléments de langage pour sa campagne. Mais, c’est un chef de l’Etat qui ne se sent pas obligé d’expliquer son choix qui a pris sa propre décision, quelque part inattendue.

  • Le choix de Saïed jugé anti-démocratique

Et c’est justement sur ce sujet que le chef de l’Etat est attaqué par ceux qui considèrent anti-démocratique le choix de Fakhfakh par un Kais Saïed qu’il expliquait pourtant par le «respect de la volonté des électeurs et des électrices aux législatives et aux propositions des partis, des coalitions et blocs parlementaires ». Un tantinet maladroit dans cette explication, le communiqué de la présidence de la République essayait de mettre de la distance entre Saïed et Fakhfakh, en affirmant que «le gouvernement à former ne sera pas celui du président de la République, mais celui qui obtiendra la confiance du parlement ».

Un peu plus haut dans le même communiqué, il suggérait pourtant que «l’article 89 de la constitution donne la latitude au président de la République de choisir la personnalité qu’il estime la plus apte à former un gouvernement». Une façon de dire que ce n’est pas lui qui l’a choisi, mais que ce seront les députés qui le désignent. Les mauvaises langues prédisent déjà que Fakhfakh serait simplement un Premier ministre chez Saïed.

Fakhfakh est certes issu du monde de l’entreprise (Total à 27 ans, puis Cotrel du groupe Essassi). Mais il a aussi été deux fois ministre (Tourisme et finances) dans les gouvernements des Nahdhaouis Hammadi Jbali et Ali Larayedh, pendant l’épisode politique de la Troïka. Une période qui n’a pas brillé par ses résultats économiques, n’a laissé que de mauvais souvenirs politiques, et dont les composantes politiques ont été vite éjectées par le sit-in d’Errahil au Bardo en 2013.

Ennahdha avait alors quitté le pouvoir, le CPR de Marzouki s’était effrité, et Ettakattol de Ben Jaafar avait disparu des radars politiques une année plus tard (Un seul siège au parlement en 2014). Toujours membre d’Ettakattol, Fakhfakh n’obtiendra par la suite que 0,34 % des voix aux présidentielles de 2019, face à Kais Saïd entre autres, confirmant ainsi la quasi-disparition de la formation politique dont il est issu, et son peu de poids sur la scène politique tunisienne.

Et c’est encore sur ce volet que le choix de Fakhfakh est de nouveau critiqué, étant un revenant d’une formation politique qui n’est plus présente à l’ARP, et ayant été déjà lui-même écarté de la scène politique par le tout petit score qu’il a pu glaner aux présidentielles de 2019.

Ecarté du pouvoir, c’est Kais Saïed qui l’y a fait revenir, contrairement à la volonté des électeurs qu’évoquait le communiqué de la présidence de la République pour expliquer le choix du chef de l’Etat, ce qui confirmerait encore cette désignation anti-démocratique.

  • Béji Caïed Essebssi n’en disait pas beaucoup de bien

Evoquant la situation économique héritée par l’ancien chef de gouvernement Mehdi Jomaa qui reprenait la suite de la Troïka et évoquait une situation économique catastrophique, l’ancien chef de l’Etat feu Béji Caïed Essebssi en imputait la responsabilité à l’ancien ministre des Finances de l’époque. «Elyes Fakhfakh est responsable de cette situation. Et il serait préférable qu’il ne parle plus, car il est le responsable de cette situation» donnée en héritage alors au gouvernement Jomaa. Un sentiment qu’il lui rendait bien, surtout lorsqu’il comparait BCE à Hitler

Dans son profil dessiné par Wikipedia, on trouve aussi cette remarque que «alors que la fréquentation touristique avait baissé de 33 % en 2011, pendant la révolution, puis augmenté de 25 %, le ministre table sur un bond de 40 % de fréquentation sur une période comprise entre 2010 et 2016, afin de franchir durant cette dernière année la barre des dix millions de visiteurs annuels. Dans les faits, le nombre de nuitées baisse de 16 % durant chacune des deux années (2012 et 2013) au cours desquelles il est ministre». Manifestement donc, l’ancien ministre n’a pas beaucoup brillé lors de ces passages au tourisme et aux finances, ce qui n’est bien sûr pas son avis. «Mon passage a été un franc succès. Au moment de mon départ, le taux d’endettement n’excédait pas les 45%, aujourd’hui, on est à 75%. Cela sans parler des réformes que j’ai effectuées», disait-il en août 2019 sur Al Hiwar Ettounsi.

  • Passera ou passera pas ? Le jeu de la roulette russe de Saïed !

Théoriquement, et par simple décompte du nombre des députés de Tahya Tounes et d’Ettayar qui avaient proposé Fakhfakh, ce dernier aurait peu de chance de faire passer son gouvernement, à moins d’en faire le réceptacle de plusieurs ministres issus d’autres partis politiques, plus lourds à l’ARP. Ceux qui, comme Ennahdha, soutiendraient déjà Fakhfakh, ne le feront pas pour des prunes, mais contre des fauteuils ministériels. La même chose, s’accordent à dire divers observateurs, pour Ettayar ou Tahya Tounes.

Son gouvernement deviendrait alors politique, devrait être plus nombreux, et pourrait prétendre à une ceinture politique capable de lui garantir le passage de Dar Dhiafa à La Kasbah. Le cas échéant, ses chances ne paraissent pas plus nombreuses que Jemli pour franchir le Rubicon.

Et c’est là qu’interviendrait le 4ème paragraphe de l’article 89 de la Constitution, qui permet au chef de l’Etat de dissoudre l’ARP et organiser de nouvelles législatives, «si, dans les quatre mois suivant la première désignation, les membres de l’Assemblée des représentants du peuple n’ont pas accordé la confiance au gouvernement». Une échéance que craignent des députés fraîchement installés au palais du Bardo.

A la manière d’El Ikhchidi que Saïed aime à citer, on pourrait alors dire, à l’intention de l’ARP et de tous ceux qui prêchaient le «gouvernement du président» avant même la chute de Habib Jemli, «ردوها عليه ان استطعتم» !

La Constitution tunisienne ne donne pas d’autres alternatives, mais elle laisse un vide qui pourrait faire le nid d’autres possibilités. Comme celle, par exemple, que l’ARP vote la confiance pour le gouvernement Fakhfakh, pour lui opposer quelques mois plus tard, une motion de censure. Et bis repetita pour une guerre froide Législatif/Exécutif.

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