Les Caïd Essebsi ont osé et c’est passé, dans une indifférence générale, ou quasiment, les militants de Nidaa Tounes, enfin le peu qui en reste, étant complètement anesthésiés, groggy, assommés par une cascade de tuiles qui leur tombent sans répit sur la tête depuis que Hafedh Caïd Essebsi (HCE) s’est autoproclamé leader (on n’a toujours pas de date pour le premier Congrès électif). Ils ont osé parachuter un secrétaire général, et pas n’importe qui : Le sulfureux et énigmatique – et ces expressions sont faibles – Slim Riahi, qui fut à la tête d’un UPL (Union patriotique libre) moribond, avant l’électrochoc de la fusion avec les vestiges de Nidaa Tounes. Ils ont osé cette bizarrerie politique, dans cette Tunisie post-révolutionnaire de tous les possibles, de toutes les expérimentations, même les plus improbables. C’est aussi ça, hélas, le dur apprentissage de la démocratie. Le pays est entré dans cette dernière par la mauvaise porte, le régime parlementaire, le nec plus ultra des systèmes politiques auquel peu de nations osent s’essayer; le calvaire de la Tunisie continue avec des recettes qu’on ne voit dans aucune démocratie digne de ce nom. Et maintenant on a ça : Le parachutage du secrétaire général dans un parti, accueilli par le silence des militants et cadres de la première heure, mises à part quelques molles vociférations dans les structures régionales. Une greffe qui a été faite pour de mauvaises raisons, dit-on et qui de toute façon ne prendra pas pour moult raisons.
Le bal des éclopés
« Indignez-vous! » recommandait l’ancien résistant français Stéphane Hessel dans son célébrissime ouvrage paru en 2010, manifestement les nidaïstes et les citoyens en général ont perdu cette capacité à s’indigner, à se révolter, malmenés par mille tourments du quotidien. Mais voilà, quand tu ne t’occupes pas de la politique, elle s’occupe de toi. Quand on se détache de la chose commune, quand on s’en détourne et qu’on laisse d’autres, très mal avisés, la piloter à leur guise, ça produit ce montre politique que le directeur exécutif de Nidaa Tounes et sa garde rapprochée viennent d’inventer. On attendait le rapprochement avec Machrou Tounes, lequel présente au moins l’avantage d’avoir un ex-secrétaire de Nidaa Tounes à sa tête, un homme de la maison quoi, mais comme Mohsen Marzouk lambinait, louvoyait, hésitait sur la nature du mariage – il est compliqué aussi le Marzouk! – Slim Riahi l’a doublé. Il est arrivé avec armes et bagages et a tout offert. Lui n’a ni le temps ni les moyens de se payer des atermoiements, il lui fallait une alliance solide – pour combien de temps ? – tout de suite avec toutes les casseroles, judiciaires, qu’il traine, alors c’est allé très vite. L’union avec Nidaa a été scellée très rapidement, la formation bâtie par le chef de l’Etat ayant également besoin de faire une bonne annonce, elle qui n’a qu’un chapelet de mauvaises nouvelles à présenter ces dernières années, avec le départ de plus de la moitié de ses députés, sans parler des militants. Il fallait de toute façon trouver quelqu’un pour tenter de colmater la brèche, devenue béante avec le temps. Ça tombe bien, Riahi « était sur le marché ». Le seul hic c’est que c’est un sacré client.
Rien à gagner, tout à perdre
Il y a de ces faux politiques dont on ne se relève pas. Nidaa Tounes les a enchainés ces derniers temps, et la dernière en date risque de précipiter le naufrage du parti sorti vainqueur de la joute électorale de 2014. Le désespoir mène à tout, décidément, même à penser que s’acoquiner avec Riahi peut permettre de sauver les meubles, une cécité politique que les Essebsi paieront chèrement. Que pourrait-faire de plus l’ex-président du Club Africain, à part précipiter Nidaa dans sa tombe ? Que va-t-il dire de pertinent lors des réunions face à des militants qui ont roulé leurs bosses, qui ont trimé pour leur parti et en ont certainement à apprendre à leur nouveau chef de file ? A part l’opprobre, le déshonneur et la compromission, qu’est-ce que Nidaa va gagner dans cet attelage hétéroclite et contre-nature ? Rien, en réponse aux trois questions. Ce n’est pas la poignée d’élus de Riahi, une quinzaine, qui va faire retrouver aux Essebsi leur lustre d’antan, encore moins changer les rapports de force au Parlement. Ça c’est acté. S’unir à un parti, l’UPL, qui a manifestement atteint son plafond de verre avec son score de 2014 et ne pouvait faire que de la figuration aux prochaines élections est la sortie de route de trop pour Essebsi père et fils. Alors que la solution est là : Youssef Chahed et sa cote auprès des citoyens, et un paquet de députés acquis à sa cause…
A part faire de la politique à la hache, en exhibant grossièrement ses millions – il le fait de moins en moins, juges aux trousses oblige – et épater la galerie avec sa cohorte de voitures de location rutilantes lors des campagnes électorales, Slim Riahi n’a rien fait d’autre depuis qu’il est revenu de la Libye où d’ailleurs personne ne sait ce qu’il faisait exactement. HCE et l’homme d’affaires, sous l’assentiment du papa depuis le palais de Carthage, se sont agrippés, comme on le fait pour une bouée de sauvetage, avec la déraison et les excès qui vont avec l’instinct de survie, l’essentiel étant de sauver sa peau, croit-on. Erreur fatale. Mais comme personne, je parle des cadres de Nidaa Tounes avant tout, ne signale la dangerosité de l’aventure et puisque la sénescence politique a frappé la présidence de la République, manifestement aggravée par l’arrivée de Habib Essid, alors on continue la série de boulettes… jusqu’au crash aux prochaines élections.