Dans la dernière édition de la lettre hebdomadaire de la conjoncture économique tunisienne, « EcoWeek », publié par le think tank indépendant « TEMA » (Tendances de l’Environnement Macroéconomique des Affaires), le professeur Hachemi Alaya titrait sa chronique « En route vers l’inconnu ». Une analyse lucide de l’auteur qui pose un constat sans concession de la conjoncture du pays – sous le gouvernement Mechichi et avec les tergiversations , pas innocentes , de son « super » ministre Kooli. C’est de la loi, dite de relance économique qu’il s’agit. Et de prime abord, Pr Alaya la considère comme « un plan de relance qui n’en est pas un » !
Après avoir dressé le bilan d’une conjoncture économique cauchemardesque, pour Pr Alaya, le Plan dit de relance dans sa version disponible et non encore entérinée « apparaît inspiré plus par l’urgence prescrite par la précarité des finances tunisiennes et par des considérations politiciennes que par une logique de relance économique rigoureuse concernée par les dangers immédiats qui menacent le pays : la vaccination à grande échelle pour lutter contre la pandémie et la nécessité de parvenir à un accord avec le FMI », écrit Pr Alaya.
Avec acuité, il ajoute qu’en « flattant les entreprises impactées par la crise sanitaire d’une sélection de secteurs dont particulièrement celui de promotion immobilière, et en faisant des avances aux détenteurs d’actifs de toutes sortes, non déclarés – particulièrement les avoirs en devises -, le gouvernement risque fort de ne parvenir ni à aider les entreprises ni à drainer les devises qu’il convoite ».
Ni d’ailleurs à s’aider lui-même et donc le pays : dans la foulée du vote de cette loi, Mechichi a convié les ambassadeurs des pays du G7 et celui de l’Union européenne en poste en Tunisie pour leur exposer (sic !) la loi de relance économique. Le Gouvernement était-il tellement convaincu du non-sens de cette loi qu’il doutait que les experts, analystes et économistes des pays du G7 n’arrivent pas à déchiffrer les contours d’une loi de 26 articles ! Mechichi a juste essayé d’anticiper une réaction des bailleurs de fonds et ce, tant l’incompréhension devrait être grande à Washington.
Par un oukase, le Gouvernement bafoue l’indépendance de la BCT… et pas seulement !
Une situation que Pr Alaya qualifie de « système qui se mord la queue ». L’explication est on ne peut plus claire : « Le gouvernement semble croire qu’il est possible d’injecter trois milliards de dinars sous forme de refinancement de crédits bancaires garantis par l’État qui seraient accordés par les banques et re-finançables intégralement par la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Par cet oukase, non seulement il bafoue l’indépendance de la BCT (et se met à dos les bailleurs de fonds internationaux), mais il risque fort d’être très déçu car, aucune banque digne de ce nom ne peut s’engager sur un horizon de 40 ans avec un taux d’intérêt fixe qui couvre près de la moitié de ce que lui coûtent ses ressources.
En admettant que cela soit possible, comment justifier l’engagement à réformer le système des subventions publiques et le renoncement il y a à peine trois mois à la subvention des installations photovoltaïques avec la nouvelle subvention qu’il crée pour compenser les banques ? ».
Sceptique, le Pr Alaya ? Plutôt réaliste car il explique que « à force de siphonner les banques pour faire face à ses dépenses, le gouvernement est de facto le premier responsable des difficultés que rencontrent les entreprises pour accéder à la finance. Les siphonner encore davantage pour les amener à financer des entreprises en difficultés est une stratégie qui rappelle furieusement celle du chat qui se mord la queue ».
La sagesse, l’expérience et les connaissances du Professeur lui ont certainement enseigné les règles de base dans la gestion des affaires économiques. La première étant que « la confiance ne se décrète pas ». Nous pouvons même ajouter qu’elle ne s’achète pas à coups de cavaliers budgétaires !
– La libéralisation extérieure de l’économie tunisienne sacrifiée sur l’autel de l’absolution des corrompus
Pour le Pr Alaya, la « libéralisation extérieure de l’économie tunisienne » tant attendue et vœu pieux des différents opérateurs économiques nationaux a été sacrifiée. En lieu « on a eu l’absolution pour tous ceux qui, pendant des lustres, ont évolué dans l’opacité, engrangé des richesses dans l’illégalité, et profité des passe-droits et de la corruption ».
Il alerte alors contre une autre déception, puisque le gouvernement risque « au mieux de récolter quelques miettes des énormes avoirs que les Tunisiens ont accumulés à l’étranger car il lui manque le véritable facteur incitatif au retour des capitaux : la confiance ».
Là aussi, l’explication est toute simple car « en instituant une taxe libératoire à 10%, il (NDLR : le gouvernement) encourage de facto l’évitement fiscal et l’immersion dans l’informalité plutôt que le contraire ». Il s’interroge alors sur l’intérêt de déclarer des revenus d’activités souterraines et payer l’impôt et se demande « s’il est possible par la suite de les intégrer dans le système moyennant le paiement d’un forfait nettement plus avantageux que la fiscalité en vigueur ? ».
En guise de conclusion, Pr Alaya rappelle aux gouvernants de la Tunisie le « sens réel de la dégradation de son rating par l’agence Fitch » qui avertit contre un passage par Paris, le « Club » bien évidemment et non le « Bristol » !
Un message tant à l’Enarque que surtout à l’ancien banquier qui a troqué son salaire gracieux de DG (719 mille DT en 2018, en baisse par rapport aux 769 mDT de 2017 !) pour se lancer dans la politique. Par son populisme béat, Ali Kooli aspire certainement à une carrière politique. Ça a tous les contours d’un positionnement de l’après gouvernement Mechichi que nous savons tous au purgatoire. Ali Kooli pourrait briguer le poste de chef du gouvernement ou même celui de président de la République. C’est son droit le plus légitime. Mais si jouer au Néron pour y arriver, c’est notre droit, aussi légitime, de le dénoncer. Le prochain Chef, de l’Etat ou de la primature soit-il, ne va pas distribuer la misère ou les illusions au peuple. Espérons que nos décideurs liront bien la chronique du Pr Hachemi Alaya. Surtout qu’ils en comprendront les contours, car pour paraphraser l’adage « quand le sage montre la lune, le politicard regarde le doigt ». À bon entendeur. Salut !