La hausse de la fiscalité « ne constitue pas la meilleure solution pour renforcer les recettes de l’Etat, mais alourdit les charges de l’entreprise« , a déclaré la présidente de l’UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), Wided Bouchamaoui, hier jeudi 21 décembre 2017 à Bizerte. La veille, le mercredi 20 décembre 2017, elle a dit ceci à Béja : « nous ne devons pas payer le prix de la propagation du commerce parallèle, ni d’autres phénomènes en l’occurrence la contrebande« , avant de prédire l’échec du gouvernement dans la mobilisation des ressources qu’il a prévues dans la loi de finances 2018, et par conséquent des prévisions complètement faussées. Le 19 décembre 2017 à Nabeul, Bouchamaoui avait dit, à peu près, la même chose. Même tonalité le 13 décembre 2017 à Gabès, et avant cela, le 22 novembre 2017, à Tozeur. Pour ceux qui en doutaient encore, la patronne des patrons a décidé d’endosser le costume de passionaria anti-Loi de finances, que d’ailleurs lui a volontiers cédé l’UGTT. Mais, paradoxe suprême, pendant que l’UTICA pourfend la loi de finances, le FMI (Fonds monétaire international) lui la défend, et l’encense presque. Alors soit ce texte fait les affaires de l’économie du pays et flingue les intérêts de certaines catégories, soit il ne fait ni l’un ni l’autre, soit il fait les deux !
Le moins qu’on puisse dire est que Bouchamaoui est fidèle à sa ligne. Dès que le projet de la loi de finances 2018 a été dévoilé, elle a tiré dessus, à boulets rouges. Elle avait même menacé de se saborder – dissoudre carrément l’UTICA -, de se retirer du Pacte de Carthage, de geler tous les investissements, sans parler de la grève générale qu’elle avait agitée sous le nez de Chahed, qui lui avait d’ailleurs vertement répondu en déclarant qu’il ne cédait pas au chantage. De tout cela il n’est rien resté, sauf la protestation. Nous n’avons d’ailleurs jamais cru, pas une seule seconde, que la centrale patronale allait en arriver à ces extrémités, pour la simple raison que le remède serait pire que le mal. In fine, il est toujours préférable de payer quelques millions de dinars de plus, au nom du renflouement des finances publiques, que d’en perdre des dizaines en faisant grève ou en se retirant de l’Accord de Carthage, où on a une vue imprenable sur la direction des affaires du pays. Affaires au sens business du terme, aussi. De ce point le repli de l’UGTT était beaucoup plus stratégique, elle qui a très vite compris que le vote du texte de Chahed était plié et qu’il fallait recentrer l’action sur ce qui était encore sauvable (pouvoir d’achat, hausse des salaires, les prix, bloquer la privatisation des entreprises publiques, etc.)
Le combat d’arrière-garde de Bouchamaoui, à notre avis, a un autre objectif, maintenant que les carottes sont cuites. Il s’agit de faire le maximum de bruit pour effrayer Chahed et faire en sorte qu’il ne regarde pas dans la direction des patrons quand il va, prochainement, demander d’autres sacrifices, dans le cadre de la loi de finances complémentaire. Puisque manifestement on ne pourra pas y couper, et même beaucoup plus tôt que prévu, l’UTICA fait de son mieux pour éviter que le glaive fiscal s’abatte deux fois sur les entrepreneurs dans la même année.
Le FMI fait dans la diplomatie !
Le communiqué de presse de la délégation du FMI, dirigée par Björn Rother et qui a séjourné à Tunis du 30 novembre au 13 décembre 2017, était assez surréaliste. Pour la première fois depuis le 14 janvier 2011, l’institution de Bretton Woods a volontiers rangé le langage très chirurgical et incisif des experts pour emprunter une formulation que ne renierait pas les politiciens les plus avisés ou les diplomates les plus chevronnés. Le FMI a écrit que finalement la loi de finances 2018, avec les engagements pris par le gouvernement, notamment le lancement des réformes sans cesse différées, était « ambitieuse », qu’elle était une bonne base de travail et que le pire pouvait être évité. Sur ce, il a été décidé de débloquer la 3ème tranche du prêt de 2,9 Milliards de dollars. Pour la 4ème tranche, on repassera. Sauf que là en l’occurrence, rien, très objectivement, ne permet au FMI de décréter que demain sera mieux qu’aujourd’hui, rien à part le principe du politiquement correct pour ne pas plomber le moral du malade et surtout pour ne pas émettre des signaux qui feront que derrière les autres bailleurs, qui suivent tout ça de très près, vont arrêter de perfuser.
Tous les indicateurs le montrent : La Tunisie va au devant de sérieux ennuis budgétaires, notamment avec un baril du pétrole qui a, déjà, dépassé les 60 dollars alors que la Loi de finances 2018 l’a prédit à 54 dollars. Mais ça, le FMI ne peut le dire, ne peut plus dire. La Tunisie est à un stade très délicat où tout exercice de vérité peut fracasser le socle de confiance sans lequel aucun investissement n’est envisageable. Alors le FMI y va avec doigté. Sans être une banque lambda, l’institution financière n’en a pas moins les tics et surtout la finalité : Faire en sorte que le « client » reste dans le circuit, qu’il reste solvable pour rendre ce qu’il doit. Mais les Etats-membres du FMI ne réclament pas que des remboursements et les intérêts qui vont avec, ils cherchent aussi à éviter aux « clients » une faillite qui ferait que toute l’économie mondialisée, avec sa sacro-sainte logique d’économie de marché et de consommation, serait affectée. C’est l’un fondements même des institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale). Alors oui, l’UTICA et le FMI ont des lectures divergentes sur la LF 2018, mais ils ont chacun de bonnes raisons…