Les Tunisiens ne se sont pas mis sur leur trente-et-un (décembre) pour joindre deux années, 2016 qu’ils avaient hâte et à cœur d’oublier et 2017 dont ils craignent qu’elle soit au mieux l’exacte réplique de la précédente. Des appréhensions qui tirent leur essence d’une situation économique si mauvaise qu’elle est tenue en l’état par une autre, politique, qui empoisonne la vie à un peuple qui peine à voir le bout du tunnel, bientôt six ans après une révolution dont il a célébré la survenance pour retomber presqu’aussitôt dans la désillusion.
2016 a été, économiquement parlant, une année affligeante sous tous les rapports, qui a vu quasiment l’ensemble des paramètres cligner au rouge, pour ne pas dire pire. Une croissance au plus bas, un chômage au plus haut, des déficits qui se creusent à vue d’œil, un endettement exponentiel, un investissement léthargique, avec, en filigrane, l’improvisation érigée en système de gouvernement. La tentation serait forte d’attribuer la responsabilité de ce sombre tableau à l’Etat, qui cherche encore l’introuvable vision qui lui permette de tracer une voie claire pour reprendre les choses en main pour affirmer son autorité partout où elle est bafouée, mais autant à ses partenaires sociaux pris des démons que l’on sait, et plus encore aux Tunisiens eux-mêmes qui n’ont pas pris la vraie mesure des défis qui les assaillent.
Avec un dérisoire taux de croissance de 1,5% au lieu des 2,5% prévus, il tiendrait mathématiquement du miracle de faire grand-chose et de ne pas échapper à la rituelle loi des finances complémentaire pour combler un trou de 3,3 milliards de dinars et bien davantage en 2017. Un exercice dont les gouvernements de l’après-Révolution sont invariablement coutumiers pour s’être heurtés en chemin à des « imprévus » dont le financement est d’autant plus inapproprié qu’il se répercutera sur l’exercice suivant, précipitant les caisses de l’Etat dans une spirale sans fin. C’est assurément dévastateur pour le chômage dont le taux de 15,5% demeure une plaie qu’il sera difficile de résorber alors que les universités déversent chaque année sur le marché du travail des centaines de milliers de diplômés qui ne trouvent pas acquéreur. Un écueil social de moins en moins gérable en raison de ses répercussions de divers ordres, notamment sécuritaire et sociétal.
S’y greffe un déficit budgétaire de 5,7% du PIB alors que la norme convenue est de 3% , nourri par un taux d’endettement public de 63,9% du PIB en 2016, soit 10 points de plus qu’en 2015, sans parler de l’endettement extérieur qui devrait grimper à 66,2% du PIB, un taux sans aucune mesure avec celui attendu en 2017, pas moins de 70%, avec les remboursements du service de la dette, ce qui pourrait placer la Tunisie dans la posture du pays tenu de demander le rééchelonnement de sa dette, une première dans son histoire.
L’inflation est de retour
Des tourments aussi avec le retour de l’inflation qui, après une parenthèse massivement saluée sous le gouvernement Essid, est en train de faire une inquiétante réapparition, atteignant 4% en novembre 2016, un symptôme patent de la dégradation du pouvoir d’achat, qui devrait abonder dans ce sens cette année avec le retour presqu’acquis des tensions inflationnistes et ipso facto de la flambée des prix.
2016, c’était aussi la dégringolade de la production pétrolière et du phosphate. Le bassin minier a toujours aussi mauvaise mine avec une crise qui dure depuis cinq années consécutives, occasionnant aux caisses de l’Etat des pertes de 5 milliards de dinars pour cause d’une chute de la production de 60%. Et ce qui s’y passe ne semble présager de rien de bon, avec des arrêts de travail récurrents, des grèves qui s’enchaînent, le plus souvent pour des causes obscures, notamment à l’occasion de la proclamation des résultats de concours de recrutement ou tout simplement de retard dans le paiement de primes. Une hémorragie qui n’est pas près d’être stoppée malgré les « gestes de bonne volonté » du gouvernement. S’agissant du pétrole et du gaz, la production n’est pas logée à meilleure enseigne avec une production qui s’amenuise pour une raison ou pour une autre, comme ce fut le cas de Petrofac qui n’arrive pas à se relever des graves convulsions qui n’ont de cesse de la secouer au point que la compagnie envisage sérieusement de quitter définitivement le pays dont la production gazière se trouvera, ce faisant, amputée de 12%.
La funeste question du Dinar
Plus grave encore est la situation dans le secteur du tourisme qui croule sous les effets des attentats terroristes de 2015, et dont les recettes sont en constante chute due aux interdictions de voyage décrétées par nombre de pays émetteurs, notamment la Grande-Bretagne. L’attaque de Berlin, dont l’auteur présumé est un ressortissant tunisien, n’est pas pour arranger les choses, même si un léger redressement est constaté suite aux flux, il est vrai épisodiques, des Russes et des Algériens.
Enfin, il y a la funeste question du Dinar et de sa descente aux enfers. Au 29 décembre, il s’est déprécié de -14,1% par rapport au dollar contre une régression de – 7,6% en 2015, de – 11,5% en 2014 et de -6,1% en 2013, selon les derniers chiffres de la Banque centrale de Tunisie. Et il y a fort à parier que la tendance ne sera pas près de s’arrêter là au regard de l’ordonnance générale de l’économie tunisienne toujours suspendue aux appréciations des agences notation qui enchaînent les dégradations souveraines.
2017 sera-t-elle moins mauvaise ? Le président de la République et le gouvernement sont affirmatifs : l’économie ira mieux et l’année qui s’ouvre sera celle du décollage économique, soutiennent-ils sans autre forme de procès. Ils invoquent en chœur et sans ambages les résultats de la conférence internationale pour l’investissement Tunisie 2020, les engagements financiers qui y ont été pris et les promesses faites. Attendons voir !