Le chef du gouvernement tunisien parlait mardi dernier d’attirer les compétences tunisiennes pour les amener à travailler, dans et pour leur pays. Il est vrai que la Tunisie est le second pays arabe où la fuite des compétences est la plus importante.

Youssef Chahed part pourtant fortement handicapé. Déjà il n’a pas su garder celles qu’il avait sous ses ordres. Ce fut le cas de Saïd El Aïdi, c’était justement une compétence recrutée en dehors des frontières. Il y a eu également Neji Jalloul, c’était aussi une compétence universitaire. Chahed ne s’illustre pas, non plus, comme le chef qui prend la défense de ceux en qui il a placé sa confiance et qui travaillent pour lui. Défendre ainsi l’idée d’attirer les compétences nous semble prêcher dans le désert… de compétences qu’il crée lui-même !

Ce serait insulter son intelligence que de croire qu’il ne le sait pas, mais il est plus que certain que celui qu’on cherche par cette nouvelle fuite, certainement organisée sans qu’on sache par qui, contre un autre de ses ministres, est le chef du gouvernement, Youssef Chahed, en personne.

L’homme d’Etat dérange, aussi bien ses amis que ses ennemis. Sa guerre contre la corruption dérange. Le retour à la sécurité et la reprise du tourisme dérangent. La reprise de la croissance, pour le second trimestre consécutif, dérange. La Tunisie est en effet désormais un pays où beaucoup veulent que rien ne change. Et pour cela, il faut que la tête de l’Exécutif change. Cela a été assez criant, depuis plusieurs semaines, pour que Youssef Chahed l’entende.

Avant Fadhel Abdelkefi, il y avait eu les «affaires» concernant Mehdi Ben Gharbia et Iyed Dahmani. Bien avant, il y avait eu l’affaire Riadh Mouakhar. Sur les deux premières affaires, le porte-parole du gouvernement s’était officiellement prononcé. Sur la 3ème, personne n’avait demandé le départ de Mouakhar, qui est pourtant dans le même cas de figure qu’Abdelkefi. Ce dernier a eu l’audace et l’intelligence de présenter sa démission. Il l’a fait en direct sur une radio privée de la place, et qui plus est en se démettant de deux ministères dans le même élan. La démission a été acceptée, mais Abdelkefi restera en place jusqu’au prochain remaniement qui devient ainsi imminent, sinon nécessaire et en tout cas une vérité de Lapalisse. Toutes proportions gardées, il est aussi le 3ème ministre de Youssef Chahed à le faire dans un média, après Abid Briki et Neji Jalloul. Trois démissions en un peu plus d’un an, sans compter celle de l’ancien ministre des Affaires religieuses. Quelque chose ne tourne pas rond dans le GUN (Gouvernement d’Union Nationale). Quelque chose ne va pas aussi chez Youssef Chahed !

Abdelkefi garde par cette démission, à notre sens, notamment sa dignité, alors qu’on se préparerait manifestement à le traîner dans la boue politique. Il retrouve aussi sa liberté de citoyen tunisien, fort convaincu de l’impartialité de la justice comme il l’a dit à la radio, pour pouvoir se défendre dans une affaire déterrée à dessin, «fuitée» 3 années après sa clôture, par ses propres services et médiatisée par d’autres plus puissants. Il retournera aussi vaquer à ses propres affaires, à créer des entreprises et à créer de la valeur ajoutée à l’économie de son pays, comme il sait très bien le faire. Les mauvaises langues diront aussi qu’il retrouvera son salaire (dont on ne dira pas le montant) dont il a abandonné le confort, croyant qu’il le faisait pour servir l’Etat dont il a su être l’homme sans trop en faire.

Reste à se demander comment en est-il arrivé à cette démission. Il n’est en effet un secret pour personne au ministère des Finances que le ministre par intérim a pris la suite d’un ministre qui avait ses protecteurs et ces derniers leurs entrées et sorties dans le même ministère. L’intérim durait un peu trop à leur goût et la liste des prétendants commençait à se faire un peu trop longue pour eux. Cela, d’autant plus que le ministre par intérim s’était fait aider au ministère des Finances par un conseiller qui en sait assez sur les finances pour ne pas qu’on ne lui souhaite pas la bienvenue. Les finances c’est des chiffres et les chiffres c’est des additions et des soustractions qui font des affaires, celles des uns et par conséquent pas celles d’autres. Comprendra qui pourra ou voudra !

Il n’est, non plus, un secret pour personne que le désormais ancien ministre préparait une importante purge au sein de la Douane. Un de ses gradés jurait ses grands dieux il y a quelques jours dans un des bureaux de La Place de La Kasbah qu’il descendra le ministre par intérim quoi qu’il lui en coûtera.

Sur Mosaïque, Abdelkefi a mis le doigt là où il fallait, nous semble-t-il. L’ancien ministre a ainsi assuré que «le document concernant la plainte a été publié sur Facebook. Je n’accuse pas la direction générale de la douane de fuiter ce document». Une déclaration du genre «je dis cela, je ne dis rien» et qui veut certainement dire plus de choses qu’elle n’en dit. Et d’ajouter que «l’information a par la suite été reprise par des journalistes. Mais je déplore encore une fois la déformation des faits». Il ne voulait certainement pas parler, par exemple, de ceux qui l’arrosaient il y a quelques jours de louanges et qui le descendaient déjà en flamme, avant même qu’il n’annonce sa démission !

A qui profite enfin le crime de déstabiliser le GUN, qui mettra certainement de longues semaines à se mettre d’accord sur une nouvelle répartition des fauteuils du gouvernement et trouver un ministre des Finances «prêt à l’emploi» ? Qui a intérêt à salir de la sorte le vis-à-vis de l’Etat face à la Banque Mondiale et au FMI à la veille d’une nouvelle Revue en septembre prochain ? Certainement pas à la Tunisie !

Ce n’est pas défendre le diable que de dire, comme le faisait noter l’agence Reuters, que «Abdelkefi est un membre clé du gouvernement du Premier ministre Youssef Chahed, qui est sous pression pour mener à bien les réformes économiques contentieuses demandées par les prêteurs internationaux et réduire son déficit budgétaire» et que «les gouvernements successifs n’ont pas réussi à faire face à des réformes douloureuses nécessaires pour réviser les dépenses publiques».

 

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