Le port de Radès occupe une place importante dans la chaîne de transport national de par sa spécialisation dans le trafic de conteneurs et unités roulantes (essentiellement le trafic des remorques). Ainsi le port de Radès assure 21% du trafic global, 79% du tonnage des marchandises conteneurisées, 76% du tonnage des marchandises chargées dans des unités roulantes, 76% du trafic de conteneurs en EVP, 80% du trafic des unités roulantes et 18% du trafic de navires enregistré dans l’ensemble des ports de commerce tunisiens. Et ce port, fait encore parler de lui.

Les photos-satellite, affichées en temps réel par un site international spécialisé dans le Tracking des bateaux, il est vrai sans distinction, en mer dans tous les aéroports du monde, montraient 16 bateaux en rade, dans l’attente de débarquer leurs marchandises sur le quai du port tunisien de Radès, le mercredi 4 avril 2018 à 18 heures. La photo a été prise, 3 jours après la grève, inattendue et étrange par ses mobiles, du personnel de la Stam (Société tunisienne d’acconage et de manutention) qui a le monopole sur ce port, et dont le syndicat demande une augmentation de 20 % des prix de l’entreprise.

Ces données sont cependant démenties par Farhat Zouaghi, PDG de la Stam. Selon lui, le «nombre de bateaux en rade à Radès 12, avec un séjour moyen de 20 jours ;le vendredi 6 avril, on n’était même qu’à 17 jours de séjour en rade. Ceux qui parlent d’un délai de 30 jours en rade, parlent certainement d’un délai maximal et la moyenne reste de 20 jours», disait-il à Africanmanager.

Un port aussi, avec une moyenne de 15 jours pour les opérations à quai. Des délais qui font exploser le coût pour les professionnels du transport maritime et leur occasionne des surcoûts, estimés par certains professionnels tunisiens contactés par Africanmanager, à plus de 1,5 milliards DT et font perdre environ 700 MDT par an à l’Etat tunisien. Zouaghi affirme ne pas disposer de tels chiffres. Pour les opérations sur quais ou l’enlèvement, le PDG de la Stam indique que «depuis la suspension de la grève, on a fait un rendement très médiocre en enlèvement. Le 3 et le 4 avril 2018, on a fait en enlèvement 12 conteneurs par heure. J’ai dit, depuis la fin 2017, que 2018 sera une année difficile, car nous sommes engagés dans d’importants travaux, sans compter les travaux de réfection des quais de l’office des ports. Novembre 2018, tout devrait rentrer dans l’ordre».

Prise le même jour du 4 avril, la seconde photographie du même port donnait une idée sur le désordre et la gabegie qui régnait dans la partie de stationnement des milliers de conteneurs, toujours stockés dans un indescriptible désordre et parfois empilés pendant des années. Selon le 1er responsable du port de Radès, le «nombre des conteneurs à port, dépasse les 10 mille. Importateurs et même parfois les exportateurs, utilisent le port de Radès comme magasin de stockage, sous bonne garde et avec l’assurance de dommage s’il y en a. Cela leur coûte moins cher que de construire leurs propres hangars de stockage, puisqu’ils ne paient que 1,5 DT de frais de gardiennage par jour », explique-t-il. Et d’ajouter que «chez la douane, il y aurait 1.000 conteneurs dont le délai de stockage aurait dépassé les 365 jours et ont en tout cas dépassé les délais réglementaires ».

  • La colère des patrons

La Fédération tunisienne du textile et de l’habillement estime que cette grève est une prise en otage implicite des opérateurs économiques directement concernés par l’activité d’import-export et que ses aboutissants risquent de pénaliser gravement et durablement l’activité des entreprises et de handicaper l’effort de redressement des finances publiques du pays ». Selon le président de la Connect, Tarak Cherif, «en 2016, et pour ne prendre que cet exemple, la Tunisie a perdu 900 millions de dinars à cause de la longue attente des navires qui accostent dans nos ports. Nous reculons dans l’indifférence générale». Kais Khanfir, pour sa part, estime que «le retards occasionnés par la Stam provoquent un décalage de nos ventes/export d’un mois voire plus, parfois l’annulation des commandes. Qui dit décalage de ventes d’un mois, dit décalage des encaissements aussi de un mois, donc une grande difficulté d’honorer nos engagements avec nos fournisseurs. Nous risquons de perdre des contrats de partenariats. C’est pour cette raison qu’il faut considérer ces conséquences en chaîne comme une destruction méthodique l’économie tunisienne, d’où la nécessité de décréter l’état d’urgence économique».

  • La réponse du PDG de la Stam

A tous ces griefs, Farhat Zouaghi, par ailleurs originaire de Kerkennah et un navigant de métier et issu de l’académie navale, répond que «nous reconnaissons nos défaillances. Sans pour autant donner raison aux grévistes, l’objet de la dernière grève est, par ailleurs, l’un des points majeurs de notre programme de restructuration de la Stam. En tant que direction de l’entreprise, notre programme d’investissement jusqu’à 2020 repose sur une augmentation de 20 % des prix de nos services. Comment y arriver et à quelle date, cela fait encore l’objet de négociations. Les autorités de tutelle ont proposé 10 % et le syndicat a refusé et, selon le syndicat, un retour à la grève n’est pas exclu», chose qu’il n’espère pas. Cela ne l’empêchera par d’affirmer que «certains croyaient, peut-être, que la Stam allait s’écrouler. Mais lorsqu’ils ont vu qu’elle réagissait, se remettait à investir et faisait programme de 2 nouveaux quais, le 8 et le 9, ils se sont engagés dans une campagne contre la société». Et d’accuser même quelques hommes d’affaires, dont il ne citera pas les noms, de vouloir mettre la main sur la Stam, avant de terminer que «ceux qui croient que je suis venu pour vendre la Stam, se trompent d’adresse».

Pour son PDG qui affirme haut et fort que l’Etat ne donne aucune subvention à l’entreprise, «la Stam fait un chiffre d’affaires de 130 à 140 MDT, un déficit de 3 à 4 MDT ce n’est rien du tout, car c’est récupérable, malgré l’impact de la dévaluation du DT qu’on pourrait évaluer à 13 MDT pour la Stam. Le port n’a pas changé et rien n’y a été investi depuis 1986. A mon arrivée, j’ai trouvé des dossiers en sommeil. J’ai travaillé et je réalise, et vous n’avez que venir voir le résultat».

  • Les promesses de Farhat Zouaghi

Et Farhat Zouaghi d’affirmer, tout aussi sûr de lui-même que «en 2019, nous serons dans une situation plus que normale, et le port changera radicalement d’image». Pour cela, il évoque longuement le programme d’amélioration des conditions de travail dans le port de Radès. «Ce qui est en cours, depuis 2016, c’est un investissement global de 85 MDT, essentiellement pour moderniser la gestion du port. On va ainsi vers l’informatisation et l’introduction de nouvelles technologies, notamment par une localisation des conteneurs par TOS (Terminal Operating System) en utilisant le GPS, l’introduction du RTG qui permettra d’augmenter la capacité de stockage du port. Introduction aussi de l’Automate-Gate pour contrôler l’entrée et la sortie des conteneurs, sans compter l’application de paiement à distance. Tout cela devait désormais permettre, par exemple, à l’opérateur de connaître avec exactitude, le lieu de stockage de son conteneur, d’éviter qu’un opérateur prenne le tour d’un autre dans l’enlèvement qui sera contrôlé par ordre informatisé. Contractuellement, tout cela devrait devenir possible en août 2018, l’aménagement du terrain et la mise en place des travées pour le RTG devant se terminer en juillet prochain, Wifi généralisé, serveurs mis en place, personnel formé et salle de commande prête à l’emploi». Et à ceux qui se plaignent de la corruption, Farhat Zouaghi leur demande de refuser et de prendre directement contact avec lui et donne même sa propre explication. «Ce qui se passe, tel qu’on me le rapporte, c’est que ce sont certains opérateurs qui le font pour avoir le tour d’autres opérateurs et accélérer ainsi l’enlèvement de leurs marchandises. De tout cela, nous n’avons aucune preuve». Et lorsqu’on lui demande s’il n’y a pas de caméras de contrôle, il affirme qu’elles sont chez la Douane et qu’il n’y a pas accès et annonce qu’il va procéder à l’installation de ses propres caméras de surveillance.

Khaled Boumiza

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