Ce n’est plus un bras de fer. C’est désormais la guerre entre le GUN (Gouvernement d’Union Nationale) et l’UGTT. Le but de cette guerre est le plus d’argent que demande le syndicat, d’abord pour les enseignants et ensuite pour toute la fonction publique, ce qui lui permettra de mieux négocier avec l’Utica et le secteur privé. Les moyens de cette guerre sont les grèves et autres mouvements sociaux. L’alibi de cette guerre est la question de la réforme des entreprises publiques. Le théâtre de cette guerre, c’est tout le territoire, dont Noureddine Taboubi bat le pavé pour demander à cor et à cri la tête de Youssef Chahed ou l’argent des augmentations dont il a besoin avant le 1er mai, date de célébration de la fête du travail que l’UGTT ne veut pas aborder sans quelque chose à annoncer à ses ouailles.

  • Lassaad, le Fou de la partie d’échecs Chahed/Taboubi

L’avant-dernier acte de cette guerre a été le fait de Youssef Chahed. On s’attendait à ce qu’il désavoue son ministre de l’Education. Le 20 avril 2018, le chef du gouvernement prend plutôt publiquement la parole pour prendre son parti et même aller un peu plus loin. Il commence par enfoncer le clou. «L’année blanche n’est plus une simple hypothèse si la situation ne change pas (…). Rien, malgré tous les différends, ne peut cependant justifier une année blanche», dit-il en évoquant la rétention des notes par les professeurs de l’enseignement secondaire et la grève ouverte. Les photos de plats de couscous à l’agneau, les fruits exotiques, les chants avec micro et sono qui ont agrémenté cette grève, mises en ligne par les grévistes sur les réseaux sociaux, ont attisé la colère des parents et les ont ralliés à la cause du gouvernement.

Youssef Chahed balaie ensuite d’un revers de main les allégations des grévistes accusant le gouvernement de refuser la négociation, en prenant à témoin le chef de l’Etat, comme pour couper l’herbe sous les pieds d’une UGTT qui pourrait s’adresser à BCE pour une médiation. «La solution est que chacun assume ses responsabilités. Les enseignants doivent reprendre les cours lundi et remettre les notes. A notre tour, au gouvernement, nous demeurons engagés par la négociation dès le lundi aussi (…). La semaine prochaine, nous entamerons les négociations. Notre réaction aux demandes matérielles, des enseignants, comme celles d’autres secteurs, quelle qu’en soit leur légitimité, reste liée à la conjoncture financières du pays», dit ainsi Chahed, plus calme que les syndicats.

Il répétait en fait ce qui avait été déjà dit dans la dernière rencontre des signataires du Document de Carthage, que Taboubi avait quittée par protestation. Mais il recadrait surtout, non seulement les demandes des enseignants, mais de toute la fonction publique.

Réplique immédiate de Lassaad Yaacoubi, qui monte de nouveau sur ses grands chevaux. «Nous aurons toutes nos demandes matérielles et nous ne signerons aucun accord (…)» en s’attaquant avec violence et de vils mots à la presse qu’il accuse de diaboliser les enseignants et d’avoir pris le parti du gouvernement. Ce faisant, le SG de la fédération ouvrière des enseignants du secondaire se laisse encore prendre dans le rôle du Fou dans la partie d’échecs entre son patron Noureddine Taboubi et Youssef Chahed. Un rôle de perturbateur dont il est certainement conscient, car en agissant ainsi, il poursuit un autre objectif, le sien propre.

  • Yaacoubi règle ses comptes avec l’UGTT qui l’avait rejeté

En janvier 2017, auréolé de son succès dans la bataille contre l’ancien ministre de l’Education, Néji Jalloul dont il avait obtenu la tête, Yaacoubi avait présenté sa candidature au nouveau bureau exécutif que devait enfanter le congrès de l’UGTT. Tentant de lui faire comprendre qu’il était persona non grata au BE de Noureddine Taboubi, les congressistes fuitent une information lui prêtant la volonté de retirer sa candidature. Le 23 Janvier 2017, il dément au micro d’une radio privée et s’en prend à la centrale syndicale l’accusant d’avoir «déraillé en s’engageant dans le processus politique du pays et en intervenant dans la nomination de ministres». Yaacoubi ne sera pas élu. Meurtri, il en conçoit manifestement rancune à ses frères, tout en restant aux aguets pour sa revanche.

En temps opportun, il relance le mouvement contestataire du tout le corps enseignant du secondaire, lui promettant plus d’argent et des salaires toujours plus élevés, même s’il fallait pour cela obliger l’UGTT à ne pas respecter la parole, donnée et signée en décembre 2015, de ne demander aucune nouvelle augmentation, ni pour 2016, ni pour 2017, ni encore pour 2018.

Croyant pouvoir utiliser le mal-aimé du 23ème congrès de l’UGTT, comme le Fou dans sa partie d’échecs avec le chef du gouvernement, Noureddine Taboubi a laissé faire Yaacoubi et l’a même soutenu. Ce n’est qu’à Sfax qu’il se rend compte que le GUN a plutôt bien manœuvré , d’abord en soutenant les positions du ministre Hatem Ben Salem, et ensuite en laissant Yaacoubi s’embourber dans sa menace de l’année scolaire blanche. Une perspective inacceptable pour des Tunisiens dont l’éducation des enfants et leur réussite est au-dessus de toute autre priorité, fut-elle nationale.

Depuis, et désormais prise dans son propre piège, c’est l’UGTT qui est tourmentée par l’année blanche et qui dit à qui veut bien l’entendre qu’il n’y en aura pas, après avoir longtemps utilisé cette perspective comme le grimoire qui lui ouvrirait la porte de toutes ses demandes et celles de Yaacoubi au passage. C’est ce dernier lui-même qui répète à ceux qui ne l’entendent plus, qu’il n’y aura pas d’année blanche. Et c’est Chahed, dos au mur avec un FMI qui menace d’arrêter son programme d’assistance financière pour éviter la faillite, qui avertit que cette mauvaise perspective n’est pas aussi improbable que le dit l’UGTT.

  • Voici ce qui risque d’arriver si …

Jusqu’ici, on vocifère et on menace du côté des syndicalistes de l’enseignement, alors que l’UGTT prépare une réunion, qui sera décisive pour l’issue de cette guerre, de sa Commission Administrative le mardi prochain.

Deux hypothèses. Soit l’escalade, en prenant le parti de Yaacoubi, soit la désescalade par un appel à la reprise des cours et la remise des notes. L’escalade pourrait amener à l’annonce d’une grève générale. Déjà privés de 6 jours de salaires, la grève générale des enseignants confirmerait l’hypothèse de l’année blanche et mettrait toute l’UGTT en porte-à-faux avec tout le reste de la population et surtout les parents d’élèves, déjà gonflés à bloc contre les syndicats. La crédibilité et l’image de l’UGTT en recevraient un sérieux coup. Un coup qui pourrait même lui être fatal pour le reste du parcours des négociations salariales qu’elle prépare.

La grève priverait aussi ses adhérents de salaires. Selon certains spécialistes, 5 jours de retenue de salaires des grévistes rapporteraient 300 MDT aux caisses de l’Etat et constitueraient un important appel d’air au budget. Un appel d’air qui ne sera que de courte durée, le gouvernement étant déjà à court de liquidité et ne pouvant plus se permettre aucune augmentation salariale au risque de déclarer tout simplement faillite, la grève générale privant le pays de quelques autres milliards en revenus divers. Reculer et revenir au travail risquerait aussi de décrédibiliser la centrale syndicale vis-à-vis de ses adhérents et la rendrait plus fragile face à son premier partenaire économique et social.

Dans les deux cas, Lassaad Yaacoubi et toute l’UGTT seront alors pointés du doigt et désignés responsables de tout ce qui arrivera, à la veille d’importantes municipales et du mois du Ramadan. L’UGTT en serait ainsi l’unique responsable et le BE de l’UGTT pourrait même tomber.

Mais tout recul du gouvernement de Youssef Chahed signifiera aussi qu’il sera désavoué, lui et son parti Nidaa Tounes qui se présente aux municipales du 6 mai 2018. Sacrifier Youssef Chahed, comme pourrait le faire le chef de l’Etat Béji Caïed Essebssi, ferait de l’UGTT le seul gouvernant réel de tout le pays, ce qui n’arrangera personne à long et moyen terme. Aucun gouvernant ne voudrait en effet avoir en face de lui une UGTT aussi puissante et dominatrice, économiquement, socialement et surtout politiquement.

Dans tous les cas, celui qui va reculer tombera et de l’issue de cette guerre dépendra l’avenir de toute une économie et de tout un pays !

Khaled Boumiza

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici