L’Aleca que discutent actuellement la Tunisie et l’Union Européenne, signifie «Accord de Libre Échange Complet et Approfondi». Une appellation pompeuse et quelque peu hypocrite aussi, le mot approfondi n’ayant pas la même profondeur d’une rive à l’autre de «Mare Nostrum».
Nul doute que la Tunisie y gagnera beaucoup par le cadre de coopération à mettre en place pour une meilleure intégration économique de la Tunisie dans l’espace économique européen, notamment par un accès plus facile de ses produits à un marché de 500 millions d’habitants.
L’accord couvrira 11 domaines qui feront certainement du bien à l’économie tunisienne. Il s’agit de l’établissement et la protection des investissements, du commerce des produits agricoles, des produits agricoles transformés et des produits de la pêche, des marchés publics, des mesures sanitaires et phytosanitaires, de la transparence des réglementations, de la politique de concurrence, des obstacles techniques au commerce la propriété intellectuelle, des mesures anti-dumping et compensatoires, du développement durable et des aspects liés au commerce de l’énergie.
Le même accord comporte aussi et surtout, le commerce des services, un secteur qui fera de tout l’accord sur les 11 autres secteurs, un véritable marché de dupes. Décryptage :
- Economiquement, c’est bon… mais avec des réserves !
Signalons, d’abord, que l’INS (Institut national de la statistique) a révélé dans sa note sur l’enquête nationale de l’emploi 2017, publiée le 15 août dernier, que le secteur des services inclut l’éducation, la santé et l’administration. Il emploie le plus de Tunisiens, avec un pourcentage de 51,66%. Sa part dans le PIB est de 55,1 %. C’est dire l’importance de ce secteur, proposé à la libéralisation complète dans l’Aleca.
Les services, c’est aussi le tourisme où les marques étrangères sont déjà légion et prennent la majorité de l’activité hôtelière, les banques et les assurances où les enseignes étrangères sont visibles, le commerce de distribution où la présence étrangère est sous forme de franchise car conditionnée, pour les étrangers, par l’obtention de la carte de commerçant. Mais aussi, toutes les activités de transport, aérien avec une petite participation d’Air France dans le capital de Tunisair, maritime, routier et ferroviaire. Mais encore la restauration, depuis quelques années, envahie par les franchises de toutes sortes et notamment dans le Fastfood et même dans la promotion immobilière. Une étude faite, en 2014, par «l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives», conclut certes aux bienfaits de cette ouverture du secteur des services aux étrangers, mais avec beaucoup de nuances.
Toutes, des activités non encore mises à jour et aux normes internationales pour pouvoir supporter la concurrence d’une présence étrangère débridée, pourraient pâtir de cette ouverture s’il n’y avait pas, auparavant, un financement massif de la part de l’Union Européenne, de cette mise à niveau.
- Voici le marché de dupes !
Restera alors l’épineuse question de la mobilité. Une question demeure cependant tabou chez les Européens, celle de la mobilité des personnes, qui doit impérativement accompagner la libéralisation de l’investissement dans les services. Cité par Jeune Afrique dans sa version électronique en date du 29 novembre 2016, «Antonio Tajani, président du Parlement Européen, précise qu’il souhaite que la question des visas fasse l’objet d’un traitement hors Aleca».
Les discussions entre Tunisiens et Européens passent jusqu’ici tous les aspects de l’Aleca, sauf celle de la mobilité, pourtant clé de voûte de tout partenariat équitable. On imagine néanmoins mal en Tunisie qu’un investisseur français passe les frontières tunisiennes sur simple présentation de sa carte d’identité, alors qu’un investisseur tunisien soit encore astreint aux draconiennes conditions d’un visa qui peut lui être refusé sans aucune explication et par une interface qui n’a rien à voir avec l’Ambassade, la société TLS. On ne comprend pas non plus que le consulat français puisse conclure un accord préférentiel, en matière de visa, avec les avocats et non avec les deux patronats, l’organisation des jeunes dirigeants, pour permettre à tous ceux, parmi les Tunisiens, qui voudraient s’adonner à activité de service en France comme il est déjà permis pour les Français en Tunisie.
- Le contrat léonin pour les étudiants en recherche de stages !
Se présentant comme ami de la Tunisie où il se balade plus libre qu’un ambassadeur tunisien en France, l’Ambassadeur de France élude la question et dit à Jeune Afrique que «les visas ? Nous avons enregistré 150 000 demandes. Seulement 10 % ont été rejetées en 2016». On lui rappelle, de notre côté, que le visa, même pour un homme d’affaires dont l’organisation patronale bénéficie de quelques légers assouplissements, mais qui restent négligeables par rapport au dernier accord de l’Ambassade de France avec les avocats, n’est pas de tout repos. Un accord, par ailleurs, manifestement discriminatoire .
L’ambassadeur de l’Union Européenne à Tunis, Patrice Bergamini, que cite encore Jeune Afrique, lorsqu’il parle des 1500 bourses d’Erasmus, devrait aussi se déplacer à TLS pour voir le calvaire des Tunisiens et écouter les souffrances des étudiants pour un simple visa de stage dans un établissement privé en France et même pour un simple visa de touriste, pour lequel même un extrait bancaire des deux parents est exigé ! On en demanderait presque l’établissement des visas pour les Français pour qu’ils goûtent au même calvaire que les Tunisiens !
Et c’est en cela que l’Aleca reste jusqu’à présent un véritable marché de dupes, une opération où les Européens ont tous les droits et les Tunisiens, le seul droit de quémander un visa, avec la tonne de paperasses, le coût financier et les conditions avilissantes, s’il veut un jour ouvrir un restaurant tunisien à Paris, un cabinet conseil à Bordeaux ou une pâtisserie tunisienne à Marseille, comme il le sera permis aux Européens. Un partenariat Tunisie-UE, en somme, aux clauses léonines.
Khaled Boumiza