AccueilLa UNEChahed "enterre" BCE, un gros risque politique

Chahed « enterre » BCE, un gros risque politique

Son parti, Nidaa Tounes, lui a tendu la perche de la rupture, de l’affrontement le chef du gouvernement, Youssef Chahed, l’a saisie, en se drapant avec les outils que lui donne la Constitution. A plusieurs reprises, en entamant la présentation de sa nouvelle équipe, lundi 5 novembre 2018 à 20h, l’heure de la grand-messe des JT dans les grandes démocraties, Chahed a invoqué le texte fondamental pour couper l’herbe sous le pied de ceux qui allaient inéluctablement lui reprocher d’avoir évincé le chef de l’Etat, Béji Caïd Essesbsi (BCE), tout au long de sa tambouille pour former son gouvernement. C’est l’épilogue d’un bras de fer épique qu’a déclenché le directeur exécutif de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi (HCE), avec l’assentiment de son papa, le président de la République et dont d’ailleurs ce dernier se cachait de moins en moins. D’aucuns disaient que Chahed allait différer son remaniement jusqu’à son retour de la Mauritanie, où il était attendu hier pour une visite de deux jours, il a choisi le combat, tout de suite, sûr de son coup. C’est un chef du gouvernement éjecté de son parti, rappelons-le, qui s’est présenté hier devant les citoyens, affranchi du devoir d’allégeance envers son mentor, BCE, qui l’avait sorti de son chapeau pour relayer Habib Essid qu’il venait d’immoler. Donc, théoriquement, Chahed, viré – ils ont dit suspendu – par les siens, ne leur devait plus rien. Il a usé – abusé diront certains – de sa liberté. Toute la classe politique le bassinait avec le remaniement, et bien il le leur a servi, mais comme lui l’a voulu et en prenant de gros risques politiques, mais des risques calculés aussi.

Des coups, très politiques

On est entré hier, de plainpied, dans une configuration politique inédite depuis 2014. Jusqu’ici c’est BCE, vainqueur des dernières élections générales, qui dirigeait l’orchestre, même avec les pouvoirs limités que lui confère la Constitution (la politique étrangère, et donc le choix du ministre en charge de ce dossier et la Défense, avec la même prérogative). Jusqu’ici les remaniements se faisaient avec le chef de l’Etat, avec le chef du gouvernement qui notait, sur le coin d’une table, les désidératas du « patron » ou à tout le moins venait le voir pour valider ses choix avant d’aller devant le Parlement. Et bien toute cette tradition a volé en éclats hier, BCE a été royalement enjambé par son ex-poulain qui a fait sa petite cuisine dans son petit coin. D’où d’ailleurs la réaction outrée du palais de Carthage, avec un communiqué qui cache mal les mots aigres-doux, voire pire, qui ont dû être débités par le président de la République dont on connait les emportements. Mais à part les vociférations, que peut bien faire BCE pour stopper le locataire du palais de la Kasbah? Et bien pas grand chose…

D’abord constitutionnellement, il a les mains liées. Chahed le sait, BCE aussi le sait, ce qui a dû accentuer son ire. Et puis il y a le contexte, très favorable à Chahed. Et là aussi Essebsi, au fond de lui, doit apprécier à leur juste valeur les coups de l’élève Chahed, son élève à lui, devenu maître en un rien de temps dans l’art de jouer avec les cartes que la situation met dans ses mains. Que va faire en face le président de la République? Rien. Le chef du gouvernement a contourné le problème BCE en gardant les ministres, ceux des Affaires étrangères et de la Défense, dont les noms avaient été validés par le chef de l’Etat lui-même. Il pourra toujours, par dépit, parce que Chahed l’a zappé, exiger de ces deux ministres, sur qui la Constitution lui donne tous les droits, qu’ils démissionnent. Mais ça c’est la théorie, dans la pratique le président de la République ne prendra pas le risque de provoquer une crise politique de cette ampleur en bloquant les institutions, dans la situation dans laquelle est le pays. Une dangereuse aventure qui pourrait lui retirer le peu de crédit qui lui reste, après les dégâts qu’a provoqués son fils dans la machine de guerre qu’il a bâtie, Nidaa Tounes. Selon toute vraisemblance, BCE n’aura d’autre choix que d’avaler son chapeau et de laisser le bullzoser lui passer sur le corps.

Un risque calculé

En cooptant le ténor Kamel Morjane, des éléments de Machrouu Tounes et en gardant Samir Taieb dans son giron, il s’offre un bouclier politique pour baliser sa route vers le vote de confiance à l’ARP où la Coalition nationale, acquise à sa cause, lui a déjà mâché le travail. Sans parler de l’armada Ennahdha, qui sera encore plus « chahedophile » depuis qu’il a eu la bonne idée d’abord de garder les ministres d’obédience islamiste, en dépit des réserves sur leur rendement. Quant à Nidaa Tounes, maintenant de fait dans l’opposition, Chahed a accentué son trouble et ses déboires, qui n’étaient pas peu, en gardant ses ministres, d’ailleurs des poids lourds dans le gouvernement, ce qui permet au chef du gouvernement de garder les grands équilibres de son équipe, et donc du pays. C’est important pour ne pas heurter le processus d’élaboration de la Loi de finances 2019 et les pourparlers autour avec les parlementaires. C’est aussi important pour la continuité des liens avec les institutions financières internationales, en premier le FMI avec lequel la Tunisie a mis sur les rails des chantiers qu’il ne faut surtout pas perturber.

Le fait pour les ministres étiquetés Nidaa de choisir de rester aux côtés de Chahed, contre la volonté de HCE, au motif de servir l’intérêt général, ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de soutien au sein de Nidaa Tounes. Il est même possible qu’on assiste à des scénarios ubuesques, du genre des députés qui se rebiffent et ignorent superbement les consignes de l’état-major, et donc votent en faveur de Chahed. A moins que le comité directeur de Nidaa choisisse la voie de la raison en adoubant, même du bout des lèvres, celui qui fut un des leurs. Ou à tout le moins donne la consigne de l’abstention, pour ne pas étaler davantage le piteux et navrant spectacle de la division. En attendant que la roue politique tourne, d’ici 2019. 

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