Il était à Berlin et parlait au double titre de chef de l’Etat et président du Conseil national de sécurité (CNS). A ces deux titres, il y a des choses qui ne se disent jamais, ou du moins pas de cette manière. «Nous avions cru avoir vaincu le terrorisme. En réalité, j’espère que ce ne sera pas lui qui nous vaincra». Ainsi parlait hier Béji Caïed Essebssi, en réaction au dernier attentat terroriste qui avait frappé, lundi 29 octobre 2018, au cœur de Tunis et à quelques encablures du ministère de l’Intérieur, comme un triste rappel à l’attentat qui avait décimé un bus de la sécurité présidentielle en novembre 2015. Le propos était en tout cas résolument défaitiste, au bout de seulement quelques années de lutte, où la guerre se joue parfois sur des décennies.
La réaction a certes été faite à chaud, à quelques minutes de sa descente d’avion. Elle n’en était pas moins déplacée. Dite de la bouche même de celui qui gère toute la sécurité du pays, elle donnerait presque à comprendre que la Tunisie a presque baissé les bras et ne réussit en tout cas pas toujours à juguler ce fléau. Dite ainsi par lui, cette réaction n’est en tout cas pas de nature à remonter le moral des troupes, civiles et sécuritaires. Quelque part, la réaction présidentielle pourrait même avoir plu à ses commanditaires qui découvrent que le président de tout le CNS a été touché au plus profond de ses prérogatives. Un chef d’Etat, chef de la sécurité de tout un pays, ne devrait pas dire ça !
Président de la République, BCE a aussi quelque peu profité d’un terrible drame national pour régler des comptes politiciens. Or, ce n’était ni le bon lieu, ni le bon timing. Aigri et s’emmêlant les pinceaux, BCE fait un dérapage d’une méchanceté inédite et déplacée pour un homme de son rang. «Le climat politique était malsain. Nous étions préoccupés par tel et tel parti politique, par telle et telle personne, qui restera sur le fauteuil ou qui le quittera, et ce ne sont pas là les vrais problèmes de la Tunisie (…). Et il est nécessaire que le responsable [Ndlr : Suivez son regard] qui a le sens de l’Etat s’en occupe et s’y attèle», disait BCE, comme pour expliquer l’attentat ou peut-être pour en accuser quelqu’un.
On serait presque tenté de comprendre, par ces propos, que le «terrorisme pourrait avoir ses raisons que la raison devrait comprendre et accepter». Dans d’autres Nations, on ne discute même pas avec les terroristes et on croit ferme et on le dit que rien, absolument rien, ne justifie le terrorisme. BCE avait manifestement raté une occasion de se taire et avait retourné contre lui-même ces mots qu’il avait un jour dits à Moncef Marzouki par la parabole de la paille et de la poutre : «Il s’est tu une éternité et proféré un blasphème (سكت دهرا و نطق كفرا)». Un président de la République ne devrait pas dire ça !
- Les deux graves bourdes de Youssef Chahed, passées sous silence.
Quoiqu’on dise, la réaction du chef du gouvernement au même drame, aura finalement été plus emprunte d’optimisme et surtout de sérénité face à l’adversaire. Youssef Chahed a certes quelque part minimisé l’évènement, mais force est de rappeler qu’il ne parlait pas qu’à son peuple, mais aussi aux terroristes et leurs commanditaires !
Une semaine plus tôt, le chef du gouvernement et seconde partie du même Exécutif avait pourtant brillé par son absence. En effet, toute la blogosphère avait descendu en flammes la députée Nahdhaouie Yamina Zoghlami qui avait porté secours à une personne interdite de voyager. Bravant les lois de la Nations et tous ses règlements, et au mépris de l’autorité de l’Etat, la Zoghlami avait fini par obtenir ce qu’elle voulait, c’est-à-dire la levée immédiate de l’interdiction de voyage d’un homme recherché dans une affaire en lien avec le terrorisme. Grande gueule, la députée s’était même permise le luxe de téléphoner de l’aéroport au chef du gouvernement et à son ministre de l’Intérieur pour les obliger à céder à son chantage public.
Personne n’avait pourtant rien dit sur la réaction du chef d’un gouvernement qui casse ses propres codes, sur simple coup de téléphone. Ce même gouvernement avait pourtant toujours refusé de céder sur d’autres interdictions de voyager, imposées par exemple à des hommes d’affaires pour des délits financiers et pour des raisons médicales. L’un d’eux a même été interdit d’opération de chirurgie cardiaque et risque depuis quelques mois de mourir faute de soins et par manque de matériel nécessaire dans les cliniques tunisiennes, et le chef du gouvernement avait refusé d’intervenir en sa faveur. Peut-être lui faudrait-il l’intervention de la députée d’Ennahdha. Une manière en tout cas de le laisser ainsi à la merci du parti islamiste. Et l’homme d’affaires en question est loin d’être le seul dans ce cas ! Il est vrai que par les temps qui courent, il vaudrait mieux être accusé de terrorisme qu’être homme d’affaires ! Et le chef du gouvernement n’est pas à cette bourde près.
Une dizaine de jours plus tôt éclatait en effet l’affaire des trois anciens ministres de l’Intérieur et d’Ahmed Smaoui, un ancien perspectiviste du temps de Bourguiba et ancien ministre du Tourisme entre autres. Au mépris de toutes les lois internationales, l’IVD de Sihem Ben Sedrine, dont les activités et l’existence même avaient officiellement cessé depuis le 31 mai 2018 sur décision de l’ARP, avait décidé de les traîner devant la même justice qui les avait pourtant définitivement acquittés.
Eclatait alors de nouveau la polémique sur la durée de vie de l’IVD. Et on découvrait que le chef du gouvernement aurait signé un accord, avec Sihem Ben Sedrine, prolongeant la durée de vie de son IVD, à l’encontre même de la décision de l’ARP où personne n’avait accepté de lui accorder un jour de plus au-delà du 31 mai 2018. Il n’est pas ainsi exclu qu’on lui alloue même un budget dans la loi de finances 2019.
De nouveau, le chef du gouvernement s’illustre par son mutisme et ne consent toujours pas à s’expliquer sur cette bourde politique. Elle devrait pourtant le rattraper, puisque les députés de Nidaa Tounes ont promis de tout bloquer jusqu’à ce qu’il s’en explique. On n’est pas sorti de l’auberge !