Tous les ministres du Transport de tous les gouvernements d’après ladite révolution y sont allés. Des visites, des inopinées, aux fausses visites-surprises, tout a été fait à Tunisair. Des nocturnes aux diurnes, toutes les visites ont été organisées chez le transporteur public, rarement à son siège et toujours à l’aéroport de Tunis-Carthage.
Tunisair, une entreprise publique, qui a connu au moins 8 PDG depuis ladite révolution, et où le manche à balai a toujours été disputé entre ministres et PDGs de la compagnie. Et même le dernier des présidents de la République tunisienne, y est allé après avoir entendu le DG et son ministre du Transport qui étaient en bisbille.
Des enquêtes, de tous types, internes, externes, et y compris par la Cour des Comptes, ont été diligentées à Tunisair à propos de presque tout ce qu’on peut imaginer. Du personnel-y compris syndicalistes, anciens DG- a été entendu et enquêté, et le dernier des Mohicans a été emprisonné, et oublié dans sa geôle, comme un bon nombre d’autres DG publics et hommes d’affaires privés.
– Tous venaient constater les dégâts, et personne n’apportait les solutions
Presque tous les chefs de gouvernement depuis 2011 ont un jour ou l’autre eu entre les mains une copie d’un plan de redressement, ou de restructuration, sociale et financière de la compagnie. Des plans, plusieurs fois mis à jour, et à chaque fois remis dans les tiroirs des ministres respectifs du transport, car la solution n’a pas changé depuis. Retournée de toutes les cotées, étudiée sous tous les angles, puis recalée, cette solution reste financière. Chaque année encore plus coûteuse, notamment pour le financement du plan social, et le refinancement de la très lourde dette, cette solution a toujours été refusée comme un déni de grossesse et renvoyée aux calendes grecques, toujours pour manque de moyens de l’Etat actionnaire, qui refuse d’en augmenter le capital, d’y injecter de l’argent frais, et encore moins d’ouvrir le capital au privé.
Déjà en mai 2019, Chahed disait clairement ne pas avoir l’argent nécessaire pour sauver Tunisair, après que le 1er ministre du transport d’après ladite révolution, Yassine Brahim, l’a noyée en main d’œuvre par l’intégration de toutes les filiales. Il le disait clairement et crûment, à l’occasion du dialogue national sur le transport. « Lorsqu’on me dit que Tunisair nécessite 1,5 ou 1,2 MDT, il faut savoir de quoi on parle », dit-il d’un sourire narquois. « C’est comme si on les avait et qu’on ne voudrait pas les donner pour remettre Tunisair d’aplomb », assène-t-il d’un air désolé.
8,3 millions DT par avion, en charges du personnel. Plus de 53 mille DT en charges par employé ou une moyenne de 5.888 DT de rémunération par mois et par employé, et une moyenne de 157 employés par avion (2982 pour 19 avions en exploitation en septembre 2024), ce qui est hors-normes dans le rapport PNT/avions qui détermine la rentabilité d’une compagnie (la réglementation européenne imposerait 1 membre d’équipage de cabine par tranche complète ou incomplète de 50 sièges au-delà de 19 sièges.).
– Des bilans absents, et des indicateurs qui ne disent rien
Le dernier bilan de cette compagnie cotée en Bourse et protégée par le CMF et la BVMT, date de 2019. L’exercice s’était alors soldé par un déficit de 183,121 MDT, des résultats reportés négatifs de plus de 1,1 milliard DT, pour un capital social de moins de 106,2 MDT et des emprunts de plus de 747,5 MDT. Après, on ne verra plus Tunisair publier un quelconque bilan financier, ni cette entreprise cotée en bourse tenir une assemblée générale pour discuter du bilan et distribuer des dividendes.
Les indicateurs d’activité trimestriels des 9 premiers mois 2024 font était d’une toute légère hausse du nombre de passagers transportés par Tunisair, les revenus de transport de la compagnie (1.222,379 MDT) ont légèrement augmenté (1.215,1 MDT au 30.9.2023), mais le coefficient de remplissage était en légère baisse (72,1 % contre 73,9 %), et la PdM (Part de Marché) de Tunisair baissait de 2 points de base.
Les indicateurs évoquent une amélioration de la ponctualité de la flotte de 36 à 48 %. Mais les retards des avions Tunisair restent endémiques. « Les retards et les annulations se poursuivent depuis le premier de ce mois après une série de « pannes techniques » inattendues et très suspectes qui ont mis hors service une partie de la flotte du transporteur » tunisien, rapportait l’agence de presse italienne Nova.
– Seul l’argent est grand, tout le reste est faiblesse
A tous ces problèmes, financiers d’abord et avant d’être de gestion, tous les dirigeants, anciens et nouveaux de la Tunisie, n’ont pu que camoufler leur incapacité à injecter de l’argent par des renvois successifs et récurrents de DG, et de directeurs de tous genres. Des changements, faits dans la cacophonie. C’est d’abord Habib Mekki, ancien DG de l’aviation civile avant d’être membre du cabinet de l’actuel ministre du Transport, qui devient président du CA de Tunisair, et Montassar Bnouni, nommé en juin dernier DG de Tunisair Express, qu’on installe à la tête de Tunisair.
Et c’est entretemps, quelques jours avant la vague de renvois de hauts cadres par le ministre du Transport et dont 3 seraient passés enquêter à El-Aouina, suite à des problèmes techniques, et la nomination d’une ancienne douanière intégrée à Tunisair sous Khaled Chelly, de Halima Khouaja en tant que nouvelle chargée de la direction générale, toujours par le ministre du Transport.
Tout cela, à notre sens, en simples gesticulations administratives pour donner l’illusion d’une solution, car la solution des problèmes de Tunisair n’a que très peu été managériale, mais presqu’uniquement financière, dans un Etat qui souffre d’un manque flagrant de « Flouze ». Et on pourrait dire, pour parodier Alfred de Vigny qui parlait du silence, que « seul l’argent est grand, tout le reste est faiblesse !
oui le problème est financier mais pas uniquement
Un grand aéroport européen a entrepris une initiative majeure de Lean Management pour optimiser la livraison des bagages. L’analyse approfondie des vols, prenant en compte le temps de trajet des passagers au sol et la typologie des avions, a identifié les problèmes et les opportunités d’amélioration. Les actions ont commencé par la réduction des ressources excédentaires, impliquant une analyse détaillée des types d’avions, du nombre de soutes, de la capacité de bagages, et du mode d’acheminement (container ou vrac)
Tunis Air continuera à saigner tant que le gouvernement continuera à payer la lourde facture année après année. Les entreprises publiques peuvent bien fonctionner lorsqu’elles sont dirigées par des hauts fonctionnaires compétents qui prennent leurs responsabilités au sérieux. Malheureusement, la Tunisie souffre aujourd’hui d’une pénurie de fonctionnaires qualifiés et responsables. Chaque jour, les médias nous apprennent que la corruption règne dans le secteur public comme dans le secteur privé. Le licenciement ou l’emprisonnement de fonctionnaires et d’hommes d’affaires corrompus est la moitié de la solution s’ils sont remplacés par des personnes partageant les mêmes idées. La façon de résoudre ce dilemme est d’identifier la racine du problème et de la résoudre. Par exemple, si le problème principal est purement financier, il faut alors chercher une solution financière en augmentant le capital de l’entreprise en levant des fonds auprès des secteurs public et privé. S’il s’avère que la propriété publique est devenue obsolète, il faut alors envisager de privatiser l’entreprise. Les grandes compagnies aériennes comme Air France ont été privatisées il y a quelques décennies et fonctionnent désormais de manière efficace et rentable.