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Tunisie-Remaniement : Du bruit pour rien, le FMI a déjà mâché le travail

Depuis le 22 août 2017, suite à l’annonce du chef du gouvernement, Youssef Chahed, les observateurs, les milieux politiques et la presse ne parlent que du remaniement ministériel, comme s’il n’y avait que ça à se mettre sous la dent. Même des sujets majeurs tels que la dégradation de la note de la Tunisie ont été carrément éclipsés par cette affaire de maroquins ministériels. Pourtant à y regarder de plus près, il n’y a pas de quoi s’exciter. Quelles que soient les lumières et l’imagination de ceux qui vont débarquer, notamment le ministre des Finances, très attendu, la politique que mènera la Tunisie est déjà couchée sur les petits papiers du FMI, du moins en très grande partie. Les hommes ou femmes qui intégreront l’équipe de Chahed ne feront pas autre chose que ce qui a été dit – par le FMI, la Banque mondiale, l’Union européenne, etc. – qu’ils feront. Que voulez-vous que fasse d’autre l’argentier d’un Etat désargenté, le ministre des Finances d’un pays sans finances et qui dépend de l’aide étrangère, même pour payer ses fonctionnaires ?

Si la Tunisie a pu tenir si longtemps sans ministre des Finances attitré (depuis le 30 avril 2017 ) et si le ministre du Développement a pu si aisément porter les deux casquettes, c’est parce que le boulot est simplissime en ce moment : Il y a des recettes publiques, plus importantes que prévu cette année, mais qui sont aussitôt aspirées par les postes de dépense. Il y a tout au plus quelques arbitrages à faire, de temps en temps. Alors cette affaire de remplacement-remaniement n’est qu’un simple casting, un de plus, sans que cela ne change en rien le destin du pays. Alors il était temps, comme l’a dit Chahed, de mettre un terme à ce tintamarre, ne serait-ce que pour calmer tout le monde et qu’on puisse enfin retourner au travail. Mais comment et dans quelles proportions ? Pour le coup c’est une vraie équation. Pour le ministère des Finances, il s’agit certes de trouver un virtuose des comptes publics, ça peut servir, mais le pays aura surtout besoin d’un négociateur chevronné capable d’amadouer les bailleurs de fonds après la gifle magistrale administrée par l’agence Moody’s…

Panique à bord

Quand Chahed a fait son annonce, il n’a donné aucune indication précise sur l’ampleur des changements qu’il va opérer. Mais les formations politiques l’ont fait pour lui, en enflant tellement ce dossier qu’il occupe tout l’espace médiatique. Pas un jour sans qu’un cadre d’un parti, plus ou mandaté par les siens, ne fasse une apparition pour dire son mot, ajoutant à la confusion qui règne actuellement et à la pression sur les épaules de Chahed. Le premier à sonner la charge est Khaled Chaouket, dirigeant du mouvement Nidaa Tounes. Il a, comme on pouvait s’y attendre, ramené le couverture à son parti en déclarant, à la TAP, que toute décision de Chahed doit être étalonnée sur les résultats du scrutin de 2014, qu’ils avaient remporté. Ils ont perdu des plumes depuis. Mais cela ne l’a pas empêché d’asséner, avec beaucoup d’aplomb, qu’aucun gouvernement ne peut obtenir des résultats s’il ne reflète pas la physionomie des élections de 2014.

Le porte-parole du mouvement Ennahdha, Imed Khemiri, a été certes un peu plus fin, plus subtile, mais le résultat est le même : Il a mis un fil à la patte du chef du gouvernement, en rendant toute action dans le sens d’un remaniement tributaire d’une consultation – Dieu merci, il n’a pas dit approbation ! – des composantes de la coalition au pouvoir et dans le respect des dispositions du Pacte de Carthage. Or le document de Carthage ne dit rien sur ces aspects. Tout au plus il met sur la tête une obligation de résultat (dans l’économique, le social, le sécuritaire…), et pas de moyens. Les voies par lesquelles il doit passer – par exemple le choix de ses ministres – pour parvenir à ses fins ne regardent que lui. A lui tout seul. Avec un « petit » droit de regard du président de la République et in fine une validation, somme toute formelle, du Parlement. D’ailleurs Khemiri le sait pertinemment et le reconnait, mais cela n’empêche pas son mouvement de glisser des peaux de banane sur le chemin du chef du gouvernement.

Ils terrorisent Chahed !

Cela a commencé avec le communiqué du mercredi 23 août 2017. Le texte appelle clairement Chahed à éviter les sentiers périlleux d’un remaniement à large échelle et à se contenter de boucher les trous en remplaçant les deux ministres éjectés et le démissionnaire. Point barre. C’est un dépassement flagrant de son espace ! En effet le mouvement, comme d’ailleurs Nidaa Tounes, n’est pas censé dicter à Chahed sa conduite ; tout au plus ils peuvent lui demander des comptes a posteriori et le juger sur ses résultats, mais pas intervenir dans ses choix. Mais si Ennahdha a franchi allègrement les lignes rouges, c’est parce qu’il craint qu’un vaste remaniement emportes ses ministres, qui peinent à convaincre.

Le parti de Rached Ghannouchi a remis ça le lendemain, le 24 août 2017, en la personne de Abdellatif Mekki, un de ses dirigeants. Mais cette fois avec une nouveauté : le soutien affiché d’un de ses pions qu’il a placés au palais de la Kasbah, Ridha Saïdi, en tant que conseiller de Chahed. Là aussi si on était dans une démocratie normale, on ne verrait pas ce genre de manoeuvre. En effet le staff de Chahed a une nette idée de l’éventail des personnalités susceptibles d’occuper les postes ministériels, et n’a donc pas besoin qu’on lui présente une liste de candidats. Cela ne fait qu’embrouiller un peu plus l’esprit du chef du gouvernement et limiter ses choix. Mais c’est justement ce que veut Ennahdha puisque son porte-parole n’a pas hésité à dire ceci :« Nous avons évalué le rendement de nos ministres et le résultat est positif. Il n’y a aucune raison de changer un ministre ‘nahdhaoui’« . Alors qu’il revient à Chahed de juger ses ministres et de remettre aux plus méritants des brevets de satisfecit, ce n’est certainement pas le rôle des partis politiques lesquels sont par définition partisans. Mais je vous le disais : On n’est pas dans une démocratie normale…

Si Ennahdha se permet de marcher de la sorte sur les plates bandes du chef du gouvernement, et donc de Nidaa Tounes, c’est parce que le mouvement est politiquement, c’est incontestable, très fort. Par la magie de ce système parlementaire qui a embarqué le pays dans une expérimentation dont il n’a pas les moyens et le niveau. Mais aussi grâce – ou à cause, c’est selon – aux dirigeants de Nidaa Tounes, qui se sont débrouillés comme des chefs pour perdre la majorité parlementaire que leurs électeurs leur avait confiée en 2014, au profit d’Ennahdha. Ce dernier sait parfaitement qu’il n’a rien à perdre et qu’au pire on ira vers un grand remaniement ministériel qui obligera Chahed à aller solliciter l’aval des députés. Et là Ghannouchi & Co auront leur mot à dire. Et il va sacrément peser.

En attendant Chahed devra se dépatouiller avec cette dangereuse agitation que cette affaire a créée. En effet deux des signataires du Pacte de Carthage, et non des moindres, l’UGTT et l’UTICA, ont ouvertement prêché pour un gouvernement de compétences, prenant le contrepied du tandem Nidaa-Ennahdha. Le secrétaire général de la centrale syndicale, Noureddine Tabboubi, est même revenu à la charge hier samedi, avec des menaces à peine voilées si Chahed cède aux diktats des partis, pour des choix partisans. Le camp des pro-compétences est costaud car le chef de l’Etat en fait partie, en plus des deux organisations les plus puissantes du pays. Mais ne nous leurrons pas : Le dernier mot reviendra aux partis de la coalition… jusqu’aux prochaines élections. On peut aussi imaginer que Chahed, adossé sur sa popularité sans précédent, prendra l’opinion publique à témoin, acculera ses parrains politiques et leur imposera ses choix, s’ils se portent sur des compétences. En tout cas de sa capacité à négocier ce virage délicat et à obtenir par la suite des résultats économiques tangibles dépendra son deuxième galon d’homme d’Etat, après celui que lui a conféré sa croisade contre tous les « ripous » de la Tunisie.

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